Dallas Buyers Club s’intéresse à une période difficile : au milieu des années 1980, on connaît le SIDA depuis un ou deux ans à peine et personne ne sait comment enrayer cette épidémie qui emporte en quelques jours à peine des milliers d’hommes, essentiellement homosexuels. Dans cette phase d’incompréhension, alors que les premiers traitements commencent juste à être expérimentés, le dernier long-métrage de Jean-Marc Vallée raconte l’histoire vraie de Ron Woodroof, Texan de 35 ans diagnostiqué séropositif qui se dresse contre le système de santé américain et importe illégalement des traitements plus efficaces. L’histoire méconnue de ces clubs qui soignaient mieux que les hôpitaux est passionnante et Dallas Buyers Club est porté par un Matthew McConaughey si époustouflant que l’on croirait à un documentaire. Un film à ne pas rater, ne serait-ce que pour la prestation d’acteur.
Quand Ron Woodroof apprend qu’il est atteint du SIDA, sa première réaction est de frapper le médecin qui lui demande s’il a entretenu des relations sexuelles. Ce véritable cowboy texan qui semble tout droit sorti d’un western est fier de son hétérosexualité, il baise d’ailleurs toutes les filles que son corps lui permet, si possible plusieurs à la fois et il déteste plus que tout les gays. Dans son esprit comme dans celui de tous ses contemporains, le SIDA est la maladie de l’homosexualité et en aucune manière il ne devrait être concerné. Dallas Buyers Club plonge d’emblée le spectateur dans une époque finalement pas si lointaine, où la médecine était encore totalement impuissante contre le VIH et où les mentalités n’avaient pas vraiment évolué sur la question de l’homosexualité. Le personnage principal du film est un peu caricatural, mais il est l’archétype de l’Américain moyen et il ne se sent pas du tout concerné par la maladie, jusqu’au jour où les médecins lui donnent un mois encore à vivre, au mieux. Refusant la mort, Ron Woodroof se met en quête d’un traitement qui est encore loin de ce que l’on connaît aujourd’hui. Jean-Marc Vallée a très bien réussi à montrer les difficultés de la médecine d’alors à proposer un traitement et surtout le scandale de l’administration de santé américaine qui n’autorise qu’un seul médicament, alors que d’autres pays dans le monde en ont déjà trouvé de plus efficaces. Sans être un film politique, Dallas Buyers Club n’évite pas de porter un jugement très critique sur les médecins qui ont fermé les yeux à l’époque et qui ont accepté l’autorisation d’un seul produit, faisant la fortune d’une seule entreprise américaine. Le personnage principal du film n’y ayant pas accès, il se tourne vers le Mexique et un traitement qui s’avère plus efficace.
Sans aller jusqu’à dire qu’il les a inventés, Ron Woodroof concocte par sa propre expérience une trithérapie avant l’heure. Ce ne sont pas les détails techniques qui intéressent Jean-Marc Vallée toutefois, mais plutôt l’histoire étonnante de cet homme qui est d’abord présenté comme un salopard de première. Homophobe, grossier, toujours sous l’emprise d’une drogue ou d’un alcool quelconque, le héros de Dallas Buyers Club n’a pas grand-chose d’héroïque et s’il ramène des médicaments aux États-Unis, c’est d’abord par pur intérêt financier. Les malades américains étant mal soignés — aux fortes doses utilisées par les médecins d’alors, le seul produit utilisé faisait plus de mal que de bien —, il comptait leur offrir un traitement vraiment efficace, mais plus cher. Ce qu’il n’avait pas prévu toutefois, c’est que la majorité des malades étaient homosexuels et qu’entrer dans le milieu gay quand on est soi-même ouvertement homophobe n’est pas simple. Avec une telle base, on devrait détester le personnage principal du film, mais tout l’intérêt est précisément qu’il n’en est rien. Dallas Buyers Club est aussi l’histoire d’un apprentissage et la transformation d’un homophobe par bêtise qui se lie d’amitié avec un gay et qui finit par être très tolérant. On n’en dira pas trop pour préserver le suspense, mais ce qui devait être une affaire juteuse pour le rendre riche devient un acte militant pour sauver un maximum de malades et dénoncer la supercherie de l’administration américaine. Pour incarner un personnage aussi caricatural sans tomber dans la caricature, il fallait un acteur exceptionnel et le cinéaste québécois ne pouvait pas mieux tomber avec Matthew McConaughey. L’acteur avait déjà su s’illustrer auparavant, mais on ne l’avait jamais vu aussi brillant, aussi exceptionnel : c’est bien simple, il éclate à l’écran et il est systématiquement crédible. Outre la performance physique — une vingtaine de kilos en moins pour le rôle —, saluons la performance de l’acteur, sans oublier à ses côtés le non moins exceptionnel Jared Leto qui a lui aussi donné de sa personne et qui est méconnaissable.
Jean-Marc Vallée a trouvé une histoire passionnante pour nous parler des années SIDA autrement et Dallas Buyers Club est une réussite totale. Le récit est captivant, l’ambiance de peur face à une maladie que l’on ne connaît pas est bien rendue, mais c’est surtout les performances de deux acteurs qui permettent au film d’être aussi réussi. L’ensemble forme en tout cas un long-métrage à ne surtout pas rater !