« Le nouveau film phénomène du cinéma belge ! » titre fièrement l’affiche de Bullhead. Le premier film de Michael R. Roskam a effectivement reçu un nombre assez impressionnant de récompenses et on comprend vite pourquoi en le regardant. Cette plongée dans la mafia bovine belge est une véritable réussite, éprouvante et prenante : un film dur, à ne pas rater.
Jacky appartient à une puissante famille d’agriculteurs de la province du Limbourg, en Belgique flamande. Il est à la tête d’une grosse exploitation bovine, mais appartient aussi à la mafia des hormones. Il achète et revend divers produits qui lui permettent de faire grossir plus vite ses vaches et d’obtenir ainsi très rapidement de la viande bien grasse. Une pratique interdite, mais très répandue : c’est un véritable trafic qui s’est mis en place dans la région, mais on devine qu’il en dépasse largement les limites. Ce trafic rapporte incontestablement bien, mais il n’est pas sans danger : la police met une pression constante sur ces agriculteurs, en attendant de pouvoir les coincer la main dans le sac. C’est justement alors que Jacky est en discussion pour augmenter le business et vendre des produits dans une autre région belge qu’un agent proche de découvrir l’identité de mafieux est assassiné. Cet affront motive les forces policières qui veulent à tout prix casser cette mafia violente.
À la manière d’un documentaire, Bullhead plonge d’emblée le spectateur dans l’univers sombre et sale de la mafia des hormones belge. Moins connue, moins sexy aussi sans doute, que la mafia italienne ou italo-américaine, cette mafia n’en est pas moins efficace et dangereuse. La commercialisation de produits interdits qui permettent d’augmenter la productivité du bétail est une activité extrêmement lucrative qui permet à tous ses membres de rouler en berline allemande, mais qui impose aussi souvent de sortir les poings, voire les flingues. Michael R. Roskam commence son film avec une séance d’intimidation qui donne le ton : il n’est pas question de blaguer avec les hormones, ce n’est pas un jeu. Jacky se fond sans problème dans ce moule : cet homme d’une trentaine d’années est renfermé et violent et il n’hésite pas à frapper s’il le faut. Face à cette mafia, la police qui roule en voitures françaises n’est pas très efficace. Même avec des indics, même en surveillant et en écoutant en permanence les suspects, elle peine à les placer derrière des barreaux et il fort la mort de l’un d’entre eux pour les motiver enfin. Bullhead propose une vision contrastée et passionnante de cette mafia et ne manque pas de l’associer aux conflits communautaires qui sont omniprésents dans cette région frontalière. La frontière n’existe pas vraiment, mais elle est dans toutes les têtes : le film se déroule en Belgique flamande, à quelques kilomètres de Liège et de la Belgique wallonne. Entre les deux communautés, il y a beaucoup de haines : la mafia flamande utilise des Wallons pour les basses œuvres et ces derniers leur rendent bien la pareille. Ils vivent tous dans le même pays, mais Bullhead souligne bien leurs profondes différences.
S’il offre une plongée dans le réel digne des documentaires, Bullhead est un drame qui se concentre sur la vie d’un homme. Michael R. Roskam propose d’abord le portrait de Jacky, homme brisé depuis son enfance suite à un accident qui lui a coûté sa virilité. Bullhead propose plusieurs séquences en flash-back, une vingtaine d’années plus tôt : on y découvre alors Jacky jeune, un garçon plutôt joyeux qui commence à s’intéresser aux filles, à une en particulier. Son agression le traumatise pour toujours et le traumatisme est d’abord physique. Pour compenser, il doit prendre des doses quotidiennes de testostérone. Vingt ans plus tard, Jacky est un homme dépendant et quasiment difforme : ses injections ont développé sa musculature et ont fait de lui une véritable bête. Il le reconnait lui-même à un moment donné, il ressemble aux bœufs qu’il élève : on retrouve de fait les mêmes muscles beaucoup trop développés pour être naturels que sur son bétail alimenté aux hormones. Ces produits ont peut-être un effet sur son caractère : le héros de Bullhead est pris souvent de violence et il peut ainsi mettre un homme dans le coma sur un coup de tête. Le traumatisme est aussi psychologique toutefois : Michael R. Roskam parvient bien à filmer ce personnage fort en apparence, mais psychologiquement si fragile. On sent que Jacky a construit autour de lui une carapace si épaisse que plus personne ne peut plus la traverser, quand bien même c’est son souhait le plus cher. Même quand il essaie de séduire la fille qu’il aime depuis toujours, il reste involontairement violent et menaçant. Tout le monde a peur de lui, même sa mère qui n’ose rien lui dire, même son ami d’enfance qui aimerait tant retrouver celui qu’il a connu plus jeune.
Bullhead n’est pas un film très agréable a priori : son histoire est très sombre et on comprend très vite que l’issue sera difficilement un happy-end hollywoodien. La découverte de cette mafia mal connue est assez vertigineuse et Michael R. Roskam en propose une vision particulièrement travaillée. La photographie de Bullhead est assez sombre et très réussie, avec quelques bonnes idées au passage : certains cadrages, comme à la fin la séquence sur l’escalier, sont vraiment efficaces. Le film n’avance pas tambour battant, mais impose son rythme et permet au spectateur de ne jamais s’ennuyer pendant deux heures. Bullhead parvient même à ménager une certaine dose de suspense en ne se dévoilant que peu à peu. Il fallait un acteur à la hauteur des ambitions du film et Michael R. Roskam a indéniablement trouvé la bonne personne avec Matthias Schoenaerts qui développe une force sourde constante qui force le respect. Un personnage fort, mais pas monolithique et on ressent aussi de la compassion pour ce Jacky que l’on sent aussi fragile. Le succès du film lui doit incontestablement beaucoup, mais il faut aussi souligner le rôle de la musique, très réussie elle aussi.
Film coup-de-poing, Bullhead est une véritable réussite. Cette plongée dans un monde de mafieux mal connu est aussi passionnante que dure : Michael R. Roskam propose un film éprouvant, mais très réussi, servi par un excellent acteur. Un coup de cœur, à ne surtout pas rater.