Narcos, Chris Brancato, Carlo Bernard et Doug Miro (Netflix)

Netflix n’entend pas seulement servir du contenu, mais de plus en plus en créer aussi. Les séries originales conçues par le service de streaming se multiplient donc et quelques mois seulement après Sense8, c’est une nouvelle création qui est désormais lancée. Cette fois, Netflix revient à l’histoire vraie qui ne lui avait pas vraiment porté chance dans Marco Polo, une série qui gâchait sa superbe reconstitution historique par un scénario bancal. Narcos change de décor, puisque la série se déroule en Colombie, entre les années 1970 et les années 1990. On suit la vie tumultueuse de Pablo Escobar, le célèbre narco-trafiquant qui a envoyé des tonnes de drogue aux États-Unis et qui a été, un temps, l’un des hommes les plus riches du monde. Narcos est un biopic qui oscille constamment entre le documentaire et la fiction, pour une série riche et entraînante, un divertissement de qualité et une œuvre instructive, à ne pas rater.

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Pablo Escobar est un homme fascinant et on comprend sans peine pourquoi une œuvre de fiction lui est consacrée. D’ailleurs, en regardant les dix épisodes de la première saison de Narcos, on se demande souvent si tout ce qui est présenté est réel ou si les scénaristes n’en ont pas ajouté un petit peu. En confrontant le scénario à la réalité historique, force est de constater que la série de Netflix est assez proche de ce qui s’est passé en Colombie. C’est assez affolant, et en même temps impressionnant quand on juge que Pablo Escobar est un enfant pauvre qui n’a grandi avec rien, mais qui avait une idée en tête : devenir millionaire. Il tombe dans la délinquance très jeune, se fait de l’argent d’abord en volant des voitures, puis en travaillant pour d’autres malfrats du coin. À 22 ans, il avait déjà obtenu son premier million de dollars, mais toutes ces premières années n’intéressent pas Chris Brancato, Carlo Bernard et Doug Miro. De fait, le pilote de Narcos ouvre en 1989, alors que la lutte entre Pablo Escobar et les autorités colombiennes aidées par la DEA américaine venue en renfort bat son plein. La Colombie que l’on découvre est littéralement plongée dans la terreur, la population est tuée par millier à cause des attentats du trafiquant et des actions musclées de la police. C’est pratiquement la guerre civile et la série retrace ensuite le processus qui conduit à cette tension extrême. L’occasion de découvrir les principaux faits marquants de la vie de Pablo Escobar, sa découverte de la cocaïne et son ascension extrêmement rapide par la suite. À son apogée, son empire expédie plusieurs tonnes de drogue vers les États-Unis tous les jours et il rapporte aussi des milliards de dollars chaque année. Le scénario ne laisse rien passer et évoque ainsi le caractère impitoyable du trafiquant. Sa devise, « Plata o Plomo » (l’argent ou le plomb) n’est pas devenue célèbre sans raison : Pablo Escobar soudoyait tous les hommes qu’il pouvait, et tuait tous ceux qui résistaient. Avec ce paradoxe, assez bien illustré par la première saison : alors qu’il a à son actif des dizaines de milliers de meurtres, il était vu pratiquement comme un dieu par la population. Il faut dire qu’il savait être généreux et qu’il a effectivement aidé la ville de Medellín, mais à quel prix…

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Comme toujours, Narcos doit sa réussite en premier lieu à ses personnages. Et sur ce point, il faut reconnaître les choix judicieux au casting. Pour interpréter le narco-trafiquant, Wagner Moura a donné de sa personne, mais cela a payé : l’acteur brésilien a pris du poids et appris l’espagnol et à l’arrivée, il est très proche de l’original, sans tomber dans le mimétisme « actor’s studio ». Le Pablo Escobar de fiction apporte toute la complexité psychologique que seule la fiction permet et il faut saluer le travail d’écriture qui a permis au personnage de gagner en épaisseur. Face à lui, l’agent de la DEA Steve Murphy — également un personnage historique — est également très intéressant. Le jeu de Boyd Holbrook apporte beaucoup de complexité à cet homme venu couper l’approvisionnement de drogues à sa source, mais qui perd vite de vue ses idéaux. La Colombie lui fait perdre une part d’humanité et l’idée d’en faire le narrateur dans Narcos est indéniablement très bien vue. C’est toute la série qui gagne en crédibilité avec ces personnages qui ne sont pas totalement noirs ou blancs et on sent bien que l’époque était compliquée et que les choix réalisés par les uns et les autres n’avaient rien d’évident. Dommage dès lors d’entrecouper les épisodes si souvent avec des images d’archive qui, si elles mettent en avant l’excellent travail de reconstitution de la série, nuisent aussi au travail des acteurs. Aussi bons soient-ils, ils ne sont que des acteurs qui incarnent des personnages qui ont existé et la juxtaposition d’images d’archive et de plans de fiction casse à chaque fois l’illusion. Fort heureusement, les acteurs et les dialogues sont suffisamment bons pour que la fiction reprenne ses droits immédiatement et Narcos offre une plongée parfaitement convaincante dans cet univers de mafieux assez terrifiant, il faut bien le dire. Politiciens impuissants et souvent corrompus, policiers également corrompus ou assassinés… Pablo Escobar semble bien souvent tout-puissant dans cette première saison qui raconte une histoire fascinante pour tous ceux qui n’ont pas connu cette période.

