Avatar, James Cameron

D’accord, d’accord, je me rends, je l’avoue, les Na’vis m’ont battu à plate couture. J’étais sceptique, mais en sortant de la salle, je suis plus bluffé qu’autre chose. Certes, l’histoire est aussi originale que celle de Pince-mi et Pince-moi et leur bateau. Mais justement, Cameron essaie de tendre à l’universalité du mythe. Je ne sais pas s’il y parvient, mais c’est très beau à voir.

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Avatar, sans nul doute LE phénomène 2009 pour le monde du cinéma. Ce fut le retour de James Cameron sur les écrans, absent depuis le fameux Titanic, film au succès tellement monstrueux que la simple annonce de ce retour a sans doute fait défaillir plus d’un producteur. Avatar est un film à la hauteur des attentes : le film le plus cher de l’histoire du cinéma, et une révolution technique annoncée à grand renfort de marketing pendant de nombreux mois. Ce serait tout simplement le premier film entièrement numérique vraiment réaliste, et ce serait le début d’une nouvelle ère pour le cinéma, à la hauteur de la couleur ou du son.

Autant le dire, je faisais partie des sceptiques. Déjà, je n’aime pas le matraquage marketing et voir la bande-annonce une bonne dizaine de fois a eu plutôt tendance à m’agacer profondément et à souhaiter la sortie du film, histoire qu’on puisse passer à autre chose (sans compter sur les publicités exploitant le film, c’était vraiment devenu étouffant). Et puis cette révolution technique me semblait vraiment surévaluée : ce monde virtuel me paraissait bien proche de jeux vidéo, et encore pas des plus récents. Bref, je pensais, comme Monsieur Lam, être déçu, voir au mieux un jeu vidéo un peu amélioré avec une histoire à la guimauve qui endormirait même un enfant bon public.

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Et pourtant. Dès les premières images, James Cameron nous plonge dans l’univers de Pandora, univers qui, répète-t-on à qui veut bien l’entendre, se forme dans sa tête depuis une quinzaine d’années, si ce n’est plus. Et effectivement, la magie opère, cet univers follement irréaliste où les arbres s’illuminent à votre passage comme ces tapis de jeux de console pour danser devient crédible. La sensation est difficile à expliquer, mais on a rarement vu au cinéma un monde étranger prendre vie aussi vite, et avec autant d’efficacité. Je ne crois pas que la technique soit responsable en fait, George Lucas avait réussi avec trois bouts de ficelles il y a pas mal d’années. Non, on sent effectivement la très longue maturation pour un monde qui a sa propre logique et qui fonctionne.

On nous projette dans ce monde, et l’arrivée peut être déroutante. Le scénario se fait très léger sur les explications, et c’est un très bon point. Point de discours avec narrateur à la voix grave ou texte déroulant, non le film ne raconte rien, mais montre beaucoup. On comprend ainsi que les hommes sont partis à la conquête de l’espace, on saura plus tard dans le film que la Terre n’est plus qu’un caillou mort, donc on peut comprendre que les humains l’ont plus ou moins abandonnée pour trouver de l’herbe encore verte ailleurs. Sur Pandora, l’herbe est effectivement très verte, luxuriante même dans ce monde manifestement entièrement recouvert d’une jungle épaisse et mystérieuse. Mieux, le sous-sol est plein d’un minerai rare qui s’achète des fortunes. On ne saura jamais à quoi il peut bien servir, peu importe de toute façon, le tout est que les hommes doivent détruire ce magnifique monde pour y accéder.

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Tout irait pour le mieux pour nous autres, humains, s’il n’y avait les Na’vis. Ces autochtones sont en gros très humanoïdes, mais bleus, très grands (facile le double des hommes) et très bien adaptés à Pandora. Ils sont même connectés à tous les arbres pour former un cerveau géant — ça c’est le point de vue pseudo-scientifique — qui se trouve être une sorte de Gaïa améliorée. Ils vivent par elle et ne peuvent vivre sans elle, or justement c’est ce que les humains veulent détruire. Le clash est inévitable et si quelques scientifiques et humanistes ont réussi jusque-là à bloquer la confrontation militaire directe par l’usage des Avatars, le parti belliciste est en train de prendre le dessus.

