Oxygène, Hans Van Nuffel

Un film belge sur la mucoviscidose. Dit comme ça, Oxygène ne risque pas de passionner la foule… et pourtant. Évitant tout pathos, le film de Hans Van Nuffel est à la fois terriblement dur et obstinément vivant, malgré la maladie, malgré l’omniprésence de la mort. C’est donc un film très fort, poignant même, mais aussi drôle et léger, contre toute attente. Mais cette légèreté ne fait que mieux renforcer l’aspect très dur du film : qu’on se le dise, on ne ressort pas indemne d’Oxygène. À ne pas rater.

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 La mucoviscidose est une maladie génétique assez terrible qui limite de plus en plus la capacité respiratoire des malades, jusqu’à la mort. Il n’y a en outre aucun remède à ce jour, la seule solution envisageable est de prolonger la vie des personnes atteintes par des greffes du poumon, une opération lourde, pas sans risque et qui n’est de toute manière qu’une solution temporaire puisque la source du problème, un dérèglement génétique, n’est pas corrigée avec la greffe. Même si on gère aujourd’hui la mucoviscidose suffisamment bien pour permettre aux malades de vivre une quarantaine d’années, l’ambiance n’est pas très joyeuse quand il est question de mucoviscidose. Et justement, c’est le sujet d’Oxygène qui suit Tom, jeune adolescent atteint de la maladie depuis qu’il a sept ans. Son quotidien est ponctué de passages à l’hôpital, un lieu qu’il connaît par cœur et qui est presque normal pour lui. Son état se détériore lentement, mais le pire est que Lucas, son grand frère, est dans le même hôpital pour la même maladie, mais à un stade plus avancé. Ce frère, c’est son avenir et on comprend sans mal qu’il peine à lui rendre visite : c’est un peu la mort incarnée, une épée de Damoclès qui tombera inévitablement. Entre deux visites hospitalières, Tom tente tant bien que mal de suivre une vie normale d’adolescent belge en suivant vaguement les cours et en déconnant avec une bande de potes. Sa vie sociale se limite néanmoins à ces deux ou trois amis, au personnel de l’hôpital ou encore à Xavier un voisin de chambre qui attend aussi une greffe des poumons. À dire vrai, la majeure partie des gens qu’il fréquente sont hospitalisés également et ont des problèmes liés aux poumons : on a déjà vu un quotidien plus palpitant.

On le comprend vite, Oxygène n’est pas un film joyeux, c’est un film entièrement consacré à une maladie incurable et la mort n’est jamais très éloignée. Néanmoins, Hans Van Nuffel a eu l’intelligence de ne pas en faire un film plombé par le pathos, bien au contraire. Il filme des malades, des condamnés certes, mais aussi des gens qui continuent à vivre. Oxygène est un film plein de vie, contrairement à ce que l’on pouvait penser : Tom entend bien ne jamais se laisser abattre par la maladie et continuer à vivre, avec elle et malgré elle. Sa conscience du peu de temps qui lui reste est une source inépuisable de motivation pour vivre sa vie, pour la croquer à pleines dents tant qu’il le peut encore et ne jamais s’arrêter tant que son corps le lui permettra. Il va ainsi fumer et boire avec des amis, il se maintient en forme, fait du sport et tombe même amoureux d’une fille à l’hôpital, en quarantaine pour encore corser les choses. En conséquence, Oxygène est un film qui sait entretenir une certaine joie et être parfois même drôle. Il est parcouru d’instants de liberté, de courts moments où la maladie semble enfin oubliée et où l’on s’amuse, par exemple à faire une course dans les sous-sols de l’hôpital, à conduire une Porsche sur le parking ou encore à partir pour une virée à la mer. Bien sûr, la maladie reprend parfois ses droits, mais même dans les pires moments, tous les malades conservent le sens de l’humour, comparent en riant leurs capacités respiratoires et surtout font des plans sur la comète indispensables pour continuer à avancer et se battre contre la maladie.

