8 Mile, Curtis Hanson

8 Mile est un objet étrange. C’est une fiction, un drame qui raconte les débuts difficiles d’un rappeur blanc à Detroit, dans les années 1990. Non seulement, cela rappelle fort l’histoire d’Eminem, mais le rappeur incarne le héros du long-métrage, Jimmy « B-Rabbit ». Comment ne pas y voir un biopic, voire une autobiographie ? Pourtant, si l’inspiration est évidente, Curtis Hanson ne signe pas un documentaire, mais plutôt un drame inspiré de faits réels. Le résultat est intriguant, mais décevant si l’on espère en savoir plus sur la naissance de l’artiste si brillant dans l’art de manier les mots. 8 Mile est davantage un drame assez classique interprété par un rappeur qu’une plongée dans l’univers créatif d’un artiste, mais c’est un drame assez réussi.

Eminem incarne un rappeur qui ressemble beaucoup au jeune homme qu’il fut, ce jeune rappeur blanc qui essayait d’émerger à Detroit, où le rap est noir à une écrasante majorité. 8 Mile n’essaie pas de creuser l’écart entre l’acteur et le personnage et c’est ce qui rend le projet si étonnant, mais il y a bien des différences nettes entre B-Rabbit et celui qui est finalement devenu une star du rap. Il n’en reste pas moins que Curtis Hanson décrit probablement assez bien la ville et le monde du rap de Detroit à cette époque. D’ailleurs, The Shelter, l’endroit où se déroulent les « battle » où deux rappeurs doivent improviser lors d’un affrontement de 45 secondes chacun, a bien existé et l’artiste y a affronté des rappeurs du coin. Tous les lieux sont authentiques et même si tous les personnages ont des noms différents, ils sont tous directement inspirés de personnages qui ont existé à l’époque. Pour brouiller encore davantage les pistes, la bande originale du film a été composée entièrement par Eminem, si bien que l’on n’a pas seulement la voix de l’acteur, mais aussi celle du rappeur. Pour autant, le scénario ne s’intéresse jamais vraiment à la musique ou au talent de son personnage. On le voit improviser et manipuler les mots avec tant de talent à une ou deux reprises, on le voit parfois griffonner des notes illisibles sur des feuilles volantes, mais on ne voit jamais vraiment le rappeur au travail. Le film s’arrête avant le premier passage au studio et le processus de création artistique n’est pas son sujet, ce qui aurait pu être très intéressant.

À la place, Curtis Hanson se concentre sur le drame social et sur les histoires personnelles de son personnage de rappeur, plus ou moins librement inspirées de celles de son acteur. On suit ainsi les déboires de B-Rabbit qui quitte sa copine du moment en lui laissant sa propre voiture et qui doit retourner vivre chez sa mère. 8 Mile ne ferme les yeux sur aucune misère sociale, quitte parfois à tomber dans l’excès une fois ou deux, même si Detroit fait partie de ces anciennes villes industrielles dévastées par les crises économiques récentes. Bien avant la crise des subprimes, la ville souffre déjà de l’abandon de bon nombre d’immeubles et de maisons et le scénario évoque directement les problèmes liés. La majorité de la population est sans emploi, le reste doit se contenter de métiers médiocres et payés au lance-pierre. Pour ne rien arranger, la violence est partout, verbale le plus souvent, physique parfois et Curtis Hanson parvient à donner idée assez précise de l’enfer que devait être Detroit à cette époque, surtout quand on est un rappeur blanc. Le racisme a beau être globalement dans l’autre sens, Eminem en a certainement souffert à ses débuts et c’est un angle d’attaque constant, notamment lors des fameuses battles. C’est bien de l’évoquer, en revanche 8 Mile est beaucoup plus discret sur les relations difficiles de l’artiste avec les femmes. Ici, B-Rabbit est présenté comme volage et inconstant, ainsi qu’en père aimant qui fait ce qu’il peut pour protéger sa fille des problèmes et de la violence environnante. Une vision plutôt positive qui a peut-être peu à voir avec l’histoire réelle… Ce qui n’est, après tout, jamais la promesse du film et il faut reconnaître que l’histoire est déjà bien assez sombre pour ne pas en ajouter une couche.

Le fan d’Eminem qui attendait de ce projet une plongée dans le processus créatif du rappeur sera forcément déçu. L’intrigue déployée par Curtis Hanson est peut-être largement inspirée par la vie du rappeur, ce dernier est peut-être l’interprète principal du film, il n’en reste pas moins que 8 Mile est une fiction indépendante. Au bout du compte, ce n’est peut-être pas aussi intéressant, mais cela n’enlève rien au fait que ce long-métrage est un drame solide, bien que très classique.