C’est dans ce contexte tendu que débarque Jake Skully, marine paralysé des jambes qui, à peine sorti de la congélation longue durée pour faire le voyage depuis la terre, apprend que son frère est mort. Son frère était un Avatar, comme ils ont le même ADN, hop Jack le remplace. Un Avatar est en fait un Nav’i dans lequel a été implanté une partie de l’ADN d’un humain, et auquel l’humain en question peut se connecter. Je suppose que l’on peut voir dans cette variation des clones une métaphore sur les OGM. En tout cas, cela fonctionne apparemment très bien et notre ami Jake est très content de retrouver deux jambes fonctionnelles.

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Son rôle, en tant qu’Avatar, est de rapporter au camp et en particulier au commandant militaire sur place, des informations sensibles sur les Nav’is, après les avoir infiltrés donc. Cela tombe bien, Jake tombe par hasard sur une charmante Nav’i, Neytiri, qui le ramène au principal campement Nav’i, suivant par là les conseils de la nature. Le film ne laisse aucun doute sur la suite : frappé du syndrome de Stockholm, Jake finit par s’attacher aux Nav’is et rejeter les humains et leur plan diabolique, jusqu’à finalement mener la guerre contre les humains. Au passage, il tombe évidemment follement amoureux de Neytiri qui se trouve être la fille du chef, et il deviendra aussi un super héros local.

Le scénario prend peu de place, et il est cousu de fil blanc de bout en bout. Les surprises sont rares dans Avatar, mais pas absentes. Peu importe, un scénario complexe ou innovant n’est pas ce qui conduit James Cameron. Bien au contraire, sa volonté me paraît évidente : toucher le plus grand nombre. Certes, cela veut dire gagner plein de sous, parce qu’il faut bien le rentabiliser, ce film le plus cher de l’histoire du cinéma. Mais j’aime penser qu’il n’y a pas qu’une histoire d’argent derrière tout cela. Au contraire, je pense que James Cameron poursuit avec Avatar un travail engagé sur Titanic1 qui est de simplifier au maximum les histoires pour tendre à l’universel. Rien de bien original derrière tout, évidemment, en littérature c’est quelque chose de bien connu, et dans le cinéma aussi, forcément.

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Néanmoins, le déplacement dans un contexte totalement étranger à tout le monde, et donc fondamentalement proche de tous, est une étape de plus qui m’évoque les mythes fondateurs, certes toutes proportions gardées. La quête d’une identité, la trahison d’un clan, le rôle central et actif de la nature… autant de thèmes que l’on retrouverait naturellement dans un mythe. Cet univers étonnant évoque quant à lui les contes, les dessins animés ou Alice aux Pays des Merveilles (Tim Burton aurait pu tourner son film sur Pandora) : la nature a ce côté magique, ce rôle central si typique des mythes. Dans un autre registre, on appréciera le gros travail du film sur les Nav’is. Leur langue et leur culture ont manifestement fait l’objet d’un long travail de recherche qui rend Avatar plus convaincant et pourrait évoquer, là encore toutes proportions gardées, l’ethnologie (or quelqu’un comme Lévi-Strauss a beaucoup travaillé sur les mythes fondateurs, CQFD).

Si l’histoire est globalement connue d’avance, elle ménage néanmoins quelques surprises comme si Cameron avait joué de nos attentes. Ainsi, on imagine bien que quelqu’un va être blessé dans la fusillade qui commence la rébellion des héros, mais on pensait vraiment que les Nav’is allaient sauver la blessée. Las, elle meure d’une blessure trop grave pour être guérie, et c’est une surprise. Je pense vraiment que Cameron s’en est tenu volontairement à un fil très simple, mais en ayant totalement conscience de ce choix assumé. Ça n’est pas juste qu’ils n’avaient pas de quoi payer un scénariste ou deux, pour le dire autrement.

