Tigre et Dragon 2, Yuen Woo-ping

Comment passer après un film culte, un chef d’œuvre du genre même pour certains, sans risquer les critiques ? Depuis sa sortie en l’an 2000, Tigre et Dragon reste une référence en la matière, un film de combats dans l’esprit du combat de sabre chinois — le Wu Xia Pian — avec des duels aussi impressionnants que magnifiques, mais aussi une très belle double histoire d’amour. Ang Lee signait un long-métrage aérien et poétique, bref, une vraie réussite qu’il allait être difficile de reproduire. Pourtant, c’est ce qu’essaie faire cette suite sortie 16 ans après l’original, exclusivement sur Netflix. Le service de streaming n’a pas fait les choses à moitié, en reprenant Michelle Yeoh dans le rôle principal et en faisant appel à Yuen Woo-ping, le chorégraphe du premier volet, pour la réalisation. Malheureusement, Tigre et Dragon 2 est un échec et pas seulement parce qu’il souffre de la comparaison avec son illustre prédécesseur. La laideur de sa photographie esthétisante n’arrange rien, mais c’est surtout l’absence de vision de la part d’un bon réalisateur qui se fait sentir. Personnages inexistants, intrigue sans intérêt… la suite de Tigre et Dragon ne dure qu’une heure trente, et pourtant on s’ennuie ferme.

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Difficile de ne pas évoquer le premier volet de ce qui s’apparente à une saga1, et il faut bien reconnaître que la comparaison ne se fait pas du tout en faveur du film de Yuen Woo-ping. La vision poétique d’Ang Lee, sa réalisation subtile et sa direction d’acteurs toute en douceur, tout cela manque cruellement dans ce Tigre et Dragon 2, qui ressemble plus à une caricature du précédent opus. Inutile de lister toutes les différences qui jouent en défaveur de ce nouvel épisode, mais citons celle qui est la plus évidente, disons même celle qui saute aux yeux dès les premières secondes. Sans doute pour respecter l’esprit de bon nombre de Wu Xia Pian récents, qui ont fait des combats très esthétiques leur marque de fabrique, le cinéaste a choisi de modifier les couleurs de son film, mais le rendu est… très particulier. C’est une affaire de goût, certes, mais comment justifier que l’herbe soit vert fluo sur certains plans, et bleue dans d’autres ? L’ensemble manque de logique, mais on a souvent l’impression de regarder un image maltraitée par un filtre Instagram bien mal réglé et c’est souvent gênant, à la limite de la lisibilité. On est loin, bien loin, du vert de la séquence mythique de combat dans les bambous de Tigre et Dragon, ou bien, pour prendre une autre référence, de toutes ces scènes si sublimes de Hero. Ce qui est gênant, c’est que cette quête esthétique bien mal maîtrisée n’est pas nécessaire, mais elle est superflue et même encombrante. Et puis elle ne met que mieux en valeur les décors numériques, pour le coup vraiment hideux, qui sont malheureusement omniprésents à l’image. On a l’impression d’avoir affaire à un petit budget, ou bien à un de ces films qui abusaient des images de synthèse il y a quelques années. Quant au choix de tourner en Nouvelle-Zélande, il se fait aussi sentir : certaines chevauchées évoquent un petit peu trop Le Seigneur des Anneaux… c’est bête.

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Ce n’est pas le seul défaut de Tigre et Dragon 2, qui accumule en fait les mauvais choix, et pas seulement techniques. Probablement pour plaire à une plus large audience, le long-métrage a été tourné en anglais, ce qui est dommage, d’autant que le premier volet avait opté pour le mandarin, bien plus adapté au contexte. Et puis certains acteurs accusent leur origine occidentale et peinent à faire illusion, c’est le cas en particulier de Natasha Liu Bordizzo, une australienne, certes fille d’une chinoise, mais aussi d’un italien. Mais le plus grave, c’est certainement le traitement des personnages : là où Ang Lee laissait toute la place nécessaire à ses héros pour qu’ils gagnent en épaisseur, Yuen Woo-ping se contente de caricatures. La scène dans la taverne où la compagnie des gentils se forme est particulièrement caricaturale, à tel point que l’on croit voir une alliance de superhéros avec, pour chaque personnage, des caractéristiques bien établies d’emblée. C’est d’un intérêt nul et le scénario ne fait rien pour se sortir des ornières que l’on envisage dès le départ. Tigre et Dragon 2 ne raconte pas grand-chose au fond — après tout, le seul enjeu est l’épée verte qui n’était que secondaire dans le premier film — et cela se voit. Tout est assez ennuyeux, assez prévisible et en même temps, étrangement décousu, comme si Yuen Woo-ping n’avait pas su tisser les liens entre chaque scène. On pourrait continuer l’argumentation encore longtemps, mais c’est inutile : ce n’est pas le scénario banal, ni les personnages résumés à quelques clichés qui viennent sauver le projet.

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Tigre et Dragon 2 aurait-il été mieux considéré s’il n’était pas la suite du long-métrage réalisé par Ang Lee ? Peut-être que l’on aurait été plus indulgent, mais à l’heure des bilans, les défauts sont trop nombreux et trop gros pour que l’on passe outre. Il faut bien le dire, c’est raté et ce n’est pas en multipliant les clins d’œil, souvent trop appuyés d’ailleurs, au premier film que celui-ci s’en sort. Bien au contraire, Yuen Woo-ping ne cesse de rappeler qu’il est moins bon que son prédécesseur2, ce qui n’était vraiment pas la meilleure idée. Même les combats, pourtant la spécialité du réalisateur, ne sont pas géniaux et tombent souvent dans la caricature. Bref, mieux vaut s’éviter cette suite poussive et (re)voir Tigre et Dragon !


  1. Et qui pourrait s’étendre encore, si l’on en juge à la fin très ouverte de ce long-métrage… Espérons que les producteurs renoncent à cette idée un peu folle. 
  2. Ne dressons pas une liste exhaustive, mais les points communs entre ce volet et le précédent sont très nombreux. À commencer par le fait que l’on a deux duos amoureux et encore une fois l’amour interdit.