Persepolis, Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud

Persepolis est l’adaptation de la bande dessinée éponyme rédigée par Marjanne Satrapi. L’auteur s’est attaqué avec l’aide de Vincent Paronnaud à la transcription au cinéma de cette œuvre autobiographique. Un pari difficile, mais réussi haut la main : Persepolis est un film d’animation visuellement extrêmement réussi et passionnant sur cette jeune fille qui doit grandir dans une société en guerre. Brillant, à (re)voir sans hésiter.

Marjane satrapi persepolis

Téhéran à la fin des années 1970 : le dernier shah d’Iran connaît ses dernières heures et la Révolution iranienne se prépare. Le pays et ses habitants jouissent d’une plutôt grande liberté, notamment sur le plan religieux, et avec la révolution vient l’heure des espoirs les plus fous. Certains rêvent ainsi d’instaurer dans le pays une révolution communiste semblable à celle qu’a connue l’URSS bien des années auparavant, d’autres rêvent au contraire d’une société musulmane. La révolution est finalement favorable à ces derniers et c’est un État musulman très strict qui se met en place dans les années 1980 en Iran. Au milieu de ces évènements grandit Marjane. La petite fille est née au tout début des années 1970 et elle a pleinement conscience des évènements historiques qu’elle vit, avec ses deux parents et sa grand-mère. Issue d’une famille très libérale, Marjane voit d’un bien mauvais œil les changements subis par son pays : elle doit désormais porter le voile, suivre des cours glorifiant le travail de Dieu et le sacrifice en sa faveur… Marjane a du mal à faire profil bas et alors que l’Irak entre en guerre contre le régime iranien encore faible, ses parents l’envoient en Europe, à Vienne. Marjane a du mal à se faire à cette nouvelle vie en Occident : elle qui a vécu révolution et guerre peine à s’intégrer avec les jeunes de son âge qui se plaignent de problèmes futiles…

Persepolis est un récit autobiographique. On voit d’ailleurs au départ Marjane Satrapi, à la fois réalisatrice du film et personnage principal, en train de se rappeler son enfance dans un terminal d’Orly. Le film déroule ainsi ses souvenirs sur le mode du flashback et Persepolis nous plonge rapidement dans le Téhéran de la fin des années 1970. On suivra ensuite la jeune fille qui devient jeune femme dans ses jeunes années à Téhéran, puis pendant son adolescence à Vienne, avant de la retrouver dans son pays natal quelques années. Le film se termine quand Marjane Satrapi arrive dans les années 1990 en France, pays qu’elle n’a plus quitté depuis. Le film retrace ainsi une bonne quinzaine d’années de son existence, soit en gros toute son enfance consciente. Les Satrapi sont une famille plutôt politisée et Marjane baigne dans un environnement très politique : toute jeune, elle veut devenir une nouvelle prophétesse ; plus tard, déçue par Dieu, elle préfère embrasser une autre sorte de religion, le marxisme-léninisme. Ces problèmes plutôt amusants de la petite fille se muent en malaise à l’adolescence. Marjane est mal dans sa peau, mais pas seulement pour des problèmes physiques ou amoureux comme c’est souvent le cas pour les filles de son âge. Son problème est beaucoup plus profond : rejetée par son pays et sa culture, elle ne sait plus trop comment se positionner et se sent sans foyer. Persepolis montre très bien sa descente aux enfers viennoise, la jeune femme finissant par vivre dans la rue. Un grand désespoir que la réalisatrice sait parfaitement rendre.

Satrapi persepolis

Quand la jeune Marjane qui n’a pas 10 ans invente sa propre religion ou appelle à la révolution marxiste-léniniste, c’est un jeu pour elle. Ce jeu retrouve néanmoins une situation bien réelle : celle de son pays qui est présente en permanence dans le film, ne serait-ce que par ses deux parents qui sont toujours impliqués dans la vie politique du pays. Ce lien entre l’histoire individuelle relatée dans le cadre de l’autobiographie et l’Histoire en marche est toujours maintenu dans Persepolis qui dépasse ainsi son statut autobiographique. Le film est bien plus que l’histoire de Marjane Satrapi par Marjane Satrapi, c’est aussi et surtout l’histoire d’un pays et d’une société. Persepolis montre la Révolution iranienne non seulement de l’intérieur, mais vue par une jeune fille de 10 ans à peine : ce parti-pris est certainement la meilleure idée du film qui parvient ainsi à proposer un point de vue original sur les évènements. On n’avait jamais vu la société iranienne ainsi : contrainte par un État islamique qu’elle n’a pas voulu, elle sait se plier à l’extérieur, en public, mais s’affirmer en privé. Les voiles se défont, l’alcool coule à flot et on s’échange des cassettes d’Iron Maiden sous le manteau. Derrière le voile islamiste et ses interdits, on découvre… la vie, tout simplement. De fat, Persepolis est un film très vivant et même parfois drôle : Marjane Satrapi parvient bien à rendre les contradictions du régime et à les tourner en ridicule. On peut aussi compter sur sa grand-mère, une femme forte et libre qui n’en rate pas une et sort de très drôles grossièretés. Persepolis raconte une partie de l’histoire de l’Iran avec une simplicité confondante : ces années sont troublées, mais le film parvient à les restituer avec une clarté surprenante.

Persepolis reprend le style graphique de la bande dessinée originale, et le résultat est vraiment splendide. Jouant sur un noir et blanc très contrasté, Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud ont travaillé avec une liberté formelle qui fait plaisir à voir. Certains éléments sont très travaillés, d’autres ne sont que des ombres et le film les utilise de façons très variées. Parfois, les burqas changent de forme ou s’allongent, parfois un élément du décor sert de transition vers un autre plan… Persepolis multiplie les idées et étourdit le spectateur devant tant d’audace. L’animation permet beaucoup de choses et Marjane Satrapi l’exploite remarquablement bien. On apprécie aussi le rythme rapide avec de nombreuses ellipses qui dynamisent encore le récit. Récit qui ne serait pas aussi intéressant sans les voix pour le raconter : les deux réalisateurs ont su s’entourer de voix bien connues, de Chiara Mastroianni à Catherine Deneuve, en passant par Danielle Darieux et Simon Abkarian. Heureusement, le récit suffisamment bien tenu pour permettre d’oublier ces acteurs célèbres et ne voir que des personnages.

Persepolis

Avec Persepolis, Marjane Satrapi a brillamment réussi son passage des petites cases sur papier au grand écran blanc. Le changement de technique était loin d’être évident, d’autant que c’est une animation à l’ancienne qui a été choisie. Le résultat en valait la chandelle : Persepolis est un film magnifique, d’une liberté rare, mais aussi passionnant et très clair sur un pays et une époque plutôt compliqués. Si vous ne le connaissez pas, il n’est pas trop tard pour découvrir Persepolis, vous ne le regretterez pas !