Zootopie, Byron Howard, Rich Moore et Jared Bush

Pour son cinquante-cinquième classique, Disney revient à l’un de ses points forts en imaginant un univers décalé, où des animaux anthropomorphes remplacent totalement les humains. C’est l’une des plus vieilles idées du studio, puisqu’elle était déjà exploitée par Dumbo dans les années 1940, même si cette fois les animaux s’habillent et se comportent comme des hommes, une idée qui revient au Robin des Bois des années 1970. Dans tous les cas, ce retour en arrière avait de quoi faire peur et on craignait le pire pour Zootopie. Pourtant, le résultat dépasse largement les attentes et on se demande bien comment le studio a réussi à obtenir un tel résultat. Le long-métrage signé Byron Howard, Rich Moore et Jared Bush — tous des réalisateurs et animateurs de l’écurie Disney — est une réussite sur toute la ligne et le film frappe même par son audace. Alors qu’il porte un message de tolérance qui aurait pu être niais au possible, Zootopie s’en sort haut la main grâce à son ton décalé, son scénario parfaitement écrit et une technique irréprochable. Voilà un projet maîtrisé et tenu jusqu’au bout, voilà un classique qui fait plaisir et que l’on recommande inconditionnellement. À voir avec toute la famille, sans hésiter !

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Zootopie est très proche de Robin des Bois par son principe de base : certes, il n’y a que des animaux, mais ils se comportent tellement comme des humains qu’il est évident qu’ils ne sont que des analogies de notre société. D’ailleurs, l’affiche le signale avec malice en évoquant « une folle histoire de complot et de corruption… avec des animaux. » Et c’est précisément ce que l’on a : une enquête policière autour de multiples disparitions, menée par un lapin détective et un renard escroc. L’intrigue se déploie à Zootopie, la capitale où tous les animaux peuvent vivre en harmonie. Il y a un maire, un métro, des musées et même une préfecture où l’on peut obtenir des informations sur une plaque d’immatriculation à condition d’être très (très) patient. Pour autant, les trois réalisateurs ne se contentent pas de remplacer des humains par des animaux, l’animalité de leur personnage est un élément central, un moteur de l’action et même l’enjeu central de Zootopie. Dès le départ, la question de la vie en commun des animaux est posée à travers les yeux de la petite Judy, une lapine qui se rêve en policière depuis la plus tendre enfance. Oui, mais voilà, aucun lapin n’a été policier, les lapins ne sont pas faits pour être policiers. Cette idée, profondément ancrée dans la société et notamment dans l’esprit de ses parents qui la poussent à planter des carottes comme eux, est le premier ingrédient de ce qui s’avère être le plat de résistance du long-métrage. Comment des animaux qui vivaient autrefois à l’état de nature, entre prédateurs et proies, peuvent aujourd’hui vivre en harmonie ? Judy doit affronter des préjugés tenaces sur le rôle de chaque animal et prouver à elle-même, à sa famille et bientôt au monde, qu’un lapin peut aussi faire un très bon détective. Ou qu’un paresseux n’est pas condamné à travailler comme fonctionnaire à la préfecture. Ou alors qu’un renard n’est pas nécessairement mauvais. Les préjugés et le racisme sont au cœur de Zootopie et contre toute attente, le studio parvient à passer son message sans tomber dans le débile niais.

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Comment un tel miracle est-il possible ? La réponse est à la fois extrêmement simple, et d’une infinie complexité. Plutôt que de parier sur une histoire mignonne que les enfants sont censés aimer — et qu’ils aiment, le succès de La Reine des Neiges l’a suffisamment prouvé — les scénaristes ont imaginé une histoire solide et complexe, une histoire que l’on retrouverait sans peine dans un long-métrage dédié aux adultes et que l’on est presque surpris de suivre dans un film d’animation. Quand Judy commence son nouveau travail à la police, elle est d’abord chargée de la circulation, puisque son patron le buffle Bogo1, ne croit pas qu’elle soit capable de faire autre chose. Par un heureux concours de circonstance, elle se retrouve finalement à la tête d’une enquête pour retrouver un animal disparu et force un renard à travailler avec elle. Revissant le sempiternel duo de flics, Zootopie avance ainsi sur le mode de la parodie, avec une enquête qui n’est pas sans évoquer la grande époque du film noir et des clins d’œil à d’autres œuvres, du Parrain à Breaking Bad, un procédé que l’on connaît désormais bien, mais qui n’est jamais gratuit ici. Certes, Byron Howard, Rich Moore et Jared Bush savent jouer sur les clins d’œil à notre société pour faire rire, et la scène à la préfecture est l’un des sommets du film précisément pour cette raison, mais il n’empêche qu’ils restent strictement au service de leur histoire. C’est probablement ça, la grande force de long-métrage : ne pas multiplier les références pour tenter de faire rire le plus souvent les adultes dans la salle et ne pas essayer d’accumuler les gags visuels censés amuser les enfants devant l’écran. Non, Zootopie reste concentré sur son histoire principale et le film prend le temps de poser ses personnages qui obtiennent une épaisseur psychologique que l’on n’a pas toujours l’habitude de voir dans ce genre d’exercice. En particulier, la relation entre Judy et Nick est très belle, leur amitié est sincère et crédible et l’écriture de ces deux personnages, toute en finesse, est un modèle du genre. On est au niveau de ce que Pixar atteint à son meilleur, ce qui est probablement le meilleur compliment que l’on peut faire à ce long-métrage mené au sein des studios Disney…

Avec tous ces points forts, Zootopie impose sa morale avec une facilité déconcertante. L’appel à la tolérance et la célébration de la différence se fait avec un tel naturel et le spectateur, pris au dépourvu, ne peut que s’enthousiasmer par la puissance du message. On est si loin de la lourdeur escomptée que l’on se laisse plus facilement attendrir et même la chanson de « Gazelle », cette star inspirée et interprétée par Shakira, passe très bien à deux reprises. À l’heure des bilans, il faut bien saluer le courage de Disney, qui a osé se rendre sur un terrain où l’on avait plus l’habitude de voir Pixar et qui le fait merveilleusement bien. Zootopie avait de quoi rendre sceptique, mais force est de constater que le dernier long-métrage du studio est une réussite sur toute la ligne. Comme quoi, prendre des risques paye et on espère bien que les suivants seront à la hauteur de cette réalisation. D’ici là, ne ratez surtout pas ce cinquante-cinquième classique, il est excellent, tout simplement !


  1. Dans la version originale, c’est Idris Elba qui lui prête sa voix et c’est un choix parfaitement trouvé. Il y a quelque chose dans ce buffle qui évoque tout à fait l’acteur et sa voix s’accorde idéalement au personnage… il n’y a rien à redire !