Rien que pour vos yeux, John Glen

Moonraker était allé trop loin : cet épisode grandiloquent tombait dans la parodie et l’absurde à force de trop en faire. Même si le succès a été au rendez-vous, la saga James Bond doit évoluer pour ne pas tomber dans l’oubli et disparaître. Les producteurs décident ainsi de changer de formule, sans tout changer pour autant : Roger Moore reste présent dans le rôle-titre et John Glen qui prend les commandes côté réalisation faisait déjà partie des équipes des épisodes précédents. Rien que pour vos yeux revient à un petit peu plus de simplicité, avec moins de gadgets et une intrigue moins grossière. Un changement qui paye pour ce film d’action plutôt réussi : pas très original, le douzième épisode de la saga s’avère divertissant.

Rien que pour vos yeux john glen

Rien que pour vos yeux débute sur une séquence pré-générique assez étrange qui semble n’exister que pour lier cet épisode aux débuts de la saga. Après s’être recueilli sur la tombe de sa femme — première référence au deuil de l’agent depuis Au service secret de sa Majesté — James Bond est attiré dans un piège tendu par… Blodfeld, le numéro un du SPECTRE. On avait perdu de vue le grand méchant de la saga qui était toujours présent dans les premiers épisodes, pour des raisons légales essentiellement, et son retour surprend, d’autant qu’il n’est pas exploité par le film de John Glen. Passé le générique, on découvre la véritable intrigue de cet épisode : l’outil qui permet à la Grande-Bretagne de commander toute sa force nucléaire a été perdu dans un naufrage au large de l’Albanie et l’agent 007 doit le récupérer avant les Soviétiques. Une intrigue très Guerre froide dans l’esprit qui embarque l’agent secret dans plusieurs pays, mais toujours en Europe. Symboliquement, Rien que pour vos yeux tourne le dos aux États-Unis qui étaient en vogue dans la saga précédemment au profit d’un cadre européen qui évoque vaguement celui de Bons baisers de Russie, même si le style a beaucoup évolué en dix-sept ans. Premier épisode sorti dans les années 1980, ce film est marqué par l’ambiance et en particulier la musique de l’époque. La musique du générique déjà est particulièrement typique de l’époque, mais c’est toute la bande-originale qui a été revue et corrigée par Bill Conti. L’ensemble n’a évidemment pas toujours bien vieilli, mais ce n’est pas très gênant, tant le long-métrage de John Glen s’avère rythmé et efficace.

Débarrassé des gadgets à outrance et des histoires alambiquées à base de conquête spatiale de son prédécesseur, Rien que pour vos yeux est plus digeste et impose de ce fait un spectacle simple et de qualité. Plus rythmé, plus léger aussi, il emporte ses spectateurs dans une intrigue qui semble avoir été conçue pour concentrer tous les épisodes précédents. De fait, John Glen compose une sorte de best of qui, au lieu de bêtement recopier ce qui s’était déjà fait auparavant, propose une représentation parfaite de tout ce qui fait d’un James Bond, un James Bond. Les courses-poursuites et combats se multiplient ainsi dans tous ses états : sur la route, sur la neige, sous l’eau aussi et d’autres, plus originaux, le long d’une façade abrupte. On y trouve quelques séquences d’anthologie, certainement parmi les plus spectaculaires dans toute la saga au moment où Rien que pour vos yeux sort. Encore aujourd’hui, la longue séquence de ski qui exploite toutes les possibilités offertes par des installations olympiques (piste de saut, bobsleigh…) reste impressionnante et fonctionne parfaitement. Sous l’eau, on abandonne la Lotus reléguée ici au rang de simple véhicule de transport : elle ne sait plus se transformer en sous-marin comme dans L’espion qui m’aimait et elle ne sert même pas à l’unique course-poursuite en voiture de l’épisode. Touche d’humour appuyée, le scénario mis en scène par John Glen fait exploser la voiture de l’agent secret et contraint ce dernier à utiliser… une 2CV qui n’a jamais été aussi maltraitée depuis Le gendarme à Saint-Tropez. Une séquence à la limite de la parodie qui est la seule de cette nature dans Rien que pour vos yeux, par ailleurs plutôt sérieux. Roger Moore se permet toujours ses petites saillies humoristiques, mais son interprétation est plus grave, plus attentionnée aussi. S’il en fallait une preuve, il ne couche qu’avec deux femmes et refuse les avances d’une troisième, tandis qu’il se fait le confident sensible de Mélina, la principale fille de l’épisode interprétée par une Carole Bouquet à contre-emploi.

Rien que pour vos yeux carole bouquet

Encore un épisode étrange dans la saga : Rien que pour vos yeux commence et se conclut assez mal (discussion entre un perroquet et Margaret Thatcher), avec deux séquences ridicules à souhait, bien que pour des raisons totalement différentes. Entre les deux, John Glen rassemble la quintessence de la saga, dans sa tendance action brute. Délaissant les gadgets et privilégiant la force brute et les armes traditionnelles, Rien que pour vos yeux constitue un spectacle rythmé et efficace…

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