Un poison violent, Katell Quillévéré

Un poison violent est le premier film d’une jeune réalisatrice, Katell Quillévéré. Un long-métrage qui se déroule entièrement dans une Bretagne grise et qui aborde deux thèmes pas évidents : l’adolescence et la religion. Des choix courageux pour un film qui semble douter autant que son héroïne. Intéressant, même si Un poison violent n’est pas totalement réussi.

Un poison violent suit les pas d’Anna, jeune fille de 14 ans. Le film commence alors qu’elle rentre de l’internat pour passer ses vacances dans la maison familiale. L’ambiance est à l’image de la météo toujours pluvieuse, grise : le père d’Anna a fait ses valises et a quitté sa femme pour en retrouver une autre, qu’il aime. Sa mère déprime depuis le départ de son mari et se réfugie dans la religion. Le grand-père d’Anna est vieux et malade et ses jours sont comptés. Pas vraiment une ambiance de fête donc, même si ce grand-père misanthropique n’a pas perdu sa mauvaise humeur et on sent que le grand-père et la petite-fille s’entendent bien. Pour complique le tout, il y a cette image de Jésus qu’Anna tient fort près de son cœur un soir : l’adolescente est en âge de confirmer sa foi, la dernière étape dans le parcours d’un catholique et sans doute la plus importante. Cette étape inquiète profondément Anna qui doute de sa foi et comprend sans doute assez mal ce que l’on attend d’elle. On comprend sans peine que sa mère l’a poussée à faire sa confirmation et on sait que la religion est au cœur du conflit entre ses parents. Le grand-père paternel ne cache pas son rejet de la religion, un anticléricalisme renforcé par le fait que le prêtre de la paroisse est italien d’origine. Pour couronner le tout, il y a Pierre, un copain d’enfance qui a grandi comme elle et qui ne la regarde plus de la même manière depuis que sa poitrine a grossi.

Le film de Katell Quillévéré est ainsi un film sur l’adolescence, cet âge si particulier du passage entre l’enfant et l’adulte. Le corps évolue, les désirs arrivent en même temps et c’est une période de mal-être, où l’on ne sait pas vraiment où se placer ou que penser. Période souvent de conflits générationnels, de rejet d’un monde adulte que l’on pressent néanmoins comme inéluctable. C’est aussi une période essentielle dans la formation d’un individu, celle où l’on commence à apprendre la vie, à prendre ses marques, à former son identité en somme. Un poison violent est tout cela : Anna a désormais un corps de femme, mais son esprit est resté très enfant. Le décalage se traduit sur son comportement, jusqu’aux vêtements qui peuvent être à la fois très courts (un short qui couvre à peine la culotte) et pas du tout féminins (les gros pulls épais). Elle aime toujours autant jouer avec son grand-père, mais s’enfuit quand elle s’aperçoit que le corps de ce dernier réagit quand elle le lave. Quelque chose a changé en elle, et elle en prend conscience par la réaction de son entourage : sa mère qui ne reconnaît plus « sa petite fille », son copain d’enfance qui l’embrasse et veut la toucher. On la sent à la fois curieuse, pleine d’envie de découvrir les plaisirs de la chair et en même temps méfiante face à un monde qu’elle ne connaît. Il faut dire qu’elle n’est pas aidée par sa famille, sa mère est trop occupée à pleurer le départ de son père et son grand-père lui demande de voir l’origine du monde une dernière fois avant de mourir…

