90 films cultes à l’usage des personnes pressées est à la fois un best-of qui rassemble des films cultes que tout cinéphile en herbe devrait avoir vus, et un recueil de critiques cinématographiques, ou plutôt de résumés sous une forme dessinée. Comme l’indique la quatrième couverture du petit livre de Henrik Lange et Thomas Wengelewski, le principe est de briller en société sans avoir vu un film et donc de gagner du temps en ne voyant pas chacune des 90 œuvres sélectionnées — on s’adresse après tout aux personnes pressées. Un résumé n’est jamais neutre et ceux des auteurs ne le sont pas du tout : choisissant un angle critique et moqueur, ils proposent une relecture sarcastique des œuvres qui s’avère très plaisante, surtout si on a déjà vu le film correspondant.
Henrik Lange et Thomas Wengelewski ont choisi de raconter chaque film sélectionné de manière très brève. Trois cases suffisent à raconter un film, le tout tenant sur une seule page. Si vous détestez connaître la fin d’un film avant de le voir, oubliez 90 films cultes à l’usage des personnes pressées : ses concepteurs ne manquent pas une occasion de tout raconter, y compris les éventuelles surprises finales. En trois cases, c’est donc toute l’histoire qui est décrite, de la situation initiale à la conclusion de l’œuvre, dans un style nécessairement ramassé. Pour Citizen Kane, la première case décrit la mort de Charles Foster Kane et évoque le nom de « Rosebud » ; la case suivante émet des hypothèses sur ce nom ; la case donne la clé de l’énigme. Ce film particulièrement riche d’Orson Welles est ainsi réduit à la seule intrigue « Rosebud » qui n’est en fait que le prétexte pour raconter l’histoire du magnat de la presse. Le récit est ainsi résumé à quelques idées, une seule parfois : Le Parrain est présenté comme une leçon de business selon Vito Corleone en trois points. Pour certaines œuvres, le texte est un petit peu plus long — on peut le constater sur Alien, le huitième passager —, mais le choix des trois cases limite volontairement et judicieusement les possibilités. Il faut faire bref et c’est souvent les résumés les plus courts qui sont les plus réussis ((Soulignons au passage la qualité de la traduction.)).
Même s’il est difficile de le ranger dans la catégorie stricte des bandes dessinées, 90 films cultes à l’usage des personnes pressées utilise malgré tout le dessin, en guise d’illustration au texte, mais aussi pour ajouter des informations. Si le dessin est souvent purement décoratif, certains choix de Henrik Lange et Thomas Wengelewski trahissent leurs sentiments à l’égard du film en cours. Le choix de répéter un même dessin sur deux, voire trois des cases d’un film est un bon indicateur du côté répétitif de l’œuvre, ou de l’ennui qu’il peut provoquer (on en trouve un bon exemple parmi extraits proposés par l’éditeur). Dans tous les cas, le dessin reste simple et le noir et blanc est toujours très contrasté. C’est plutôt agréable et l’humour de l’ouvrage provient du texte autant que des dessins, souvent de la combinaison des deux. 90 films cultes à l’usage des personnes pressées n’offre pas constamment de quoi exploser de rire, mais les résumés sarcastiques et moqueurs des auteurs font mouche, avec quelques très bonnes réussites à la clé — on pense ici en particulier au résumé du Voleur de Bicyclette, très bref et très bon. Le travail de stylisation des films est très intéressant : certaines planches restent assez fidèles à l’œuvre originale, d’autres au contraire symbolisent le film en un personnage, un objet ou un élément — la pluie pour Chantons sous la pluie.
Choisir 90 films cultes relève nécessairement d’une part de subjectivité que Henrik Lange et Thomas Wengelewski assument totalement. Il faut dire qu’ils ont un angle bien précis avec 90 films cultes à l’usage des personnes pressées : les auteurs n’apprécient en fait aucun film, ils ont du moins choisi un point de vue systématiquement moqueur. Exemple parmi d’autres avec Rosemary’s Baby : le film de Roman Polanski joue volontairement sur le trouble lié à l’irruption du fantastique dans le récit, mais il est résumé ici à une morale qui n’a pas grand-chose à voir avec le film (« Moralité : ne faites pas d’enfant à un comédien, ça finit mal. »), tandis que le dessin se moque de la fin diabolique. C’est parfois plus explicite encore, comme quand les auteurs regrettent que les deux héros de Retour vers le futur n’aient pas réussi à empêcher les épisodes suivants grâce à leurs déplacements temporels. Cette orientation conditionne évidemment le choix des 90 longs-métrages retenus dans le recueil. Le titre parle de films cultes et il y en a certainement dans le lot, avec une majorité de classiques américains. Tous les genres sont représentés, de la comédie dramatique à la science-fiction, en passant par l’horreur ou l’art et essai. 90 films cultes à l’usage des personnes pressées n’est pas l’idéal pour découvrir des pépites méconnues du septième art, le choix est assez convenu, ce qui n’est toutefois pas plus mal sachant que les résumés sont plus savoureux quand on a le film original en tête.
Les 90 longs-métrages retenus sont classés par ordre alphabétique, mais 90 films cultes à l’usage des personnes pressées appartient à ce genre de livres qui peuvent être lus dans n’importe quel sens, par petits morceaux. Plus que leurs choix forcément discutables, plus aussi que leurs « critiques » qui sont en fait des résumés, c’est le plaisir que Henrik Lange et Thomas Wengelewski fournissent à évoquer sur le ton de la moquerie les films que l’on connaît bien qui ressort de ce petit livre. Un cadeau idéal pour un cinéphile qui connaît plusieurs longs-métrages dans la liste, mais à déconseiller à tous ceux qui ne connaissent rien au septième art…