The Leftovers, Damon Lindelof et Tom Perrotta (HBO)

Dix ans après Lost : les Disparus, Damon Lindelof signe une nouvelle série sur la perte, mais d’une tout autre nature cette fois. Adapté d’un roman, The Leftovers se construit en effet autour d’une idée très originale : pour une raison mystérieuse, 2 % de la population mondiale disparaît un jour de façon brutale. Des hommes, des femmes et des enfants parfois en très bas âge étaient là un instant, puis ont disparu l’instant d’après. Comme son nom l’indique bien, la série créée à la fois par Damon Lindelof et l’auteur du roman original, Tom Perrotta, ne se concentre pas tant sur ces disparus, mais sur ceux qui restent. Comment gérer un deuil aussi étrange que celui-ci ? Comment accepter ces disparitions sans raison ? Comment vivre quand on a perdu toute sa famille et qu’on est le seul encore vivant ? The Leftovers brasse toutes ces questions avec une première saison sombre et tellement poignante.

The leftovers hbo guilty remnants

Le pilote de The Leftovers ouvre précisément au moment de la disparition. Sur un parking, une jeune mère de famille a du mal à calmer son bébé qui hurle sans arrêt. On la sent au bout du rouleau, fatiguée par cet enfant qui ne semble jamais la laisser en paix et brutalement… un silence. La femme se retourne pour vérifier pourquoi son enfant ne pleure plus à l’arrière du véhicule et elle découvre le siège enfant, vide. Comme elle, on pense alors à un enlèvement, mais la mise en scène élargit alors le plan et montre que l’hystérie de cette mère qui a perdu son enfant n’est pas un cas isolé. Partout, les mêmes cris d’horreur face à une disparition, qui un mari, qui un enfant, qui un frère, parfois qui un inconnu complet qui passait simplement par là. Sans nous donner aucune explication, sans même commenter ce qui se passe, The Leftovers ouvre ainsi avec cette grande disparition, avant de mettre en place son intrigue principale trois années après. D’emblée, Damon Lindelof et Tom Perrotta mettent en place un principe général qui était probablement déjà celui du roman adapté en série : le scénario pose toujours plus de questions, mais ne donne jamais vraiment de réponses. Certes, il ne s’agit que d’une première saison et une suite est déjà prévue, il fallait donc ménager le suspense. Toutefois, on remarque bien que c’est un principe général, une volonté très nette de renforcer toujours plus le mystère qui entoure la disparition et de ne répondre aux questions qu’a minima, le moins possible et le plus tard possible. Les derniers épisodes éclairent ainsi quelques zones d’ombres, mais il s’agit plus de comprendre certains personnages, plutôt que d’expliquer la totalité. Pourquoi ces êtres humains ont disparu au même moment et dans le monde entier ? Sont-ils morts ou sont-ils ailleurs ? Ne comptez pas sur des réponses explicites, et c’est très bien ainsi : la réussite de The Leftovers doit beaucoup à ces silences.

Leftovers justin theroux ann dowd liv tyler

Trois ans après la disparition, la série suit le quotidien de quelques personnages clés. Au cœur de l’intrigue, Kevin Garvey Jr, le sherif de la bourgade de Mapleton où se déroule l’intrigue. Il n’a perdu personne lors de la disparition, en tout cas pas comme tous ceux qui ont disparu physiquement, puisque l’on découvre vite qu’il a perdu sa femme. Laurie n’est pas morte, mais elle a rejoint le groupe des Guilty Remnants, un groupuscule qui considère qu’il ne faut pas oublier tous les disparus et dont la mission est de faire culpabiliser ceux qui sont restés. Ce groupe ressemble fort à une secte, et il est sans conteste l’un des plus gros mystères, et en même temps l’un des points forts de la série. Leurs membres s’habillent entièrement en blanc, ils ne parlent plus jamais et ils fument : voilà pour les traits distinctifs. On n’apprend jamais vraiment pourquoi ils ont toujours une cigarette à la bouche, mais on comprend peu à peu leurs objectifs. Ils veulent empêcher le travail du deuil et de l’oubli, ce que les survivants apprécient moyennement. The Leftovers se construit ainsi beaucoup de l’opposition entre les citoyens de Mapleton et cette sorte de secte qui recrute de plus en plus et qui a la fâcheuse tendance à être insupportable, sans jamais tomber dans la violence. Leur mutisme exaspère et leurs actions coup de poings exacerbent la violence dans la société. Entre les deux, Kevin et quelques personnages secondaires moins essentiels. Mais ce que l’on retiendra surtout de cette première saison, c’est bien cette sorte de secte qui fascine par son absence totale de clarté. D’autant que le scénario a la bonne idée de ne pas tout dévoiler d’un coup, ce qui renforce naturellement le mystère qui l’entoure.

