Sauvons les SES !

Ancien élève de section ES, ancien élève ravi d’avoir suivi toutes les semaines un enseignement aussi passionnant que les SES, je ne peux que vouloir sauver cette matière menacée de disparition.

Les SES, ou Sciences Économiques et Sociales, est une matière un peu étrange enseignée au lycée depuis 1967. Étrange car elle combine deux champs des sciences humaines, l’économie d’une part, et la sociologie de l’autre. S’il me semble naturel de les combiner, ces deux sciences humaines ont deux histoires séparées et il n’est pas du tout évident, en soi, de les étudier ensemble. D’ailleurs, l’université les distingue clairement et finalement, l’enseignement des SES ne se retrouve que difficilement après le baccalauréat : soit on fait de l’économie, soit on fait de la sociologie, mais plus une étude combinée. Pourtant, cette bi-disciplinarité est, à mon avis, essentielle, bien plus que pour l’histoire-géographie ou la physique-chimie par exemple, et ce pour une raison essentielle : les SES cherchent en quelque sorte à expliquer le monde actuel en cherchant à rendre intelligibles les sociétés contemporaines et l’économie, élément central de ces sociétés s’il en est. Ainsi, les SES sont très politiques : en posant de vraies questions de société (sur le chômage, la croissance, ou encore la reproduction sociale), les SES forment en fait des citoyens, et ce bien plus efficacement que l’ECJS (Éducation Civique Juridique et Sociale) dont c’est pourtant le rôle officiel.

Dans mon cas, les choses sont bien claires : il y a eu un avant et un après SES. Brusquement, j’ai vraiment compris, car analysé, décrypté, les journaux télévisés ((D’ailleurs, depuis, je ne les regarde plus… :D)), l’information en général, mais aussi les discours politiques. Avant les SES, la politique se résumait pour moi aux Guignols et je trouvais ça plutôt marrant sans y comprendre grand chose. Après la SES, je préfère toujours les Guignols (ou le Canard enchaîné) mais parce que j’ai pris conscience des limites des voies « officielles » de l’information. Peut-être que je serais arrivé au même résultat sans jamais faire de SES, mais le processus aurait été alors, sans nul doute, plus long et pas forcément aussi complet. Le double point de vue économique et social me semble satisfaire totalement à l’objectif d’étudier nos sociétés actuelles, même si les sciences humaines forment un tout indispensable. Mais mon regard sur l’histoire par exemple a changé avec les SES : j’ai compris que l’histoire ne se résumait pas à une succession de rois ou de chefs d’état ainsi que de grandes batailles, mais que l’histoire était d’abord une histoire de sociétés humaines. Et plus généralement, la sociologie m’a beaucoup appris : on découvre que les autres ne pensent pas comme nous, ne voient pas les choses de la même façon que nous et que c’est parfaitement normal. Mais on découvre aussi, par exemple, que l’école ne peut fonctionner que parce que l’on a accepté et intériorisé un comportement bien spécifique : je me souviens d’un cours pendant lequel notre professeur nous dit que son cours n’est possible que parce qu’on le veut bien, et que si on ne le voulait pas et que nous nous levions et bougions au lieu de rester assis et tranquille, elle ne pourrait rien faire. Quelle autre matière dit ce genre de choses ?

Ainsi, selon moi, les SES ne devraient pas être une option parmi d’autres en seconde, cette matière devrait être au contraire obligatoire pour tous les élèves ! Avec un enseignement de SES, l’ECJS ne sera plus vraiment nécessaire et je pense que les élèves y gagneraient beaucoup.

