A Single Man, Tom Ford

J’ignorais jusqu’au nom de Tom Ford avant d’entendre parler de A Single Man, son premier long métrage. Pourtant, ce nouveau venu dans le cinéma est bien connu pour son travail dans la mode. On lui doit notamment le sauvetage de Gucci, entre autres choses. Un homme de la mode derrière la caméra, voilà qui n’est pas si courant et qui a retenu mon attention, d’autant que l’on annonçait un film esthétiquement très travaillé. Je n’ai pas été déçu : A Single Man est effectivement un film très réussi sur le plan graphique, mais aussi très juste sur le fond.

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George Falconer n’arrive pas à se remettre de la mort de Jim, son compagnon depuis 16 ans. Ce dernier est mort dans un banal et terrible accident de voiture et sa perte est immense pour ce professeur d’université d’origine britannique installé à Los Angeles. Leur amour fou a été son seul horizon seize années durant et depuis sa mort, chaque réveil et chaque journée sont les pires calvaires qui puissent exister. Constatant lui-même qu’il ne peut vivre sans Jim, il décide quelques mois après l’accident d’en finir avec la vie pour rejoindre son amour.

A Single Man raconte la dernière journée de George, du lever jusqu’à la nuit, cette journée qu’il a choisi pour être la dernière de sa vie. C’est une journée en apparence commune, avec un réveil aussi difficile que d’habitude, un cours de littérature effectué devant des étudiants qui semblent décidés à ne surtout pas comprendre les œuvres qu’on leur donne à lire, un repas avec une amie de toujours. Mais plusieurs signes ne trompent pas, à commencer par le choix de prendre son pistolet dans son sac. Tout au long de la journée, il souhaite faire ses derniers adieux, que ce soit à sa femme de ménage, à sa secrétaire, à ses élèves… Il passe à la banque pour vider son coffre personnel, il prépare des mots pour les uns et les autres, bref il veut partir en douceur, sans gêner personne. Il en a simplement assez de la vie. Ça n’est pas dévoiler le film que de dire que cette dernière journée ne se passe pas comme prévu : deux rencontres, en particulier, bouleversent profondément George. Je ne dirai rien de la fin, pour ne pas gâcher la découverte, certes, mais aussi parce qu’elle importe finalement assez peu. La journée en elle-même, ses enseignements comptent beaucoup plus que son issue et Tom Ford ne s’y est pas trompé et termine abruptement, comme il le fallait, son film.

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On n’a pas vendu A Single Man en mettant en avant sa forme pour rien. Tom Ford a du goût, et cela se voit dès les premières images de ce film où l’on voit des corps dans un liquide. Après, la monotonie du quotidien est très bien rendue par le procédé, certes classique, de la désaturation des images. Le noir et blanc n’est pas loin, mais le gris domine pour offrir au film une ambiance effectivement glaçante d’ennui. Les couleurs sont pourtant loin d’être absentes, comme en témoignent les quelques extraits présentés ici. Elles sont même parfois, au contraire, très présentées, saturées à l’excès, presque caricaturales.

Tom Ford utilise ainsi une astuce cinématographique assez simple et sans doute un peu facile qui consiste à ajouter ou supprimer les couleurs pour traduire l’émotion d’un personnage. C’est que, contrairement à de nombreux films, les couleurs ne reviennent pas seulement lors des flashbacks1. Dès que George retrouve goût à la vie, en croisant une personne qui compte pour lui ou un joli garçon, les couleurs reviennent à l’écran et je crois que le taux de saturation est fonction de l’émotion qui l’envahit. Le film sature ainsi très fortement sur les scènes avec un étudiant qui ressuscite presque littéralement son professeur transi. C’est gros, d’aucuns diront grossier, mais cela ne m’a pas gêné outre mesure et l’idée est efficace pour signaler le retour à la vie.