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À l’heure des bilans, la première saison de Narcos convainc précisément là où celle de Marco Polo avait échoué. Tournée sur place et dans la langue du pays, la série est toujours parfaitement crédible, à tel point même que l’on pense parfois à une docu-fiction. Ses trois concepteurs semblent en fait hésiter en permanence entre le documentaire et la fiction et ce n’est pas un point faible. Au contraire, Narcos trouve ainsi une voie originale entre les deux genres et la série sort ainsi de l’ordinaire. On est aussi surpris des notes humoristiques qui étaient inattendues, mais qui sont bienvenues. Dans l’ensemble, c’est une excellente saison qui appelle a priori au moins une suite, attendue avec impatience. Netflix retrouve ici son niveau d’excellence, espérons que l’entreprise saura le maintenir ! Et en attendant d’en voir plus, Narcos mérite amplement d’être vue.


Narcos, saison 2

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(6 septembre 2016)

Dès la première saison, Narcos s’est plus intéressée à la lutte des autorités contre Pablo Escobar, qu’à l’ascension du narco-trafiquant. La suite est la conséquence logique de ce choix initial : l’action se déroule au tournant des années 1990, juste avant la mort du malfrat. Une fin de règne qui ne s’est pas faite dans la paix, bien au contraire. Cette nouvelle saison dresse un portrait bien sombre, à la fois de Pablo Escobar aveuglé par ses échecs et qui tombe dans le terrorisme, mais aussi de ses opposants. C’était déjà sous-jacent dans la première partie, mais plus que jamais, la série originale de Netflix présente les forces de l’ordre avec beaucoup d’ambivalence. Il y a ce policier aux méthodes aussi limites que celles des trafiquants et qui n’hésite pas à tuer pour obtenir ce qu’il veut. Et il y a surtout ces extrémistes qui luttent contre la menace communiste et désormais le traffic de cocaïne d’Escobar en tuant sauvagement tous ceux qui travaillent pour lui et tous ceux qui, de près ou de loin, l’ont soutenu. Ils torturent, mettent en scène leurs morts avec une violence inouïe, tout cela avec le silence très perturbant du gouvernement à leur égard. La Colombie du début des années 1990 n’est pas belle à voir, et Chris Brancato, Carlo Bernard et Doug Miro en dressent un portrait assez glaçant.

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Narcos est plus sombre encore avec cette suite et la série gagne en profondeur. Les personnages deviennent encore plus intéressants et en particulier celui de Pablo Escobar, que l’on a parfaitement l’impression de connaître. Dans l’ensemble, cette deuxième saison est excellente et hisse la série à un très beau niveau. Ce qui est plus étonnant, c’est que ses concepteurs ont décidé de ne pas l’interrompre après deux saisons et bien au contraire, Netflix a signé pour quatre saisons au total. Le sujet restera les narco-trafiquants, mais la fin très ouverte du vingtième épisode vend la mèche, on parlera du cartel de Cali, après celui de Medellín. Pourquoi pas, mais l’intérêt de Narcos tenait aussi dans le personnage de Pablo Escobar. La série pourra-t-elle rebondir et rester aussi forte ? Réponse l’an prochain !


Narcos, saison 3

(7 septembre 2017)

Contrairement à ce que l’on pouvait penser dans les premières saisons, Narcos n’est pas une série consacrée à Pablo Escobar. C’est une bonne chose pour Netflix, puisque la série se serait sinon arrêtée à la fin de la deuxième saison, avec la mort du narco-trafiquant. Son sujet est bien plus le trafic lui-même et cette nouvelle saison s’intéresse au cartel de Cali qui a pris le relai après la disparition de leur concurrent. Ils ont non seulement pris le relai, ils ont aussi considérablement augmenté le volume du trafic de drogue en destination des États-Unis, à tel point que l’on peut parler d’industrialisation. Là où Pablo Escobar était un petit artisan à la tête d’une entreprise familiale, le cartel de Cali impose la même rigueur qu’une entreprise où tout est huilé et parfaitement rodé. Le trafic explose ainsi littéralement, mais Narcos s’intéresse comme toujours à la lutte menée par l’agent Peña, le même que dans les deux premières saisons, contre les quatre gentlemen de Cali.

On pouvait craindre que la série perde de son intérêt en perdant un personnage aussi charismatique que l’était Pablo Escobar, mais il n’en est rien. Ses concepteurs trouvent un nouveau souffle et la course-poursuite entre les autorités américaines et le cartel est passionnante. Sur certains points, Narcos fait même encore mieux qu’avant, notamment sur la tension entre les deux camps et sur le côté personnel de la lutte entre les deux camps. Ces dix épisodes seront les seuls consacrés au cartel et la série va partir vers de nouveaux horizons, tout en se consacrant toujours à la drogue. En espérant qu’elle évite la répétition, la série de Netflix mérite en tout cas le détour, ses trois premières saisons sont vraiment plaisantes.