Pour son cinquième long-métrage, James Gray regarde pour la première fois vers le passé avec un film historique. The Immigrant se déroule au début des années 1920, dans un New York en pleine Prohibition et alors que l’immigration bat son plein. On y suit les pas d’Ewa, jeune polonaise qui vient tenter sa chance après le meurtre de ses deux parents, mais qui ne va pas vraiment trouver l’American Dream escompté. Loin d’un récit pédagogique empesé, le cinéaste américain tisse en finesse une toile tout en noirceur et en douceur en même temps. Un drame particulièrement réussi, à ne pas rater.
Sans préambule inutile, James Gray attaque son récit sur Ellis Island. Ewa et sa sœur, Magda, arrivent en même temps que des milliers de candidats à l’immigration. Malheureusement pour les deux sœurs orphelines depuis la disparition de leurs parents, les États-Unis de 1921 ne sont plus autant la terre d’accueil grande ouverte et le pays commence à se fermer, même si la terrible crise économique des années 1920 n’a pas encore frappé. The Immigrant dresse malgré tout un portrait peu flatteur : les migrants sont traités à la chaîne et ils sont considérés comme des moins que rien. La moindre suspicion de maladie vous envoie automatiquement en observation où, si vous en avez les moyens, vous serez soigné avant d’être renvoyé ou accepté sur le territoire américain selon votre état. C’est justement ce qui arrive à Magda, frappée de tuberculose et forcée à rester sur l’île à quelques encablures de la terre promise. Pour Ewa, la situation n’est pas meilleure, puisque la jeune fille est suspectée de s’être prostituée sur le bateau en venant et elle est expulsée dans la foulée. James Gray n’arrête pas là cette description peu réjouissante avec l’arrivée de Bruno : cet homme que l’on suspecte d’emblée comme un type louche se présente pour sauver Ewa du retour forcé au pays et, monnayant quelques pattes graissées, il parvient facilement à la faire entrer aux États-Unis. Désespérée, Ewa accepte tout et tombe ainsi dans le piège de Bruno, jusqu’à la prostitution. Sur ce fond historique, le cinéaste ajoute une histoire d’amour avec une sorte de triangle amoureux qui se met en place entre la jeune femme, Bruno et Orlando, son cousin. Comme dans un drame au théâtre, The Immigrant se résume à un choix impossible pour son héroïne qui voit au passage tous ses rêves de liberté échouer.
L’histoire de The Immigrant n’est guère réjouissante sur le papier et on s’attend au moins à un drame, pour ne pas dire à une tragédie. De fait, James Gray raconte une histoire de l’immigration américaine comme on en voit rarement : si les films qui ont abordé ce sujet ne manquent pas, ils n’ont pas toujours fait preuve d’autant de cynisme ou de noirceur. Pour Ewa comme pour des milliers de migrants, l’avenir est très sombre aux États-Unis. Faute d’argent, ils se font avoir par des responsables corrompus qui préfèrent encore renvoyer ces pauvres chez eux plutôt que de leur laisser une chance. Le film commence d’ailleurs comme si l’héroïne ne pouvait faire autrement que de tomber entre les griffes de Bruno. C’est une vision historique très intéressante et sans doute très réaliste et il faut saluer le travail de reconstitution mené par James Gray. The Immigrant est techniquement impeccable et le fait d’avoir pu tourner sur Ellis Island n’explique pas tout. Les décors, les costumes, les habitudes : il n’y a vraiment aucune fausse note, tandis que la photographie très douce, presque floue parfois, crée un climat parfaitement adapté à ce film à la fois très doux sur le plan formel et très dur sur le fond. Le cinéaste a toujours soigné les ambiances de ses réalisations et ce nouveau long-métrage ne fait pas exception : les tons sépias, les couleurs délavées, le flou… l’ensemble est souvent magnifique, en plus de correspondre au cadre historique. De la douceur, certes, mais qui sert surtout de contraste avec une histoire très dure. Impossible de la détailler sans trop dévoiler, mais The Immigrant est traversé de personnages et de parcours pleins de souffrances. S’il faut saluer le travail du réalisateur, on ne peut à ce propos oublier le casting sans faute. Tous les acteurs réunis ici sont bons : Joachin Phœnix, habitué chez James Gray, est toujours aussi excellent dans ces rôles torturés et il est ici parfait pour incarner un Bruno aussi doux et attentionné que violent et cynique. Face à lui, Jeremy Renner interprète de façon convaincante son cousin amoureux, mais on retiendra surtout la prestation impeccable de Marion Cotillard. L’actrice française habite complètement son personnage et il faut reconnaître qu’elle est vraiment impressionnante dans ce rôle, son meilleur depuis quelques années, indéniablement. Si les acteurs sont aussi bons, c’est aussi grâce à leurs personnages : loin des caricatures que l’on pouvait craindre, ils sont d’une grande complexité et frappent ainsi par leur réalisme.
Acteurs parfaits, reconstitution soignée et ambiance feutrée parfaitement adaptée : The Immigrant ne manque pas d’arguments et le long-métrage n’est jamais ennuyeux. Pendant près de deux heures, James Gray nous raconte une histoire à son rythme, sans en faire des tonnes, mais avec un récit qui n’en est pas moins intéressant et même captivant. Une belle réussite, à découvrir.