Alice au Pays des Merveilles, Tim Burton

Le cinéma de Tim Burton, depuis ses débuts, semblait parfaitement calibré pour représenter Alice au Pays des Merveilles, comme si l’œuvre de Lewis Carroll avait guidé le cinéaste et alimenté ses désirs. Dès lors, dire que l’on attendait beaucoup de cette adaptation, de l’Alice de Tim, est encore faible. Sauf qu’un élément imprévu s’est ajouté à l’équation, quelques lettres qui effacent totalement le nom de Tim Burton : Disney. Par appât du gain peut-être, le réalisateur ne produit finalement qu’un film décevant, ennuyeux et froid. Même les Narnia semblent plus riches et vivants que cette Alice au Pays des Merveilles, c’est dire !

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Tim Burton n’a pas voulu adapter les romans originaux de Lewis Caroll, mais simplement s’inspirer de l’univers créé par l’écrivain britannique pour faire sa propre histoire. Ainsi, on retrouve Alice quelques années après la première chute dans le pays des Merveilles, quelques années après le dessin animé de Walt Disney peut-on dire. Alors que la haute société de l’Angleterre victorienne veut contraindre Alice à se marier à un horrible — mais fortuné — Lord, la jeune femme suit un lapin pressé qui le conduit au pied d’un arbre où se trouve un terrier profond. Alice y tombe et voilà qu’elle retourne dans le pays des Merveilles. On l’y attend de pied ferme pour combattre la terrible Reine Rouge qui a amené terreur et désolation partout. Une sorte de prophétie prédit qu’elle devra combattre un monstre terrible que seule elle peut terrasser à l’aide d’une épée mythique et là voilà qui s’embarque dans une aventure pleine de dangers. Dans la grande tradition des récits d’initiation, elle retourne femme en Angleterre et évidemment, refuse l’horrible mariage pour vivre sa propre vie.

Sur le papier, cette idée de faire une suite aux aventures d’Alice, dans le même univers, était des plus réjouissante. On imaginait déjà tous les délires scénaristiques auxquels Tim Burton aurait pu se livrer, un tel univers fantastique étant par nature très souple. Malheureusement, il n’en est rien et à l’écran, on a surtout le sentiment de voir le dessin animé une seconde fois, mais différemment. Le principe du retour n’est quasiment pas exploité en raison de l’amnésie d’Alice. Ainsi, l’aventure dans le merveilleux débute par la même scène, rigoureusement, que dans le dessin animé (et le livre, évidemment) : Alice qui cherche à ouvrir les portes, qui découvre la petite porte, qui aperçoit la bouteille « Me boire », qui devient minuscule en oubliant la clé sur la table, qui découvre un gâteau, qui lui permet de grandir, avant de rétrécir à nouveau avec l’autre potion. Alice au Pays des Merveilles n’avait pas commencé depuis un quart d’heures, et déjà le sentiment de déjà-vu m’envahissait. La suite n’a fait que confirmer ce sentiment, même lorsque le récit dérive finalement sur la fin, avec l’affrontement entre les armées et entre Alice et le dragon.

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En effet, quand la référence qui vient à l’esprit n’est pas le dessin animé de Walt Disney, ce sont d’autres films récents qui sont presque cités. Alice au Pays des Merveilles navigue ainsi quelque part entre le Seigneur des Anneaux et Harry Potter, avec visuellement des touches de Shrek. Ce croisement entre Tolkien et Rowling est d’autant moins original qu’il a déjà été exploité par la saga en cours de Narnia et on retrouve ici les châteaux cendrillonissimes, la lutte entre le bien et le mal, le combat final et toutes les questions de bravoure et de recherche de soi. Tant visuellement que sur le fond, le dernier film de Tim Burton rappelle immanquablement de nombreux autres films et univers, ce qui est pour le moins inattendu quand on se rappelle l’inventivité des débuts.

C’est d’autant plus pénible que la copie est en moyenne moins bonne que les originaux. On a beaucoup parlé de la technique merveilleuse mise au service de l’imagination débordante de Tim Burton, mais je trouve que l’on voit surtout beaucoup d’images de synthèse et que l’on ne croit pas une seconde à cet univers. Certes, il est censé être fantastique, mais aussi visuellement réaliste. Or là, on retrouve vraiment la pâte des films d’animation tendance Shrek : les châteaux font toc, les animaux sont peu réalistes, l’univers globalement sans grand intérêt. En fait, j’ai eu le sentiment à plusieurs reprises de voir une attraction qui aurait toute sa place dans les parcs d’attractions de Walt Disney, comme ces films qui ne servent qu’à secouer le spectateur dans tous les sens et à lui balancer des pieuvres ou autres briques dans la figure, grâce à la 3D. Sauf que là, la salle ne bouge pas et la 3D sur deux heures, c’est long pour quelques effets1.