The leftovers amy brennemen ann dowd

Le mystère, c’est bien ce qui caractérise en premier lieu The Leftovers. Si vous aimez les récits clairs et explicites, vous serez probablement déçu, mais si vous appréciez les mystères, si vous acceptez de vous perdre dans un récit sans trop le comprendre, cette série est faite pour vous. Damon Lindelof a parfaitement maîtrisé cette histoire absolument folle et d’épisode en épisode, on en apprend plus, sans jamais tout comprendre. C’est une vraie réussite, mais au-delà du synopsis, cette première saison frappe par sa tristesse. La majorité des séries jouent sur plusieurs niveaux, mais pas The Leftovers qui impose un monochrome absolu en matière de sentiments. La bande originale composée par Max Richter représente bien cette tristesse infinie qui est présente dans chaque épisode. C’est rare qu’une simple musique suffise à susciter de tels sentiments, mais c’est bien le cas ici et la série est extrêmement poignante. Ce qui amène à regretter que la deuxième saison change de cadre et de personnages : on entre dans une communion si intense avec ces habitants de Mapleton que l’on ne voudrait plus les quitter. En cela, The Leftovers est déjà une franche réussite et on a hâte de voir la suite !


The Leftovers, saison 2

the-leftovers-saison-2-justin-theroux

(2 janvier 2016)

La première saison épuisait le roman qui a inspiré la série. Pour la suite, il fallait innover et The Leftovers pouvait aller dans n’importe quelle direction, ce qui était à la fois une bonne nouvelle et une menace. Que faire après ces dix épisodes à la puissance émotionnelle extrême ? Comment éviter la répétition, ou l’affaiblissement ? La réponse, inspirée par la mythique série Sur écoute si l’on en croit Damon Lindelof : surprendre. On retrouve les personnages principaux de la saison précédente, mais cette suite va sur un autre terrain, à la fois dans l’espace et dans l’histoire. On ne se concentre plus autant sur la secte des Guilty Remnants qui est l’un des plus gros points forts de la série, ce qui explique qu’elle n’a pas disparu pour autant et qu’elle fait même un retour en force dans cette suite.

Dix épisodes plus tard, on a découvert une nouvelle famille qui entre au centre de l’intrigue, mais aussi une nouvelle communauté avec ce village du Texas transformé en parc national puisque personne n’y a disparu et de nouveaux enjeux. The Leftovers est moins resserrée avec cette saison qui, contrairement à la première, ne joue plus sur un seul tableau. On n’est plus dans le registre unique de la tristesse, même si la musique si belle de Max Richter accompagne toujours les épisodes. Damon Lindelof et Tom Perrotta osent toutefois d’autres pistes et il y a des choses passionnantes, à commencer par cette communauté à la fois ouverte aux pèlerins qui débarquent tous les jours, par cars entiers, pour découvrir le miracle — c’est aussi le nom du parc — de cette ville où personne n’a disparu, mais aussi fermée sur elle-même. On n’y accède que par un seul pont et la ville est complètement fermée pour empêcher les gens d’y entrer. Tout le monde veut habiter à Miracle, car tout le monde garde en tête la disparition brutale de 2 % de la population, qui a eu lieu quatre ans auparavant. À l’extérieur, la série imagine un camp pour tous les candidats qui veulent goûter au miracle et qui doivent, pour certains, attendre plusieurs mois, au pied du mur.

