20 000 jours sur Terre, Iain Forsyth et Jane Pollard

Nick Cave avait 55 ans lors de l’enregistrement de Push the Sky Away, le quinzième album créé avec son groupe, The Bad Seeds. Cinquante cinq ans, soit à peu près 20 000 jours passés sur la Terre, ce qui a donné son titre à cet étrange objet cinématographique, en permanence entre la fiction et le documentaire. Iain Forsyth et Jane Pollard ont imaginé une journée type pour la rock-star australienne qui habite désormais à Brighton, sur la côte britannique. Écriture, rendez-vous chez le psychiatre, répétitions pour l’album, repas avec Warren Ellis qui compose toutes les musiques du long-métrage avec lui… 20 000 jours sur Terre plonge dans l’intimité de l’artiste, sauf que tout est écrit et préparé en avance, comme dans une fiction. Le résultat est peut-être difficile à classer, mais ce film est une plongée brillante dans l’arrière du décors et il parvient très bien à cerner le plus difficile à comprendre : la création et ses origines. Une très belle réussite, à recommander à tout le monde et pas seulement aux fans.

Choisir une journée, la 20 000e en l’occurrence, pour résumer toute une vie est un exercice nécessairement vain. Le tournage du long-métrage s’est d’ailleurs étalé sur une année entière, et pas seulement à Brighton où vit Nick Cave, mais aussi en Australie le temps d’un concert et dans le sud de la France où l’album a été enregistré. Néanmoins, ce dispositif permet à Iain Forsyth et Jane Pollard de montrer l’intimité de leur sujet, et surtout d’essayer de cerner le processus créatif, ce qui est souvent le plus difficile à montrer. 20 000 jours sur Terre ne fera pas de vous des compositeurs et paroliers aussi talentueux que peut l’être Nick Cave, mais le film parvient par moments à donner une idée précise de la création à l’œuvre. On voit le chanteur sur sa machine à écrire, plus tard on le retrouve à un piano avec Warren Ellis et puis le groupe entier au studio. Petit à petit, la chanson prend forme dans sa tête et puis pour les spectateurs, jusqu’à la représentation face au public. On aimerait en savoir encore davantage, rester plus longtemps dans ce studio pour savoir comment la musique se forme, comment le morceau final apparaît et s’impose comme une évidence, mais 20 000 jours sur Terre est trop court et les deux réalisateurs s’intéressent aussi à la personnalité de leur sujet. À travers un faux rendez-vous chez le psychologue, Nick Cave se dévoile, évoque son enfance, le rôle de son père et l’importance des souvenirs. Écrire une chanson, explique-t-il, c’est fixer un souvenir dans le temps, le bloquer et en faire une histoire, un mythe. À un moment, le changeur explique que ses chansons sont toujours centrées sur les personnes, à un autre qu’il a inventé un univers étrange où une divinité existe alors qu’il n’y croit plus dans la vie. Autant de petits éléments qui, mis bout à bout, permettent d’entrer au cœur de l’homme autant que de l’artiste et c’est la plus grande réussite du projet.

Avant de réaliser ce long-métrage, Iain Forsyth et Jane Pollard sont deux artistes contemporains qui ont beaucoup travaillé avec la vidéo. Cela se voit dès le premier plan de 20 000 jours sur Terre, l’image est toujours soignée et réfléchie. Aucun élément n’est laissé au hasard et les deux réalisateurs parviennent à créer une ambiance très particulière dès le départ. Techniquement, c’est une vraie réussite et ce n’est pas pour rien que le projet a été récompensé pour son montage et sa réalisation au festival de Sundance. Ce qui est le plus impressionnant peut-être, c’est que toutes les scènes sont fausses, à part les séquences au studio d’enregistrement et les quelques séquences de concert à la fin. Du réveil au passage aux archives personnelles de l’artiste, en passant par le psy, le repas chez Warren Ellis et les trajets en voiture, tout est scénarisé et faux, et pourtant, on l’oublie vite. Si vous ne saviez pas qu’il s’agissait d’un documentaire, vous passeriez totalement à côté de la fiction. C’est assez surprenant et c’est la preuve de la maîtrise technique du projet, sachant que c’était l’ambition originale d’Iain Forsyth et Jane Pollard : ils ont écrit le moins possible pour initier une discussion et la laisser ensuite se dérouler. Certains moments vraiment magiques du film, notamment lorsque Nick Cave raconte l’anecdote du concert avec Nina Simone, n’étaient pas prévus à l’avance. C’est certainement pour cette raison que 20 000 jours sur Terre semble aussi vrai, il reste au fond plus proche du documentaire que de la fiction et il parvient à raconter avec justesse qui est cet artiste, comment il travaille et pense. Les échanges dans la voiture, le retour sur sa jeunesse berlinoise, le récit de son travail avec Kylie Minogue1, la transformation de l’homme Nick Cave en bête de scène pendant les concerts… il y a énormément de choses à apprendre et même si l’on n’est pas un fan absolu du chanteur2, il y a forcément quelque chose qui devrait vous parler dans ce faux documentaire.

20 000 jours sur Terre a l’apparence d’un documentaire visuellement très travaillé, une œuvre soignée qui suivrait un vrai artiste dans son quotidien. En introduisant une pincée de fiction et en reconstituant un réel plutôt que de simplement le filmer, Iain Forsyth et Jane Pollard ont réussi à atteindre quelque chose de beaucoup plus fort et intéressant que la simple réalité. En 97 minutes, c’est l’essence de Nick Cave qui a été concentrée ici et c’est passionnant parce qu’au-delà des anecdotes de la vie et des faits, c’est une plongée dans la création artistique qui est offerte ici. Sources d’inspiration, séances de travail, un éclair de génie peut-être parfois… 20 000 jours sur Terre montre tout cela et bien plus encore. Un documentaire fascinant, à ne pas rater.


  1. Les deux artistes australiens ont collaboré le temps d’un morceau, l’excellente balade « Where the Wild Roses Grow » sur le non moins excellent album Murder Ballads sorti en 1996. C’est toujours aujourd’hui le plus gros succès de Nick Cave même si, comme il le note lui-même avec humour dans le documentaire, les fans de la chanteuse n’ont pas vraiment apprécié le reste de l’album… 
  2. On a tort.