Submarino est le dernier film de Thomas Vinterberg, réalisateur danois connu essentiellement pour Festen comme le rappelle immanquablement l’affiche qui promet au passage un « choc ». Le mot n’est pas trop fort, tant la noirceur générale du film prend au corps le spectateur. On ressort un peu sonné de ce film sur des perdants à que la vie n’offre rien, si ce n’est des emmerdes. Un film à voir, pour bien marquer la rupture avec les blockbusters estivaux…
Nick et son petit frère n’ont pas eu de chance, ils sont nés au mauvais endroit. Leur mère alcoolique n’est jamais à la maison et quand elle rentre, c’est uniquement pour chercher des bouteilles et frapper ses deux garçons même pas entrés dans l’adolescence. Elle est si peu présente que le petit dernier, quelques mois à peine, est entièrement géré par les deux frères qui tentent tant bien que mal de le nourrir en volant du lait en poudre au supermarché et plus largement d’offrir à un nourrisson toute l’attention et les soins qu’il réclame. Leurs doigts sales sont malhabiles, mais on sent une volonté de bien faire et une très grande maturité déjà pour leur âge. Au cours d’une très belle scène au début du film, ils baptisent leur petit frère après avoir choisi un prénom (presque) au hasard dans le bottin. Malheureusement pour eux, leur environnement malsain les rattrape et ils boivent à deux une bouteille entière d’alcool fort, délaissant le bébé qui meurt pendant la nuit. Submarino s’arrête alors pour reprendre bien des années plus tard, alors que Nick et son frère sont devenus adultes. Leur vie ne s’est pas améliorée pour autant, l’un sort de prison et peine à ne pas céder à la violence attisée par son alcoolisme, l’autre élève comme il peut son fils de 4 ou 5 ans tout en étant héroïnomane.
On le voit bien, Submarino n’est pas vraiment dans l’ambiance top à la déconne. Disons-le, ce film est d’une noirceur vraiment rare au cinéma. À partir d’une situation bien peu favorable, les deux héros et leurs entourages n’ont aucune chance, étant enfermés dans un véritable cercle vicieux qui n’en finit jamais. Quand une lueur d’espoir apparaît à un moment donné, elle est immédiatement éteinte par un drame et la noirceur reprend ses droits. Quand on pense avoir atteint le fond, le film creuse encore et atteint des abîmes insoupçonnés. Ce cercle vicieux est d’ailleurs presque trop systématique, à tel point que l’on finit par ne plus y croire et on se demande alors ce que va bien pouvoir trouver le scénariste pour aller encore plus loin. Sans en dire trop sur la fin, disons que le portrait est chargé et pourrait paraître irréaliste… sans jamais le devenir vraiment. C’est la force de Submarino qui parvient à rester très réaliste et à ne jamais tomber dans l’humour noir, comme Albert Dupontel peut en faire par exemple. Certes, les personnages n’ont pas de chance, mais le film n’est jamais gratuit sur les évènements. Thomas Vinterberg dépeint bien un milieu défavorisé où la concentration de misère ne peut que favoriser la misère. Le titre évoque, d’après le réalisateur, la torture qui consiste à immerger la tête de quelqu’un jusqu’à quasiment le noyer. Submarino présente des personnages qui évoluent la tête constamment sous l’eau, incapables de l’en sortir et comme condamnés à y rester.
Pourtant, si Submarino est indéniablement un drame vraiment très noir, il n’est pas sans espoir. Le film s’ouvre et se referme sur cette scène du baptême qui est l’un de ses seuls moments vraiment heureux et insouciant. Une scène qui, à elle seule, rappelle que ces personnes ne sont pas condamnées à vivre éternellement sous l’eau. Certes, leur sortie n’est pas facilitée pour des dizaines de raisons, mais elle reste possible. D’ailleurs, c’est bien ce que Submarino met en scène en filmant les deux frères en permanence en parallèle, jamais vraiment ensemble : on comprend alors que c’est leur absence réciproque qui est responsable en grande partie de leur situation. Nick est torturé par les remords et le souhait d’avoir mieux élevé son petit frère, comme s’il était responsable des malheurs de ce dernier. Le réalisateur propose également un regard contrasté sur ses personnages, loin du manichéisme ou de la noirceur pure. Nick en est le parfait exemple : s’il est un homme violent au point de s’exploser la main contre une cabine téléphonique, alcoolique et manifestement incapable de faire quoi que ce soit de ses journées, le film révèle très bien ses failles, des faiblesses qui le rendent profondément humain et plutôt attachant. S’il n’a pas su pardonner à sa mère, il rêverait devenir père, fonder une famille et il prend soin de ses proches, même si cela implique de cacher un meurtre. Submarino présente en effet un psychopathe, un gros bonhomme qui n’a jamais couché avec une femme et qui préfère se concentrer sur les voitures plutôt que de penser aux femmes, car de mauvaises idées lui viennent alors… et quand l’occasion se présente il révèle en effet son vrai visage. Un personnage que l’on devrait trouver totalement antipathique, mais qui a aussi ses faiblesses : psychologiquement dérangé, il s’excuse en permanence de ses actes et a conscience d’avoir mal agi. Thomas Vinterberg essaie ainsi systématiquement de ne pas présenter ses personnages que sous leur aspect négatif, mais de leur ménager au contraire un peu de lumière, aussi ténue fût-elle. Submarino se clôt finalement sur une image plus positive, où l’espoir est à nouveau permis, mais où aussi le cercle vicieux semble, peut-être, se briser. On ne sait rien de la suite, bien évidemment, mais le spectateur peut au moins y voir une lueur d’espoir. Ce n’est pas un happy-end hollywoodien, certes, mais après presque deux heures de noirceur quasiment continue, cette lueur fait du bien et sauve le film du systématisme.
Réussir un film noir n’est pas évident. Vinterberg a pu compter sur des acteurs très convaincants, en particulier pour les deux frères qui ont su trouver le ton juste. La colère froide qui déborde régulièrement de Nick est bien traduite par le visage dur, qui s’illumine parfois d’un sourire timide. Le frère drogué et torturé de sacrifier son fils pour la drogue est également très émouvant. Il est assez fascinant de retrouver certains traits, parfois même physiques, entre les deux jeunes acteurs qui jouent les enfants, et les adultes.Submarino est également un film très beau à regarder, dans le genre noirceur froide : l’image est souvent désaturée, les plans fixes. Efficace.
Submarino n’est assurément pas un film facile. Marqué par une noirceur constante et assez implacable, le dernier film de Thomas Vinterberg n’offre guère d’occasions de se réjouir. Et pourtant, son portrait d’une société défavorisée où la misère appelle en permanence la misère n’est pas complètement noir et offre même une vision plutôt contrastée. L’espoir est permis malgré tout, et on peut d’ailleurs considérer que la fin est optimiste, à défaut d’être heureuse. Un film dur, mais passionnant.