La réalité est toutefois bien différente. Loin d’aller dans mon sens, le monde politique songe plutôt, dans son ensemble, à réduire au maximum les SES, voire à les faire disparaître, au moins dans leur forme actuelle. Sous l’impulsion notamment de quelques chefs d’entreprise, qui voient d’un mauvais œil l’enseignement actuel des SES ((Et on les comprend, les SES forment aussi, quelque part, des employés désagréables car au courant de leurs droits et connaissant assez bien les rouages de toute entreprise…)). Ils font donc pression auprès des instances politiques pour tendre l’enseignement des SES vers la pure micro-économie, c’est-à-dire, pour faire simple, l’étude économique à l’échelle d’une entreprise ou d’un individu. Cette économie-là a sa place, bien sûr, dans les SES mais ces dernières ne s’y résument pas et sont beaucoup plus ambitieuses en essayant d’analyser les choses d’un point de vue macro-économique (une analyse macro-économique étant une analyse plus globale, qui étudie les relations entre le revenu, la consommation, le chômage ou d’autres éléments de ce type, et qui en tout cas analyse les choses pour tous les acteurs économiques (entreprises, ménages, État, etc.) d’un espace considéré). Ce point de vue seul permet de comprendre les politiques économiques par exemple, ou encore les thèses keynésiennes.

Devant ces pressions, le gouvernement actuel prévoit une réforme profonde des programmes à partir de 2009. Dans cette réforme, les SES restent mais changent en profondeur et tendent à être éclatées en « modules » jugés plus utiles aux élèves. En clair, cette réforme viserait à abandonner le point de vue global actuel, au profit de points de vue beaucoup plus réduits, supposés plus utiles ((Par des chefs d’entreprise, là est bien le petit problème quand même…)). Ce serait une catastrophe pour la matière qui n’aurait alors plus vraiment de sens. Les SES n’ont pas pour but de former de futurs chefs d’entreprise !

Les professeurs de SES et les universitaires ne restent pas les bras croisés face à cette menace et ont décidé d’agir. Une pétition est disponible pour défendre les SES dans leur formule actuelle, à cette adresse : http://www.apses.org/petitions/index.php?petition=2

Mais les SES nous apprenant à avoir un regard critique sur le monde contemporain, je ne vous encourage pas à signer cette pétition sans vous renseigner sur le sujet. Pour cela, deux articles sur Internet éclairent brillamment le problème. D’une part, l’APSES (Association des Professeurs de Sciences Économiques et Sociales) a publié un article de trois pages exposant la situation en trois points : l’intérêt constaté à de multiples reprises des élèves qui suivent les SES d’une part, et leur succès post-bac d’autre part ; un rappel des critiques à l’égard des SES ; et un exposé des dangers de la réforme. Vous trouverez cet article en format PDF à télécharger à la fin de mon article. Par ailleurs, un autre article, publié par le MAUSS (Mouvement Anti-Utilitariste dans les Sciences Sociales) est aussi très intéressant et se concentre plus sur les aspects universitaires de la question, montrant comme cette réforme met en danger, aussi, les sciences sociales dans leur ensemble à l’université, au moins dans leur aspect multi-disciplinaire. Comme pour le précédent, vous trouverez un PDF à télécharger en fin d’article.

Ces deux articles sont complémentaires pour bien comprendre le problème soulevé par cette réforme. Je vous en recommande la lecture pour décider ensuite si vous pensez que les SES valent la peine d’exister ou non. Je vous ai donné mon avis d’ancien lycéen, je sais qu’il serait partagé par bon nombre de mes anciens camarades, mais que vous ayez fait des SES ou pas, peu importe, ce sont ici des problèmes de société plus vastes qui sont invoqués. Si vous souhaitez aider à maintenir en l’état les SES, vous pouvez ajouter votre nom à la pétition, mais aussi et surtout parler de ce problème autour de vous. Plus les personnes au courant seront nombreuses, plus le mouvement aura des chances d’aboutir à un succès…

Et si vous voulez voir les arguments dans un style plus léger, je ne peux que vous recommander la chanson créée pour l’occasion par l’APSES dont voici un petit karaoké…


Fichiers à télécharger

Article de l’APSES :

[download id= »2″]

Article du MAUSS :

[download id= »1″]