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Le catéchisme peine également à lui donner des réponses. La religion occupe une grande part de Un poison violent : Anna doit faire sa confirmation pendant les vacances et elle se confie souvent au prêtre de la paroisse. Quand elle lui fait part de ses doutes concernant sa foi, il répond sans répondre qu’il est normal de douter, mais que cela ne doit rien changer. On sent la réponse gênée du paroissien qui a comme devoir de faire confirmer ses jeunes fidèles, mais qui n’est pas vraiment sûr de sa réponse. La preuve d’ailleurs, on le voit à un moment craquer et prier en italien pour retrouver la foi. Le doute l’habite constamment, ce qui en fait un personnage moins monolithique que ce qu’il aurait pu être, jouant même au football avec les jeunes du village. Lors de la confirmation, l’évêque lit un extrait d’une épitre de Saint-Paul sur les dangers de la chair et au contraire les bénéfices de l’esprit et de la foi en Dieu. On ne pouvait imaginer pire lecture pour des adolescents déjà complexés par ces questions et la caméra se pose alors judicieusement sur ces jeunes qui semblent pétrifiés par ce qu’ils entendent. La religion est centrale dans son film, mais Katell Quillévéré entretient en permanence le doute. Quel est le poison violent du titre, la religion ou bien au contraire la chair ? Le film ne répond jamais vraiment, même si son austérité penche plutôt la balance du côté ecclésiastique. Étrangement, l’affiche propose une réponse en ajoutant en guise de sous-titre : « Love Like Poison » Difficile de savoir si cet ajout a été voulu par la réalisatrice ou imposé par le distributeur, mais il tranche fortement avec le message du film. On peut alors le relire comme une attaque en règle des plaisirs de la chair et de leur danger : on comprend alors différemment les doutes d’un prêtre tiraillé par le désir de cette femme qui lui a tout appris. La musique choisie par Katell Quillévéré pour fermer son film, la reprise en chorale de « Creep » de Radiohead1, prend alors un sens bizarre : cette « vermine » a-t-elle quelque chose à voir avec la religion, la punition d’un dieu vengeur face à des hommes incapables de résister à la chair ? D’autant plus étrange que la fin du film semblait au contraire indiquer un rejet de la religion au profit de l’amour et de Pierre.

Un poison violent réussit au moins à semer le doute et à mettre mal à l’aise ses spectateurs. Pour un film sur l’adolescence, c’est finalement plutôt bien vu. On comprend assez mal les intentions de la réalisatrice qui propose là un film sans vraiment d’intrigue, assez lent, plutôt gris et qui fait un peu penser à une caricature de film Arte (c’en est d’ailleurs un). Le film de Katell Quillévéré n’est pas pour autant inintéressant et toute la partie sur l’adolescence est plutôt bien vue, quoique peu originale. Le film sonne juste, il le doit beaucoup à ses acteurs, professionnels ou non, tous crédibles. La réalisatrice a posé sa caméra au sein de cette famille et elle observe, sans forcément donner beaucoup d’éléments à ses spectateurs pour juger. Le film est pourtant inégal, certaines scènes n’offrant que très peu d’éléments et laissant au spectateur le soin de compléter (la relation entre le grand-père et le prêtre par exemple), d’autres étant au contraire longues et appuyées, notamment dès que la religion entre en jeu.

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Sorti de la salle, Un poison violent laisse un sentiment mitigé. À condition d’accepter le fait qu’il s’agisse d’un film sans véritable intrigue et encore moins de suspense, on apprécie l’histoire classique, mais bien traitée, de l’adolescence et du passage à l’âge adulte. L’ajout de la thématique religieuse est indéniablement intéressant, surtout dans un univers encore très marqué par la religion, mais on ne voit pas trop où la réalisatrice a voulu en venir. Dénonciation de la religion incapable de répondre aux attentes des plus jeunes, ou au contraire critique rétrograde de la chair au profit d’une vie consacrée au seul service de Dieu ? Ce doute qui traverse le film est tout à fait légitime, surtout pour un film consacré à l’adolescence, mais il trouble quand même. Peut-être, après tout, qu’il s’agissait là des intentions de Katell Quillévéré…

Rob Gordon n’a pas apprécié du tout ce trouble et réclame une notice d’utilisation pour que les intentions du film soient clarifiées. Sans aller jusque-là — il faut dire que j’étais prévenu de l’absence de véritable intrigue — je comprends très bien son point de vue, on ne sait jamais vraiment trop où va le film. Le voisin blogueur a par contre beaucoup aimé le film et suggère une troisième piste pour le poison qui serait la vie, tout simplement (si j’ose dire).


  1. Musique que l’on a aussi eu l’occasion d’entendre pour la bande-annonce de The Social Network de David Fincher, à se demander si le réalisateur américain n’a pas vu ce film français. C’est quand même hautement improbable…