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Parfois, trop rarement, on retrouve le Tim Burton que l’on connaissait. Certains décors morbides à souhait évoquent plusieurs de ses films, de même que le thé permanent entre le chapelier et le lièvre est vraiment très glauque. Mais ces retours furtifs ne mettent que mieux en valeur l’absence générale du réalisateur. Burton donne le sentiment désagréable de n’avoir rien à faire d’Alice aux Pays des Merveilles et qu’il n’a accepté de le réaliser que pour le gros chèque que Walt Disney lui a certainement proposé (à raison d’ailleurs, le film ayant démarré aux États-Unis sur les chapeaux de roues). Il s’est contenté du service minimum et cela se voit : le scénario, par exemple, provient de Walt Disney et il est responsable pour une grande part de l’échec du film. Cette histoire de combats entre les deux sœurs et surtout de cette bestiole monstrueuse qu’une seule épée peut tuer est à la fois beaucoup trop sérieuse pour un tel film (après tout, ce sont des cartes qui s’opposent à des pièces d’un jeu d’échec) et surtout très ridicule à l’écran. Là encore, tous les films cités plus haut ont fait bien mieux…

À l’image de son réalisateur, c’est aussi Lewis Carrol qui est globalement absent du film de Tim Burton. Il apparaît parfois, comme par erreur, dans des phrases (la devinette sur le bureau et le corbeau qui tisse un fil rouge sur l’ensemble) ou des idées (au hasard, le cheval à bascule ailé). Mais si l’on peut comprendre que le dessin animé adoucisse les angles et offre une image très gentille d’Alice au Pays des Merveilles, on ne comprend pas que Tim Burton ait laissé passé l’occasion de rappeler que les deux romans britanniques sont aussi des œuvres délirantes et très adultes. Là encore, il faut sans doute y voir la marque de Walt Disney. Une marque qui se retrouve peut-être dans la lourdeur de la réalisation, avec notamment une musique omniprésente et souvent pompière. D’ailleurs, le film gagnerait beaucoup à être plus subtil et plus dans la suggestion : la bataille finale est sans doute plus métaphorique qu’autre chose…

Pour compléter ce tableau déjà sombre, les acteurs sont tous mauvais, ou plutôt absents du film. Il est frappant de constater à quel point Johnny Depp peut être mauvais en chapelier fou : à aucun moment on ne retrouve l’acteur comique, il est ici crispé en permanence et jamais dans son rôle. Ces critiques valent en fait pour tous : les deux reines sont toutes deux plutôt mauvaises, avec une mention spéciale pour Anne Hathaway qui m’a agacé avec ses bras en l’air. Je sais, c’est fait exprès… mais c’est raté je trouve, ça ne m’a jamais fait rire. Le film dans son ensemble, ne m’a jamais fait rire, et pourtant je suis bon public.

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Le bilan est assez terrible pour l’Alice au Pays des Merveilles de Tim Burton. Il était sans doute le mieux placé pour adapter Lewis Carrol sur grand écran, mais il a clairement échoué à mes yeux. Alice valait mieux qu’un sous Narnia sans intérêt. Même l’univers, pourtant habituellement le point fort du réalisateur, est ici d’un ennui aussi abyssal que le terrier qui mène au pays des Merveilles. Pour n’en citer qu’un, Avatar est passé par là avant et il faisait beaucoup mieux en terme d’univers chatoyant. Je ne sais pas si Tim Burton a définitivement perdu son talent, ou s’il s’agissait juste d’un moyen de se garantir une retraite agréable, mais ce voyage merveilleux ne vaut vraiment pas la peine. Alice aurait mieux fait d’épouser ce Lord moche et déplaisant, en ce qui me concerne…

On ne peut pas dire que la blogosphère se soit plus passionnée que moi pour Alice au Pays des Merveilles. Un peu partout, les mêmes déceptions, les mêmes regrets : chez Filmosphère, Myscreens ou encore Showtime, Folks!. Critikat essaie, un peu en vain, de trouver des éléments intéressants dans la mise en scène, mais le constat reste le même, tout comme dans la presse traditionnelle : Télérama par exemple. Notons quelques avis positifs quand même, comme chez Laterna Magika ou chez Geek Culture.


  1. Je précise que j’ai heureusement réussi à le voir en 2D, mais je m’en réfère aux avis glanés sur Internet. Et puis les effets 3D se voyaient à des kilomètres à la ronde, comme ces insectes qui passent vingt fois histoire de bien rentabiliser les lunettes…