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Si Oxygène fait preuve d’une certaine légèreté par endroits, cette légèreté ne met que mieux en valeur la noirceur de l’ensemble. La mort est omniprésente dans le film, pas forcément à l’écran d’ailleurs, mais dans les esprits. Tous les malades ont une conscience aussi aiguë que terrifiante de la proximité de leur mort, d’autant plus terrifiante qu’elle est pour eux un élément normal de leur vie. La maladie devient la norme, comme le relève à un moment donné Tom à la cantine de l’hôpital : ils ne fréquentent tous que des malades et c’est le monde extérieur des sains qui devient pour eux l’anormalité. S’ils composent avec, on sent une peur intense, physique et permanente qui est toute naturelle et qui ressort par moments, dans les périodes difficiles, rappelant s’il en était besoin qu’il n’y a pas plus terrifiant que la mort, surtout quand on est un adolescent qui n’a encore rien eu le temps de vivre. Le courage de Tom est vraiment impressionnant, il ne craque jamais vraiment, même s’il vacille quand il doit voir son frère. Mais son plus beau refus de la maladie est sans doute la relation qu’il entretient avec Eline, la fille coincée en chambre de quarantaine et avec laquelle il communique par téléphone interposé. S’il finit par la lâcher au profit d’une vie plus ou moins mafieuse partagée avec son ami d’enfance, cet amour hospitalier et fugace est vraiment très beau et retrouve celui de Xavier et une autre femme atteinte de la mucoviscidose qui décide malgré la maladie d’avoir un enfant, mais pas avec Xavier. Les sacrifices pour vivre sont donc réels, de même que le sont les morts d’être proches, mais la vie reste possible. Un très beau message, bien éloigné du misérabilisme qu’un tel sujet pouvait provoquer. Cette vision sans fard de la maladie est vraiment la grande réussite d’Oxygène : sans cela, le film aurait été beaucoup plus pénible, mais peut-être plus facile aussi. Il est vrai que Hans Van Nuffel propose un long-métrage poignant, à déconseiller peut-être à tous ceux qui connaissent ou ont connu un malade de la mucoviscidose.

Oxygène ne fait pas preuve de tellement d’originalité sur le plan formel, mais on ne peut qu’être impressionné par la maîtrise technique de ce jeune réalisateur qui signe là son premier long-métrage. Hans Van Nuffel savait manifestement ce qu’il voulait, et cela se voit : son film ne dévie pas de son objectif et s’avère vraiment réussi. Il doit beaucoup à ses acteurs et notamment à Stef Aerts, le jeune acteur qui interprète Tom avec la dose de cynisme nécessaire, mais aussi la peur et le doute qui transparaissent derrière l’assurance affichée. Pas mal pour un premier rôle… Certains personnages secondaires sont un peu caricaturaux, on pense notamment au meilleur ami de Tom, mais c’est un léger détail qui ne gêne en rien le plaisir du film. Si le film est aussi réaliste sur la maladie, c’est sans doute en partie parce que le sujet concerne très directement son réalisateur. Hans Van Nuffel est également atteint de mucoviscidose, même si c’est une forme moins sévère que ses personnages.

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On peut parler d’heureuse surprise à propos d’Oxygène. Le sujet a de quoi faire peur, mais le film n’est pas une longue lamentation sur la maladie, mais bien plus un film de résistance. Hans Van Nuffel filme des hommes et des femmes en lutte permanente contre un ennemi invisible et impossible à battre, mais ce ne sont pas des hommes ou femmes abattus. Ils font avec et mènent une vie ponctuée de séjours hospitaliers, mais une vie quand même où l’on essaie de garder espoir, coûte que coûte. La mort n’est jamais loin cependant, menace d’autant plus terrible qu’elle est inéluctable et beaucoup plus proche pour ces malades que pour le commun des mortels. Les passages plus joyeux qui émaillent le film ne mettent que mieux en valeur la détresse des personnages et on sort de la salle frappé par une telle force. C’est indéniablement un très beau film, mais un film poignant qui ne laissera personne indifférent.