Le Voyage d’Arlo, Peter Sohn

Pour la première fois de son histoire, Pixar ne s’est pas contenté d’un seul long-métrage cette année. Après Vice Versa sorti peu avant l’été, Le Voyage d’Arlo se charge de prendre la relève pour la fin de l’année et la période des fêtes. Deux Pixar, certes, mais à l’arrivée deux long-métrages totalement différents. Alors que le précédent était très original et aussi plutôt mature, presque trop adulte pour les plus jeunes, ce nouveau film d’animation est beaucoup plus conventionnel et tourné vers les enfants. Cette quête d’un dinosaure pour retrouver sa famille évoque plutôt tous les classiques Disney que les précédentes réalisations du studio et l’histoire reste globalement au premier degré. De fait, on a un petit peu de mal à retrouver le Pixar des meilleurs films ici, même si le long-métrage de Peter Sohn s’autorise quelques séquences plus sombres que l’on n’attendait pas forcément. À l’arrivée, Le Voyage d’Arlo plaira surtout aux plus jeunes, mais le spectacle est plus impressionnant que jamais.

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Le Voyage d’Arlo n’a pas commencé sous la direction de Peter Sohn, qui réalise d’ailleurs son premier long-métrage après une longue carrière d’animateur chez Pixar. À l’origine, c’était un projet lancé par Bob Peterson et il devait sortir beaucoup plus tôt : le travail commence dès 2009, pour une sortie prévue en 2013. Cette cuisine interne n’est pas seulement anecdotique, elle montre aussi que ce long-métrage a eu du mal à sortir du studio. Et ce n’est pas pour une raison technique, mais bien parce que le point de départ imaginé par Bob Peterson n’aboutit nulle part. Le scénario a manifestement posé beaucoup de problèmes et la version finalement sortie dans les salles en 2015 n’a apparemment rien à voir avec les plans initiaux. Ce point de départ est assez génial, il faut bien le reconnaître : et si la météorite qui a frappé la Terre il y a quelques dizaines de millions d’années n’avait pas atteint son objectif ? Les dinosaures n’auraient pas disparu de la planète dans la foulée et ils seraient aujourd’hui toujours aussi nombreux sur Terre. En poussant cette idée jusqu’au bout, on remet en cause la place des humains : l’évolution a fait son travail, mais l’humanité n’a pas eu l’opportunité de croître autant qu’elle l’a fait en l’absence des dinosaures. Et Le Voyage d’Arlo présente d’ailleurs un univers étrange, où l’agriculture et la vie sédentaire sont le fait, non pas d’humains, mais de dinosaures. On découvre ainsi une famille de diplodocus qui vit dans une ferme où l’on cultive le maïs, stocké dans un silo pour l’hiver. Et s’il y a bien des tyrannosaures, ce ne sont pas les créatures sanguinaires que l’on attendait, mais des ranchers qui surveillent du bétail dans le Grand Ouest américain où se déroule l’action. Plus tard, quand un enfant humain apparaît, il est considéré comme une petite créature, un nuisible que l’on tue au même titre qu’un rat pour éviter de perdre une récolte. De la même manière, les dinosaures parlent entre eux et sont civilisés, alors que les humains grognent et se comportent comme… des animaux de notre point de vue.

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Cette inversion est vraiment très bien trouvée et on retrouve bien, sur cette idée de départ, le génie des scénaristes Pixar. Malheureusement, ce qu’ils ont fait de cette base est beaucoup plus conventionnel et, on peut le dire, un petit peu décevant. Le Voyage d’Arlo ne raconte rien de bien original et on peut résumer son fil narratif à une relecture de certains classiques Disney, en version dinosaure. Arlo qui perd son père avant de se retrouver très loin de chez lui, cela ne vous rappelle rien ? On pense évidemment au Roi Lion et s’il y a pire comme référence, indéniablement, on avait l’habitude d’histoires plus originales et plus osées de la part du studio. Reconnaissons tout de même que le voyage du personnage principal est bien mené, avec à la fois la menace de la nature qui est parfaitement rendue et aussi le lot habituel de méchants qui sont autant d’obstacles à surmonter. C’est une quête très classique, qui parlera surtout aux plus jeunes et laissera sans doute leurs accompagnateurs un petit peu plus indifférents. L’esprit Pixar n’est jamais loin malgré tout, avec quelques scènes plus violentes qu’on ne l’aurait imaginé et surtout une maîtrise parfaite des émotions. Le studio est passé maître dans l’art de susciter des émotions avec n’importe quel personnage, y compris si ce n’est qu’un objet — la saga Toy Story en est le parfait exemple — et il s’est surpassé à nouveau avec Le Voyage d’Arlo. On imagine sans peine que la mort du père humidifiera quelques yeux, tandis que l’amitié entre Arlo et Spot, le garçon, devrait faire craquer une bonne partie des spectateurs. Encore une fois, il faut bien accorder à Pixar ce savoir-faire et même si l’on reste assez étranger à la quête du dinosaure, son histoire est effectivement touchante. On aurait aimé que Peter Sohn et les scénaristes trouvent une voie moins conventionnelle, c’est vrai, mais l’histoire qu’ils ont racontée va droit au but, on ne peut pas le nier.

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Cette fois, Pixar ne surprend pas sur le fond, mais Le Voyage d’Arlo reste bluffant sur la forme. L’animation progresse régulièrement et on avait l’habitude de voir le studio exceller dans ce domaine, mais le progrès effectué sur ce long-métrage est ahurissant. On sent qu’une étape supplémentaire a été franchie, non pas pour les dinosaures qui ont tous des traits simplifiés assez proches du dessin animé, mais pour les décors. Plusieurs plans sont si bien dessinés que l’on a vraiment l’impression de quitter l’animation et d’entrer dans l’image réelle. Et pourtant, tout a été généré avec des ordinateurs, mais cela ne se voit pas toujours… et c’est bluffant. À défaut d’avancer avec une histoire nouvelle, Le Voyage d’Arlo se permet au moins de marquer une étape supplémentaire sur ce point : espérons maintenant que la prochaine réalisation du studio retrouvera l’audace d’un Vice Versa, avec la maîtrise technique du long-métrage de Peter Sohn. D’ici là, ce Pixar est un excellent candidat pour un film à voir en famille pendant les fêtes…