L’Illusionniste, Sylvain Chomet

Les Triplettes de Belleville reste, pour moi, un excellent souvenir de cinéphile. Ce film d’animation au style vieillot que je n’hésite pas à ranger dans mon top 10 du genre m’avait ébloui à la fois par son univers nostalgique et par son humour absurde et tendre à la fois. Autant dire que j’attendais beaucoup de L’Illusionniste, dernier film de Sylvain Chomet. Mais si l’univers vieillot est toujours là, l’humour a déserté ce film par conséquent très mélancolique. Sans doute parce que j’en attendais autre chose, je n’ai pas retrouvé le plaisir que j’avais eu à regarder les Triplettes.

illusionniste-chomet-tati.jpg

L’Illusionniste évoque la vie… d’un illusionniste comme son titre l’indiquait clairement. Un vieil illusionniste qui peine désormais à satisfaire un public blasé par l’illusion à l’ancienne. Le lapin dans le chapeau ne fait plus de miracles, pas plus que les objets sortis d’on ne sait où. L’homme semble extrêmement fatigué de faire ce métier, on sent qu’il l’a fait toute sa vie, qu’il n’a fait que ça de sa vie. Son visage fatigué, son air un peu hautain n’aident pas à infuser un peu de joie dans les rangs clairsemés qui composent son auditoire. Le film commence dans un music-hall parisien, mais il est très vite emporté outre-Manche, à Londres, puis dans une île perdue du fin fond de l’Écosse et enfin à Édimbourg. Le vieil homme va de salle en salle, puis même de petit boulot en petit boulot pour surveiller un garage la nuit ou servir d’automate dans une vitrine de mode. En chemin, il rencontre une jeune fille qui s’éprend de lui : il n’y a jamais de l’amour entre les deux, plus une relation filiale qui offre à l’illusionniste une raison de continuer, de se lever le matin et de faire un métier qu’il a toujours fait, mais qui n’intéresse plus grand monde.

La nostalgie est une composante essentielle dans L’Illusionniste. Déjà présente dans Les Triplettes de Belleville, elle prend ici une place centrale. Dès les premières images, des gros plans sur les salles de music-hall mythiques de Paris, on peut ressentir le regret d’un monde qui n’est plus. Ce regret se traduit par le rejet de la magie de la vieille école, opposée ici d’une part à la musique moderne — un groupe de rock et ses fans en délire — et d’autre part par l’image animée, la télévision ou le cinéma. Dans tout le film, les seuls à apprécier l’illusion à sa juste valeur sont les habitants un peu rustres de l’île écossaise perdue où l’on ne parle même pas anglais. Eux seuls applaudissent de bon cœur, sans se sentir obligés de le faire. Mais déjà l’électricité arrive et avec elle la civilisation symbolisée par un jukebox qui arrête les cornemuses. On le comprend bien, c’est aussi la perte de l’illusion. C’est sans doute ce qui explique le départ de l’illusionniste, figure de l’apatride incapable de se fixer à un endroit ou de s’attacher à des gens. C’est aussi un être profondément en décalage avec son temps, incapable de comprendre le monde qui l’entoure.

tati-chomet-illusionniste.jpg

Le nom de Jacques Tati est aussi gros que celui de Sylvain Chomet sur l’affiche, et ça n’est pas un hasard. Le scénario de L’Illusionniste a été inspiré par un scénario de Tati et ce film aurait pu être réalisé par l’illustre cinéaste tant son empreinte est omniprésente. Cet illusionniste, c’est Tati (dans le film, l’illusionniste s’appelle Jacques Tatischeff, soit le nom complet du cinéaste) et le cinéma est finalement un art des illusions, lui aussi. Si ce n’est pas Tati, c’est aussi l’oncle comme le rappelle explicitement Sylvain Chomet en montrant un court extrait du film éponyme de Jacques Tati. Même démarche, même silhouette, mêmes mimiques, même absence de dialogues : tout est là. C’est évidemment un hommage du cinéaste à son maître et comme tout hommage, c’est à la fois beau et un peu pesant en même temps. Les Triplettes de Belleville était un film beaucoup plus inventif, plus libre et puis surtout plus drôle. L’Illusionniste a troqué l’humour de son prédécesseur contre la mélancolie, ce qui n’est pas un mal en soi évidemment. Le cinéma de Chomet a toujours été en partie mélancolique, mais cette face sombre s’exprime ici à plein. Le film ménage tout au plus une ou deux scènes comiques (le concert de rock, la grosse cantatrice ou le trio d’acrobates), mais  l’ensemble reste très triste. Les clowns essaient de se suicider, les artistes finissent alcooliques et à la rue et pour réussir, il faut être riche, jeune et jolie. La jeune fille est le seul rayon de lumière du film, mais sa réussite (elle tombe amoureuse d’un beau jeune homme) est toute relative puisqu’elle la tient d’abord à de beaux vêtements achetés grâce à des arnaques-illusions.

Indéniablement, Sylvain Chomet n’a pas perdu la main : l’univers créé par L’Illusionniste est de toute beauté et respecte l’esprit des Triplettes. L’animation a évolué, elle se fait paradoxalement plus moderne, notamment lors d’un survol rapide d’Édimbourg vers la fin. Le style n’a pas changé néanmoins, le côté artisanal, « fait maison » reste présent pour notre plus grand bonheur. Les personnages caricaturaux subsistent, mais se font plus discrets. On retrouve néanmoins ces corps filiformes qui se tordent dans tous les sens, ou au contraire de gros volumes improbables. L’Illusionniste n’a quasiment aucun dialogue, tout au plus des onomatopées pour signaler l’anglais, et quelques mots de français. Tout passe par l’image, par les expressions des visages et des corps. Sur le plan technique, le film est indéniablement une réussite, la surprise en moins cela dit.

illusionniste.jpg

Réussite technique assez éblouissante, L’Illusionniste ne m’a pourtant pas vraiment convaincu. Sans m’ennuyer, je n’ai pas été emporté par le film comme j’avais pu l’être avec Les Triplettes de Belleville. Il manque, je trouve, la petite graine de folie qui dynamisait le précédent travail de Sylvain Chomet. Restent, donc, un univers décidément à part, un bel hommage à Tati et une histoire qui devrait émouvoir tous ceux qui n’ont pas, comme moi, un cœur de pierre. Je me dois donc de recommander L’Illusionniste qui mérite tout à fait de lui accorder un peu de votre temps.

Pour un avis au contraire très positif, je recommande également la critique d’Alexandre. Avis aussi tout à fait positif de Nicolas, même s’il regrette également la figure un peu pesante de Tati. À vous de voir, en salles… MAJ du 16/06 : sans trop de surprise, Critikat a beaucoup aimé L’Illusionniste. Le critique nous apprend un fait assez intéressant : si Tati n’a jamais réalisé ce film, c’est parce qu’il trouvait le scénario « trop sérieux ». On ne lui donnera pas tort.