Cloverfield, Matt Reeves

Porté par J.J. Abrams, Cloverfield n’est certainement pas le premier long-métrage à se présenter comme un faux documentaire. Ce n’est pas non plus le premier à adopter le style « found footage », où l’on nous fait croire que les personnages filment eux-mêmes ce que l’on voit à l’écran. Néanmoins, le film est incontestablement l’un des plus ambitieux et des plus aboutis dans le domaine. Le scénario est assez banal au fond, puisque Matt Reeves revisite le mythe de King-Kong ou de Godzilla avec une créature qui envahit Manhattan, mais la production est si bien réalisée que l’immersion est totale. Certes, Cloverfield n’évite pas tous les écueils du genre, avec en particulier quelques incohérences majeures qui coupent un petit peu l’illusion, mais force est de constater que le dispositif est bien maîtrisé et fonctionne à la perfection. Huit ans après, il garde toute sa force et reste un modèle du genre.

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Pour donner l’illusion que l’on ne regarde pas un film hollywoodien tourné en studio avec du matériel professionnel, mais le travail d’un amateur avec une seule caméra à la main, il faut tromper le spectateur. Cloverfield le fait très bien en commençant avec un message qui fait très officiel et qui nous présente ce qui suit comme un film amateur sur les évènements associés à « Clover », sans que l’on ne sache encore exactement ce que c’est. Il n’y a pas de générique, aucun nom à l’écran : on entre directement dans le vif du sujet… enfin, pas vraiment. L’excellente idée de Matt Reeves est de retarder autant que possible l’arrivée du monstre et des catastrophes. Avant cela, on la cassette qui pourrait très bien sortir d’un caméscope des années 2000 : puisqu’il y a encore une bande, on a en fait deux séquences qui se mêlent. D’une part, la catastrophe filmée par les victimes du monstre qui va finalement s’abattre sur Manhattan. Mais aussi, filmée auparavant sur la même bande, une journée paisible et banale pour deux personnages, qui n’est là que pour renforcer le réalisme du dispositif. Par ailleurs, Cloverfield ne sort jamais de cette idée que l’on voit l’intégralité de la bande, sans coupure, ni montage. Sa durée est ainsi logiquement courte — une heure et vingt-quatre minutes seulement — et on a souvent des coupures brutales au milieu de l’action, comme on le verrait sur ce genre de films. Par ailleurs, la caméra est censée être tenue en main et le réalisateur ne l’oublie jamais : Matt Reeves n’a pas peur de secouer l’image, et certains spectateurs par la même occasion, à tel point qu’il a fallu mettre des avertissements à l’entrée des salles de cinéma…

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Dans l’ensemble, le dispositif mis en place par Cloverfield est convaincant, même s’il n’est pas parfait non plus. Déjà, la qualité de l’image est vraiment trop bonne par rapport à ce qu’elle devrait être. Le caméscope DV utilisé par les personnages ne devrait pas être aussi efficace, notamment dans toutes les scènes sombres. Sans compter qu’il est aussi extrêmement résistant et il n’est jamais détruit, pas même lors d’une chute en hélicoptère. On pourrait aussi évoquer la question de la batterie, mais tout cela n’a pas vraiment d’importance : après tout, on sait bien que l’on est au cinéma, pas face à un témoignage récupéré par l’armée américaine. En revanche, le scénario manque parfois de jugement et tombe dans des incohérence qui auraient pu être plus facilement évitées. Pourquoi ce personnage avec un pieu à travers le corps est, non seulement encore vivant quand on vient le sauver, mais survit ensuite et peut courir extrêmement rapide quelques minutes plus tard ? Il y a d’autres exemples plus mineurs, mais celui-ci est peut-être le plus grave, car il coupe l’illusion pendant quelques instants. Néanmoins, Cloverfield reste très immersif et toute la première partie, dans l’attente de la bête, est un exemple du genre. Loin de se précipiter, Matt Reeves présente ses personnages à l’occasion d’une fête surprise pour le départ de l’un d’entre eux. C’est une bonne manière de justifier la caméra et surtout le meilleur moyen pour présenter les protagonistes en légèreté, sans trop en faire.

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À l’heure des bilans, ce faux documentaire supposé amateur nous emporte dans une histoire folle, mais qui sait rester crédible jusqu’au bout. Cloverfield n’est pas parfait et son scénario est, au fond, extrêmement banal, mais son créateur maîtrise le dispositif qui l’anime et parvient à emporter l’adhésion des spectateurs grâce à un travail très minutieux du côté de la réalisation et du montage. De quoi sortir ce film catastrophe à base de monstres du lot et le distinguer par rapport aux nombreux concurrents.