The Assassin, Hou Hsiao-hsien

Récompensé à Cannes par le Prix de la mise en scène, The Assassin est un long-métrage surprenant, où l’intrigue est presque secondaire par rapport à la mise en scène et à la photographie, sublime. Hou Hsiao-hsien est un cinéaste de la contemplation et même s’il réalise son premier Wu Xia Pian (équivalent chinois de nos films de cape et d’épée) avec ce film, ce n’est pas un film d’action conventionnel. Pendant une heure quarante-cinq, il ne se passe pas grand-chose et ce qui se passe reste souvent très obscur. Faut-il chercher à tout prix des explications ? Pas nécessairement à dire vrai, même si The Assassin reste bien avant tout une œuvre de fiction, ce n’est pas une œuvre d’art sans scénario. Néanmoins, si vous n’êtes pas prêt à vous laisser porter par un long-métrage souvent obscur — et si vous n’êtes pas en forme —, vous risquez bien de passer à côté de cet objet étrange, mais fascinant.

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Hou Hsiao-hsien commence avec quelques plans en noir et blanc, et déjà The Assassin frappe par sa beauté. Peu de gris ici, mais beaucoup de noir et de blanc : une photographie du contraste qui met encore mieux en avant les deux personnages principaux, l’assassine du titre et son maître, qualifiée de nonne. La première est vécue entièrement de noir, la seconde tout en blanc. Pourquoi ? Inutile d’essayer de chercher un sens, de voir une représentation du bien et du mal, ce serait une mauvaise piste. Le cinéaste ne cherche absolument pas à justifier ses choix, c’est même tout le contraire qui s’opère quand on passe ensuite à la couleur — on comprend néanmoins sans peine qu’après l’évocation du passé, on en vient au présent —, puis modifie son image presque carrée pour adopter un format allongé le temps d’une seule scène. Une séquence apparemment essentielle, où le mythe de l’oiseau bleu est raconté sur un fond musical, mais on revient vite au carré, sans que l’on ne sache très bien pourquoi. Ce sentiment d’être perdu est au cœur de l’œuvre de Hou Hsiao-hsien, il faut bien le dire. On ne sait jamais vraiment qui est qui, ni qui fait quoi et on est même souvent confus, pour ne pas dire totalement perdu, face à une avalanche de noms dans telle scène, ou face à des personnages que l’on ne reconnaît pas nécessairement et qui ne sont pas nommés à chaque fois. Car, autant le personnage de l’assassin et de son maître sont clairement identifiés par la couleur, les autres sont beaucoup plus confus et on s’y perd plus d’une fois. Il faut dire que le cinéaste aime laisser de la distance entre ses caméras et ses acteurs, quitte à filmer derrière des rideaux en mouvement, ce qui est aussi splendide que gênant pour comprendre ce qui se passe exactement.

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N’y a-t-il rien à comprendre alors ? Ce n’est pas si simple, et The Assassin raconte bel et bien une histoire, tout en piochant dans l’Histoire chinoise. Au début, quelques explications donnent le contexte historique : le IXe en Chine, marqué par la dynastie Tang et surtout des régions qui aspirent à l’indépendance. L’intrigue se déploie dans l’une d’entre elles, Weibo, où Tian règne et où Yinniang, l’assassine, revient. On apprend plus tard qu’elle a été laissée à la nonne bien des années auparavant et ce retour doit terminer sa formation. Si la jeune femme excelle aux armes, son cœur est encore trop présent et elle doit tuer son cousin, Tian, pour s’endurcir et entrer vraiment dans la ligue des assassins. Petit à petit, le long-métrage met en place toute une Cour et les intrigues qui vont avec. Il y a Tian qui fréquente une danseuse et qui tombe enceinte de lui, il y a sa femme légitime qui complote avec une sorte de mage pour tuer sa concurrente, et au milieu, il y a Yinniang qui tente de mener à bien sa mission. Au fond, The Assassin ne raconte rien de très différent de ce que l’on trouverait chez Shakespeare, pour trouver un exemple plus proche de notre culture. Tout n’est pas forcément clair au début, et il est probablement recommandé de voir le film en ayant une idée assez précise du cadre général et du rôle de chaque personnage. Même si, à l’arrivée, on peut aussi se laisser porter et ne pas chercher à tout comprendre. Pour y arriver, on peut compter sur cette beauté formelle que l’on a déjà eu l’occasion d’évoquer et qui est presque hypnotisante. Le réalisateur prend son temps, il filme ses personnages à distance et se contente souvent de montrer uniquement un décor, ou paysage. Que l’on assiste à la préparation d’un bain, à une danse ou à l’une des rares scènes de combat, on a toujours quelque chose à regarder et c’est toujours magnifique.

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Qu’on se le dise : voir The Assassin en espérant un film chinois d’action comme Hero ou un Tsui Hark est l’assurance de sortir déçu. Le cinéaste taïwanais est connu pour ses œuvres contemplatives et il ne revient pas après plusieurs années d’absence pour signer un long-métrage différent. The Assassin est lent, majestueux, magnifique et souvent incompréhensible, c’est indéniable. Il faut accepter de ne pas tout comprendre et de se laisser hypnotiser pour en profiter complètement. Ce qui ne veut pas dire que Hou Hsiao-hsien ne dit rien, mais plutôt que le fond historique et les intrigues de Cour sont secondaires. Un film à part, passionnant pour cette raison.