Minority Report, Steven Spielberg

Un an après A.I. Intelligence artificielle, Steven Spielberg revient à la science-fiction avec un film en projet depuis de nombreuses années. Minority Report appartient à la longue liste de films inspirés par le travail de Philip K. Dick. Dans cette dystopie assez proche de nous, la société a trouvé un moyen définitif d’empêcher le crime avant même qu’il ne soit commis. Un excellent point de départ, pour une œuvre noire et réussie : Steven Spielberg signe là l’un des grands films de science-fiction des années 2000…

Minority report spielberg

2054, Washington. Le futur n’est pas très différent de ce que l’on connaît aujourd’hui, mais on a trouvé une arme puissante contre le crime. Une arme imparable même sur le papier : trois êtres dotés d’un pouvoir de prescience voient les crimes avant qu’ils n’aient eu lieu. Une police spéciale, la PreCrime, se rend sur place avant que le mal ne soit fait et arrête le futur coupable, avant même qu’il n’ait agi. Ce système est en place depuis quelques années, et le crime a été réduit à néant : en six ans, pas un seul crime n’a échappé à ce service et la réussite est totale… ou presque. Alors que l’on évoque l’extension du mécanisme au pays tout entier, un meurtre est prévu, mais il concerne cette fois l’un des agents du PreCrime. John Anderton a été engagé dès la création du service, peu de temps après la disparition de son fils. Un jour, il se voit sur l’écran de contrôle, une arme à la main, en train de tuer un homme qu’il ne connait pas : il est un futur meurtrier et doit être arrêté. Brutalement, celui qui poursuivait devient le fugitif que l’on poursuit…

Cette capacité à prévoir les crimes pose un grand nombre de problèmes, techniques et moraux qui sont bien exposés dans Minority Report. L’idée étant d’arrêter le criminel avant qu’il ne commette son crime, le PreCrime condamne un criminel en puissance, mais pas en acte. Il n’y a aucun moyen d’être absolument certain que le crime aura lieu, même si les trois êtres qui voient le futur sont censés être infaillibles. Deux juges assistent à la reconstitution préalable du crime et acceptent la condamnation, sans la présence du suspect. Steven Spielberg ne manque pas de soulever le problème de tout ce mécanisme : que faire alors du libre arbitre. Si le futur est prévisible, le choix est totalement exclu et les meurtriers en puissance peuvent, de fait, être considérés comme des meurtriers de fait. Minority Report montre toutefois que l’absence de choix découle non pas de l’inéluctable progression du meurtre vu par le PreCrime, mais de l’absence d’information. Pour la première fois, le meurtrier en puissance assiste en avance à son crime : John sait qu’il doit tuer quelqu’un, il peut ainsi agir en conséquence et fuir la configuration du crime qui a été prévue. Outre ces problèmes philosophiques que Steven Spielberg n’évacue jamais, Minority Report pose la question de la fiabilité technologique. Aussi fiable soit-il, le système mis au point pour combattre le crime n’est pas totalement sans faille, il peut être détourné pour de bonnes ou de mauvaises raisons. Le film tourne autour d’une enquête pour savoir qui a commis un crime, un crime qui joue et détourne les règles du PreCrime. Peut-on dès lors vraiment faire confiance à une technologie pour condamner un homme ?

Minority report tom cruise

Minority Report s’intéresse plus particulièrement au destin d’un homme. John Anderton a été brisé par la disparition brutale de son fils, six ans auparavant, alors qu’il le surveillait. Le sentiment de culpabilité a été si fort qu’il a brisé son couple et qu’il l’a poussé à s’engager avec le PreCrime. John espère ainsi éviter pour toujours ce qui est arrivé à son fils, mais ce travail ne l’aide pas vraiment et il ne va toujours pas mieux. Après toutes ces années, il continue de regarder en boucle les enregistrements vidéos de son fils et de son ex-femme, tandis qu’il se drogue pour noyer son chagrin. Steven Spielberg renoue ici encore avec les thèmes qui lui sont chers, la famille brisée ou encore la question de la paternité. Ils sont transposés dans un univers futuriste très sombre, mais qu’importe, ils sont toujours aussi essentiels. L’époque et le contexte n’y changent rien, John est un homme brisé et déprimé, si bien que la fin paraît presque trop belle. L’hypothèse d’une fin à la Vanilla Sky n’est pas à exclure, mais Steven Spielberg n’offre aucun élément pour l’appuyer. Véritable happy-end ou non, Minory Report reste un film très sombre et pas seulement par la dystopie qu’il représente, parmi les plus saisissantes du genre. La réussite du film est liée à cette noirceur qui touche non seulement l’univers, mais aussi son personnage principal.

Parmi les plus grands fabricants de blockbusters à succès, Steven Spielberg est peut-être celui qui a le plus changé de genres. Celui qui a en quelque sorte inventé cette catégorie de films fait figure de touche à tout et la science-fiction n’est pas le genre le plus représenté. En 2002, il sort aussi au cinéma Arrête-moi si tu peux, une comédie légère bien éloignée de ce film. Les années 2000 marquent ainsi une rupture dans sa carrière avec pas moins de trois longs-métrages futuristes, parmi lesquels Minority Report est incontestablement le plus réussi. Le cinéaste crée une dystopie particulièrement sombre qui n’est pas sans rappeler l’univers de Blade Runner sorti vingt ans auparavant. On sait que Steven Spielberg a pris grand soin de proposer un univers futuriste crédible, on sait qu’il a engagé à cette fin plusieurs spécialistes et on sait que le futur lui a donné raison1. L’idée de la publicité personnalisée directement dans la rue est aussi excellente qu’effrayante et cet univers est effectivement crédible. La photographie très dénaturée de Minority Report, proche même du noir et blanc, participe à l’ambiance très sombre de l’œuvre. Pour accompagner la crédibilité de l’univers, il fallait de bons acteurs : Tom Cruise assure en policier torturé et Colin Farrell ne démérite pas à ses côtés. Le fidèle John Williams de son côté compose une bande originale assez convenue, mais très efficace.

Minority report steven spielberg

Si Minority Report est réussi, c’est d’abord parce que son univers futuriste nous est si familier. Steven Spielberg a réussi à inventer un univers différent, mais parfaitement crédible et l’utilisation, parfois abusive d’ailleurs, de marques contemporaines participe à cette crédibilité. L’horreur qui y est montrée est alors d’autant plus prenante et le blockbuster réussit ainsi à toucher ses spectateurs. Une vraie réussite qui n’a pas pris une ride…


  1. Le futur a même fait mieux, finalement. Le boîtier Leap qui sortira l’année prochaine permet de contrôler un ordinateur avec les mains, mais sans gant spécial…