Following est le premier film du désormais célèbre Christopher Nolan. Film tourné les week-ends et sans aucun budget, Following tient quasiment uniquement à son scénario, un jeu de pistes qui se dévoile peu à peu, comme il se doit, le tout dans une ambiance inspirée par les films noirs. Pas un grand film, mais un exercice fascinant qui ouvre une longue et riche carrière. À découvrir.
Following est l’histoire de Bill, un jeune homme très commun qui veut devenir un écrivain. En attendant, il ne fait pas grand-chose, il ne travaille pas et passe ses journées à suivre des gens. C’est un plaisir personnel, suivre une personne rencontrée au hasard dans la rue pour voir où elle va, ce qu’elle fait. Il ne les suit jamais longtemps, juste le temps d’en savoir un petit peu plus et puis il passe à quelqu’un d’autre. Quand on lui demande pourquoi, il répond sans tellement d’assurance que c’est pour écrire, il a besoin de mieux connaître les gens. Il se défend d’être voyeur ou pire et il s’est donné quelques consignes strictes comme ne jamais suivre la même personne plusieurs fois de suite. Des consignes strictes, qu’il est le premier à ne pas respecter comme il le reconnaît lui-même avec simplicité. Un jour, alors qu’il suit un autre jeune homme, ce dernier finit par s’asseoir à sa table et le confronter : pourquoi le suit-il ? Bill bafouille, il ne sait pas comment se justifier. Les deux hommes discutent et on apprend que le suivi s’appelle Cobb et qu’il est cambrioleur. Il propose à Bill de le suivre dans ses cambriolages et ce dernier accepte. Les voilà partis à la recherche d’appartements à cambrioler. Bill prend du plaisir à ces vols où l’argent n’est pas tellement la motivation première, mais bien plus le plaisir du vol, l’adrénaline provoquée par la peur de se faire prendre et le goût du risque.
Le scénario de Following se révèle beaucoup plus complexe qu’il n’y paraissait au premier abord. On comprend vite que le film multiplie les mélanges temporels et ne respecte en rien la chronologie. Christopher Nolan laisse des pistes, et notamment l’état de son héros qui évolue de manière suffisante pour distinguer trois dates en particulier : il commence avec la barbe qu’il coupe à un moment donné avant d’avoir le visage abîmé par une blessure. Un peu à la manière de certains films de Gus Van Sant, Following ne peut être entièrement compris qu’à la toute fin, quand toutes les pièces du puzzle seront remises en place. Nolan est alors déjà dans le même esprit que la majeure partie des films qui suivront, et notamment dans l’esprit d’Inception : il ne s’agit pas de perdre les spectateurs avec un scénario alambiqué et sans queue ni tête, il s’agit de proposer un film complexe, mais tout à fait compréhensible pour peu que l’on soit attentif. Le scénario de Following est plutôt réussi à cet égard : on suit d’abord une histoire que l’on croit linéaire, avant de vite comprendre qu’il y a un souci et on travaille alors à reconstituer l’histoire en essayant de deviner quel sera le mot de la fin. Je ne veux pas aller plus loin, par peur de dévoiler cette dernière, ce qui enlèverait indéniablement une partie du plaisir du film.
Le manque de moyens est évident quand on regarde ce premier film. Le format est très court (moins de 1h10), les acteurs très peu nombreux, autant que les décors d’ailleurs. Christopher Nolan a su faire des choix malins pour faire avec ce manque de moyens, comme le choix du noir et blanc qui donne un côté « à l’ancienne » au film. Les captures d’écran le montrent bien, on aurait du mal à dater Following qui fait d’ailleurs totalement fi de la technologie récente. L’action n’est jamais située dans le temps, mais absolument rien n’indique qu’elle se déroule quand le film sort, en 1999. On aurait plutôt tendance à penser que le film est plus vieux, des années 1950 par exemple, tant le réalisateur prend un malin plaisir à écarter les objets du quotidien. À tel point que quand il se moque qu’une machine à écrire en disant qu’un écrivain sérieux aurait un ordinateur, on est presque surpris par ce que l’on jurerait être un anachronisme. Au-delà des limites techniques, Christopher Nolan a fait le choix de faire un film façon film noir, genre qui a connu son heure de gloire aux États-Unis après la guerre et symbolisé par Humphrey Bogart. Following est donc aussi un exercice de style, un pastiche cinématographique, un film tourné à la manière de. Le résultat est plutôt réussi, les ambiances sombres sont bien là, de même que le commissaire tandis que Cobb pourrait constituer un Bogart modernisé…
L’intérêt évident de Following est qu’il s’agit du premier film d’un grand réalisateur devenu en quelques années à peine (moins de 10 ans entre les débuts et la consécration The Dark Knight) un des grands réalisateurs d’Hollywood et un des rares aujourd’hui capable de réunir à la fois succès critique et public. Il est troublant de constater à quel point quelques éléments centraux du travail de Nolan sont déjà en place dans ce tout premier film. Certes, on est encore loin de la virtuosité autant scénaristique que technique d’Inception, mais on retrouve ce même état d’esprit de la complexité accessible. Peut-être est-ce tiré par les cheveux, mais ces voleurs à la recherche non pas tant d’argent que d’intimité et qui fouillent des appartements pour subtiliser des éléments intimes, que ce soit des photos, des sous-vêtements ou d’autres objets anodins en apparence, ces voleurs d’intime peuvent être considérés comme les ancêtres des extracteurs du dernier film de Nolan. Rien n’obligeait le réalisateur à nommer son dernier héros comme le personnage central de son premier film et Cobb n’a rien du prénom courant, contrairement à Bill. Ces deux voleurs, jugés excellents dans les deux films, ne seraient pas en fait une seule et même personne ? Sans aller jusque-là, Christopher Nolan est connu pour proposer, film après films, quelques thématiques identiques, constituant un univers logique très fort. Regarder Following aujourd’hui renforce cette impression, même si ce sont surtout les films suivants qui forgeront le cinéaste que l’on connaît aujourd’hui.
Following n’est clairement pas un grand film, mais ce jeu de pistes dans l’ambiance des films noirs des années 1950 est intéressant à plus d’un titre. Déjà parce que le scénario, sans remporter la palme de l’originalité, est efficace et fonctionne bien. Inutile de le nier, le film intéresse d’abord parce que c’est le premier de Christopher Nolan. Assister à la naissance d’un réalisateur est toujours passionnant, mais ça l’est d’autant plus quand ce réalisateur propose aujourd’hui des films aussi aboutis. Si Following devait n’offrir qu’un seul enseignement sur Nolan, ce serait sans doute qu’il a toujours porté un soin particulier aux scénarios et qu’il aime les histoires un peu alambiquées, mais pas trop. Un film à découvrir.