the-leftovers-saison-2

Avec tous ces éléments supplémentaires, l’intrigue est moins resserrée qu’avant. The Leftovers perd un petit peu de sa force et la pureté de la première saison, finalement très simple, garde une saveur différente. Et puis en choisissant de concentrer la majorité des épisodes sur un seul personnage, les scénaristes ont pris le risque de proposer des épisodes moins forts que d’autres. Mais en même temps, la trame générale reste tout aussi puissante, et en osant, la série parvient à atteindre des niveaux qu’elle n’avait jamais touché jusque-là. Sans rien dévoiler, le huitième épisode de cette saison est époustouflant d’audace et c’est une vraie réussite. Au total, comment faire le difficile face à cette série qui prend le spectateur à rebrousse-poil et monte le niveau d’un cran ? The Leftovers a perdu en simplicité, mais cette nouvelle richesse lui promet un avenir brillant. La troisième et dernière saison est d’ores et déjà programmée, on ne la manquera pour rien au monde…


The Leftovers, saison 3

(28 juin 2017)

Voulant peut-être éviter un effet Lost, la nouvelle série de Damon Lindelof et Tom Perrotta s’interrompt après trois saisons seulement et encore, avec une saison raccourcie à huit épisodes seulement. Il faut bien le dire, c’est un peu triste de quitter The Leftovers si rapidement, mais en même temps, on ne pourra pas reprocher au scénariste de ne pas avoir soigné leur final. Le récit reprend quatre ans après la fin de la deuxième saison, quelques jours avant le septième anniversaire de la Disparition. Les théories les plus folles circulent, beaucoup évoquent la fin du monde et les tensions n’ont pas été aussi fortes depuis des années. De quoi bouleverser la communauté tranquille de Miracle où Kevin a repris ses fonctions à la tête de la police locale. The Leftovers ne bouscule pas à nouveau toutes nos habitudes, en tout cas pas initialement. Car la série portée par HBO conserve son plus gros point fort et parvient à nouveau à surprendre.

Difficile de parler de la troisième saison sans trop en dire. Disons simplement que le scénario nous envoie finalement en Australie, pour un dénouement plein de surprises. The Leftovers apporte finalement quelques réponses dans son ultime épisode déroutant et magnifique, mais avant cela, elle complète avec bonheur ses personnages et leurs parcours psychologiques. Le souvenir de la disparition reste toujours présent et il est toujours aussi difficile à accepter pour la majorité des habitants de la planète. La différence entre une mort classique et une disparition est bien soulignée et le travail de deuil n’est pas du tout le même. Au fond, tous ces personnages ne peuvent pas accepter ce qui est passé, ils ne peuvent pas même vraiment le définir et c’est ça le cœur du problème. La puissance émotionnelle constante de la série vient sûrement de cela : comment oublier un être que l’on aimait et qui a disparu en une seconde, sans pour autant mourir ? Là aussi, Damon Lindelof et Tom Perrotta trouvent une excellente raison à la toute fin et même si le roman original n’a alimenté que la première saison, on sent bien que son auteur est resté dans la boucle et qu’il a participé à l’écriture de l’ensemble. C’est cohérent et satisfaisant, avec un équilibre parfait entre mysticisme religieux et science-fiction.

The Leftovers restera ainsi une série relativement courte, mais d’une puissance rare. En trois saisons, ses deux créateurs ont réussi à imposer tout un univers et des personnages parfaitement écrits à partir d’une idée toute simple. Comment penser, à la lecture du synopsis du pilote, que cette disparition pouvait engendrer une telle histoire ? Portée par la musique si sublime et si triste de Max Richter, The Leftovers est incontestablement l’une des meilleures séries des dix dernières années. À ne rater sous absolument aucun prétexte.