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Mais il serait faux de réduire A Single Man à un film esthétisant, comme s’il ne s’agissait que d’une publicité pour un parfum. Si cet horizon esthétique est parfois effleuré, le temps de quelques ralentis superflus notamment, il est fort heureusement évité par Tom Ford grâce d’abord à une histoire qui sonne très juste. On a rarement l’occasion de voir au cinéma un deuil aussi fort et aussi réaliste. L’amour de ces deux hommes (ce pourrait être un homme et une femme, ou deux femmes que cela ne changerait strictement rien) était intense et la séparation simplement dans le domaine de l’impensable. Quand George apprend la nouvelle, c’est par un cousin de Jim, presque en cachette puisque la famille ne veut pas entendre parler de l’amant qui n’est évidemment pas convié aux funérailles. Le deuil est alors impossible : un jour ils lisaient et écoutaient de la musique ensemble, le lendemain il n’était plus là. La couleur a brutalement disparu, en même temps que l’on ressent la douleur physique de celui qui survit seul.

Le fait que l’on y croit, que l’on ressent la douleur qui explose à l’écran, tient à peu de choses. Colin Firth n’y est évidemment pas pour rien, il est magistral à l’écran, il a cette capacité rare d’émouvoir sans en faire des tonnes, simplement par un regard, un geste. Je ne le connaissais pas vraiment en tant qu’acteur, mais je le trouve vraiment parfait dans A Single Man. Mais les autres acteurs ne sont pas en reste, tant les hommes que les femmes, avec une très belle prestation de Julianne Moore en amie d’enfance folle amoureuse de ce gay qui ne veut pas d’elle. Ils contribuent tous à rendre le film crédible et poignant.

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A Single Man réussit aussi, contre toutes attentes, par sa sobriété. Certes, la photographie du film est très travaillée, je ne reviens pas dessus. Mais les effets sont limités et Tom Ford sait s’en servir avec parcimonie, justesse et classe. L’exemple le plus frappant à mes yeux est le moment où le héros apprend la mort de son amant. Alors qu’un réalisateur hollywoodien moyen aurait envoyé l’orchestre à cordes au grand complet, peut-être même épaulé des cuivres et de quelques percussions pour bien marquer les esprits, Tom Ford au contraire arrête la musique qui était présente juste auparavant. L’annonce se fait au téléphone, le plan se resserre alors sur le visage de Colin Firth qui, on le sent, fait tout pour maîtriser sa voix au téléphone. Il joue la comédie, simule une indifférence polie qui sied mieux, dans les États-Unis puritains des années 1960, à un homosexuel. Mais sitôt la liaison coupée, les larmes apparaissent. Fin du plan, et on le voit courant sous la pluie trouver un peu de réconfort auprès de son amie. La musique n’a toujours pas repris, mais à la place la pluie devient assourdissante, comme un écho des larmes que rien ne peut arrêter.

Le réalisateur a bien compris que le silence est toujours plus efficace que le violon et rien que pour ça, je crois qu’on peut le remercier. La bande originale mêle des compositions d’Abel Korzeniowski et de Shigeru Umebayashi et elle est aussi discrète que belle, une vraie réussite. Je remercie aussi personnellement Tom Ford pour son utilisation des flashbacks. Je suis d’ordinaire très loin d’être passionné par les flashbacks, pour le dire franchement ils ont tendance à m’agacer prodigieusement en moyenne. Mais là, le réalisateur a réussi à proposer des retours sur la vie avant la mort de Jim qui sont tout aussi justes que le reste du film et qui insufflent de la vie dans un film par ailleurs plutôt marqué par la mort. Ils savent se faire discrets et s’intègrent bien dans le film : une photo, un lieu, une musique sont autant de madeleines à même de ramener à la surface le souvenir d’un passé pas si lointain.

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A Single Man m’a emporté. Je pensais voir un film esthétique, sans doute un peu froid, peut-être un peu vain, et j’ai trouvé un film intense sur le travail du deuil. Il me semble que Tom Ford a réussi là où tant de cinéastes avaient échoué, au contraire de tant d’écrivains : transcrire la réalité du deuil dans son universalité, bien au-delà des contingences du cadre (Los Angeles des années 1960) et de l’homosexualité. C’est vraiment un film très fort, à ne pas rater.

Rob a beaucoup aimé A Single Man, tout comme Zéro Janvier, Dasola ou bien encore Lanterna Magika. Critikat a aimé, mais regrette quand même un manque d’émotions. Je dois dire que je ne l’ai pas du tout ressenti, mais Télérama en dit autant…


  1. Et là, je pense très clairement à Shutter Island, aux flashbacks si lourds qu’ils plombaient tout le film…