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Venons-en maintenant à la révolution technologique annoncée. Comme souvent, le discours marketing s’est légèrement emporté (et je sais de quoi je parle, je connais bien le marketing Apple…) et parler de révolution est sans doute un bien grand mot. Mais Avatar est loin d’être aussi mauvais que je l’avais anticipé. Comme je l’ai déjà dit, on croit à cet univers merveilleux et la technique n’y est pas étrangère. Il est vrai que les mondes entièrement réalisés en numériques sont désormais parfaitement crédibles même si, par moment, on sent la patte de l’ordinateur. Certains plans font dessinés, à la manière de certains jeux d’aventure (je pense tout particulièrement à ceux de Benoit Sokal) : ça n’est pas moche, loin de là, mais on retrouve alors, de manière souvent fugace, l’origine informatique.

Avatar est le premier film réalisé pour la 3D et à ce titre, ce serait le premier à vraiment l’exploiter. C’était le quatrième film que je voyais en 3D, et j’ai retrouvé les problèmes habituels, même si la technologie a manifestement fait des progrès en quelques mois (ou alors, c’est juste que je me suis habitué). Outre que les lunettes sont inconfortables au possible, l’image en 3D est assombrie et très vite floue, notamment quand une scène comporte plusieurs plans juxtaposés. J’ai été moins gêné avec Avatar, peut-être aussi parce que la 3D ne sert pas à grand-chose finalement, si ce n’est quand même à ajouter un peu de profondeur de champ. Je ne dis pas que ça n’est pas intéressant en soi, mais je trouve qu’il reste encore à inventer un cinéma réellement pensé pour la 3D. Ici, les avantages me semblent réduits face aux inconvénients, et je pense que la 2D suffisait amplement sur 90 % du film, au moins. On ne peut que saluer, néanmoins, l’effort et espérer que la technique s’améliorera à l’avenir.

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Cette critique est déjà dix fois trop longue, mais je ne voudrai pas l’arrêter sans évoquer la très grande maîtrise de James Cameron en matière de mise en scène et de construction cinématographique. On n’en doutait pas vraiment, mais il l’a confirmé avec son film : Cameron est un grand cinéaste capable de véhiculer l’émotion qui a voulu faire passer avec des moyens très efficaces. Avatar est un vrai blockbuster, un film grand public à l’efficacité redoutable et un film qui prend très au sérieux son rôle de divertissement. Nulle réflexion meta-cinématographique ici, juste le divertissement à l’état pur avec une volonté d’atteindre l’universel. Ça fait du bien de temps en temps, et on en oublie même le discours écologique un peu neuneu ou le happy-end final (qui laisse néanmoins planer le doute sur une suite avec retour des humains…). C’est quand même du grand art.

Avalanche de critiques sur Avatar, on s’en doute. Les uns ont adoré, les autres détestés, certains se tenant entre les tirs croisés. Je retiens tout particulièrement la critique de Critikat, très argumentée comme d’habitude ce qui n’est pas toujours facile avec des blockbusters. Alors que Télérama est partagé, les Inrockuptibles (et Jean-Marc Lalanne) ont beaucoup aimé. Pour une fois que leur critique est longue et argumentée, je recommande sa lecture, d’autant qu’elle apporte des éléments intéressants. Bien sûr, le film rejoue la conquête américaine (Indiens vs Américains) mais du point de vue des Indiens ; plus troublant, si l’on comprend la chute de l’arbre comme une métaphore du 11 septembre 2001, alors ce sont les militaires américains qui en seraient responsables. Le scénario est ainsi décortiqué avec plein de bonnes idées… chapeau.

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Et je conclurai sur ce paradoxe personnel. En fait, je ne sais pas pourquoi j’ai l’impression d’avoir tant aimé Avatar. Après tout, quand on y pense, ça n’est qu’une version un peu modernisée de Pocahontas, et dieu sait si j’ai pu détester Pocahontas plus jeune2. Je crois vraiment que James Cameron a su parler au petit garçon fan absolu de Science-Fiction que j’ai été (et que je suis toujours en fait, mais je me soigne). C’est idiot à dire, mais voilà, j’ai retrouvé le plaisir innocent de découvrir un monde et me laisser porter par une histoire…

Bon, et je m’excuse sincèrement pour ce monstrueux et indigeste pavé. Il faudra vraiment que je me soigne un jour…


  1. Euuh, j’ai cherché, mais avec Aliens, le Retour ou Terminator, c’est quand même beaucoup moins évident… 
  2. Ben oui, mais quand on a plusieurs sœurs, c’est pas toujours facile d’imposer le choix du Disney…