12 Years A Slave, Steve McQueen

Steve McQueen apprécie, semble-t-il, les sujets difficiles. Après les années d’emprisonnement pour des membres de l’IRA dans Hunger, après l’addiction sexuelle dans Shame, le cinéaste britannique se penche sur l’esclavage aux États-Unis. S’inspirant de l’histoire vraie d’un ancien esclave, 12 Years A Slave raconte la fin d’un système et le terrible cauchemar d’un homme libre kidnappé et vendu comme esclave à une époque où c’était tout à fait possible. Le thème est passionnant et Steve McQueen avait de quoi réaliser un film brillant sur une période que l’on connaît peut-être moins bien, à la veille de la Guerre de Sécession. Malheureusement, son troisième long-métrage chausse d’énormes sabots et impose avec une lourdeur infinie une histoire téléphonée qui passe totalement à côté des sujets intéressants. 12 Years A Slave aurait pu être une vraie réussite, il n’est qu’une fresque pleine d’acteurs à oscariser et sans grand intérêt…

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Les premiers colons apportent d’Europe avec eux l’esclavage et les esclaves d’Afrique noire. Du XVIIe siècle à la deuxième moitié du XIXe siècle, les États-Unis exploitent des esclaves sur une partie du territoire au moins. Le pays connaît sa seule guerre civile et s’entretue autour de l’esclavage, c’est dire son importance. Tout ceci est connu et les œuvres qui rapportent les horreurs du système, qui décrivent comment des êtres humains considéraient d’autres êtres humains comme du pur mobilier, se comptent par centaines. En adaptant Douze ans d’esclavage de Solomon Northup, Steve McQueen tenait pourtant un angle original pour renouveler le genre et offrir quelque chose non seulement de nouveau, mais aussi de passionnant. Si l’on connaît bien les récits d’esclaves emportés depuis l’Afrique, ou de ceux nés sur place comme esclaves, on ne connaissait pas l’histoire de ces hommes libres et noirs kidnappés au Nord pour être revendus comme esclaves au Sud. Dans les années 1840, le pays est déjà divisé entre les États esclavagistes au sud et ceux qui ont déjà aboli l’esclavage, au nord des États-Unis. Solomon Northup a vécu ce cauchemar inimaginable : alors qu’il mène une vie paisible à New York avec sa femme et ses deux enfants, il se fait piéger par deux malhonnêtes gens qui l’emmène à Washington pour le droguer et le vendre. Transporté rapidement vers le sud, sans ses papiers, il est vendu comme esclave et devient, légalement, un bien dont peut disposer son maître. 12 Years A Slave raconte tout cela et suit le calvaire de ce musicien cultivé qui doit absolument masquer son identité et survivre en coupant du bois ou en récoltant du coton ou de la canne à sucre au grès de ses changements de propriétaire.

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L’idée était bonne, mais Steve McQueen n’en fait rien. Alors que l’on sait très bien que le héros de 12 Years A Slave va survivre — c’est son livre qui est adapté après tout —, le cinéaste feint d’oublier que son histoire est vraie et connue des spectateurs pour tenter d’intégrer une dose de suspense. De fait, après une plongée en captivité, le long-métrage revient en arrière et déroule avec une régularité pénible les grands moments de la vie de son personnage. Proche du biopic, le film n’évite rien de ce qui est important et cette conception sur des rails, avec une chronologie à peine perturbée par deux trois flashbacks, rend l’ensemble très prévisible. On sent venir chaque scène, on croit savoir à chaque fois ce qui va se passer dans la scène suivante et le film ne nous déçoit malheureusement jamais. On aimerait être surpris, on aimerait tomber sur une ellipse ou une construction légèrement déformée, mais Steve McQueen, par peur de perdre ses spectateurs peut-être, poursuit son travail avec une constance désolante. Résultat, 12 Years A Slave laisse un fort arrière-goût de redites, alors même que son sujet de départ était original. On apprécie d’ailleurs quelques scènes qui trahissent les fissures dans cette société esclavagiste, quelques apparitions de doutes chez certains maîtres, ou même ce menuisier canadien qui invoque une punition divine pour tous ceux qui pratiquent l’esclavage, mais le cinéaste laisse ces pistes passionnantes à l’état d’embryon. Le film vraiment intéressant, celui que l’on aurait préféré voir, ne se déroule pas pendant les douze années de captivité qui n’apportent pas grand-chose sur le plan historique, mais plutôt après, les procès intentés par l’ancien esclave, les débats qui sont peut-être apparus à cette occasion.

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Avec ce sentiment fort que Steve McQueen est passé à côté du vrai sujet, que reste-t-il à 12 Years A Slave ? On aimerait féliciter le travail du cinéaste, on aimerait être emporté par les émotions face aux scènes terribles qui sont présentées, mais hélas, même sur ce point, le film n’atteint pas ses objectifs. Le cinéaste essaye bien de susciter une émotion chez ses spectateurs, on ne peut pas le lui reprocher cela, mais il essaye si fort qu’il en oublie au passage de leur faire confiance. Tout est appuyé avec une lourdeur extrême, le réalisateur ne peut s’empêcher de tout nous montrer pour s’assurer que l’on ne passe à côté de rien. Fallait-il vraiment de gros plans qui durent plusieurs longues dizaines de secondes sur un dos boursouflé par les blessures pour comprendre que des coups de fouet abiment la chair ? Devait-on regarder le corps de Solomon a moitié pendu pendant aussi longtemps pour comprendre qu’il souffre ? Sans compter que la bande originale, composée par Hans Zimmer, appuie elle aussi lourdement sur tous les moments où le spectateur doit ressentir quelque chose. Le résultat n’est guère surprenant : on ne ressent rien, si ce n’est de l’agacement face à ces méthodes bien grossières. Le problème vient aussi de l’interprète principal : Chiwetel Ejiofor n’incarne jamais tout à fait son personnage, on ne ressent pas l’immense désespoir qui devrait logiquement envahir tout homme, il est beaucoup trop froid pour être crédible. Difficile dans ces conditions d’éprouver de l’émotion et c’est dommage, parce que dans le défilé de stars que constitue 12 Years A Slave, il y a quelques belles prestations. Brad Pitt est surprenant en menuisier anti-esclavagiste, Michael Fassbender est parfait en maître complètement fou et Lupita Nyong’o incarne exactement comme il faut l’une des esclaves qui accompagnent le personnage principal.

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Quand 12 Years A Slave se termine, on a le sentiment étrange d’avoir regardé pendant plus de deux heures un film largement hors-sujet. Steve McQueen tenait un sujet en or, il aurait pu réaliser un grand film sur l’esclavage et la fin de ce système, même s’il n’est pas encore tout à fait arrivé à son terme. À l’écran, on n’a qu’une copie un peu paresseuse qui enchaîne des scènes, certes horribles, mais que l’on a déjà vues ailleurs, souvent en mieux. Et puis 12 Years A Slave laisse le sentiment un peu désagréable d’exploiter ces horreurs pour susciter coûte que coûte l’émotion. Trop lourd, trop long, pas assez intéressant… un long-métrage que l’on tachera de bien vite oublier en somme.