Pour son premier film, Ari Folman signait avec Valse avec Bachir un long-métrage d’animation aussi dur que passionnant sur la guerre israélo-palestinienne. Le cinéaste israélien n’aurait pas pu choisir un genre plus éloigné pour sa seconde réalisation qu’avec Le Congrès. Cet étrange objet cinématographique est composé de deux parties radicalement différentes : la première, en images réelles, évoque la vie d’une actrice qui n’a pas bénéficié de la brillante carrière qu’elle aurait dû avoir. La seconde, en images d’animation cette fois, est une dystopie assez folle qui n’entretient que peu de liens avec la première. Et si Ari Folman réussit brillamment son introduction, le passage à l’animation est une déception qui laisse un goût d’inachevé. Le Congrès est un film passionnant pour son projet, mais qui ne remplit pas ses promesses…
Dans Le Congrès, Robin Wright incarne le rôle d’une actrice qui a son âge, s’appelle aussi Robin Wright et qui a également connu le succès très jeune avec Princess Bride. Les points communs ne manquent pas, à tel point que cela en devient troublant : Ari Folman a-t-il voulu raconter la vie de l’actrice, peut-être même à son insu ? Toujours est-il que son film commence avec une actrice qui a raté sa carrière et qui sent qu’elle va mal la finir. La première scène est d’ailleurs une discussion entre Robin et Al, son agent qui la critique pour ses choix de carrière. Il lui reproche d’avoir eu peur, de ne pas avoir eu le cran de choisir les bons films, d’avoir opté au contraire pour des daubes qui ont ruiné son image. L’action se déroule en outre dans un futur proche, un futur où les studios de cinéma peuvent reproduire n’importe quel acteur avec leurs ordinateurs. C’est déjà largement le cas, des films comme Gravity l’ont déjà prouvé, mais la technologie imaginée ici va plus loin. Une demi-journée suffit à enregistrer toutes les émotions d’un acteur, toutes ses postures, ses sourires et ses larmes et à reproduire ses faits et gestes avec un réalisme total, dans n’importe quelle situation. Le studio qui embauche Robin place l’actrice devant le fait accompli : les acteurs de chair et d’os vont disparaître, remplacés par leurs versions numériques. Robin a encore de la chance, elle a été une star et le studio veut la numériser elle, d’autres acteurs moins connus n’auront pas cette chance et ils seront purement et simplement remplacés par des versions numériques. Qu’elle soit autobiographique ou non — la vraie Robin Wright a déjà participé à des films sans acteurs réels, dont La Légende de Beowulf —, cette première partie est une réussite. Ari Folman parvient en quelques séquences extrêmement bien écrites à rendre toute la tristesse de cette actrice de 45 ans qui se rend bien compte qu’elle n’a pas eu la meilleure carrière qui soit, mais qui ne veut pas abandonner pour autant. La violence des scènes avec le producteur est impressionnante, mais le plus beau reste la séquence de la numérisation où l’agent — Harvey Keitel, parfait — se lance dans un récit déchirant qui nous ferait pleurer autant que l’actrice, enfermée dans cette bulle qui doit la numériser.
Pendant trois quarts d’heure, Ari Folman touche précisément où il faut et propose un drame vraiment poignant, comme on en voit finalement assez peu. Porté par ses acteurs tous excellents, Le Congrès est alors une vraie réussite, mais cela ne dure pas. Passée cette ouverture en images réelles, le film bascule brutalement dans l’animation et les choses se gâtent alors. On savait que le cinéaste ne manquait pas d’imagination, mais ce qui sublimait Valse avec Bachir se transforme ici en une ambition démesurée qui plombe finalement le long-métrage. Les liens entre les deux parties sont assez maigres, même si l’idée d’origine est de vivre comme une star. Dans un univers dystopique assez classique, une société a inventé une drogue qui permet de ne plus vivre de vie pauvre et sans intérêt dans la réalité, mais plutôt de créer mentalement son propre univers fictionnel pour, en quelque sorte, mieux vivre à défaut de vivre dans la réalité. Les hommes sont comme des zombies dans la réalité, parce qu’ils ne sont pas vraiment là, leur esprit du moins est ailleurs, dans cette fiction créée par la drogue. À défaut d’être très originale, l’idée n’est pas mauvaise, mais le décalage avec la première partie est trop grand pour que l’on y adhère totalement. Le vrai problème surtout, c’est qu’Ari Folman veut trop en faire, notamment sur le plan visuel. Il se lance dans des délires souvent assez kitsch, mais qui ont surtout comme conséquence de perdre le spectateur. À trop vouloir opacifier son film, le cinéaste parvient à nous en éloigner, même si Le Congrès reste intéressant et, quand le film retrouve un peu de sobriété, on peut constater qu’il est riche en idées fortes. Robin Wright en personnage animé qui regarde une Robin Wright en images réelles dans la bande-annonce d’un film qu’elle n’a jamais tourné a quelque chose de troublant et on apprécie ce questionnement sur le cinéma. Hélas, le réalisateur ne veut pas vraiment exploiter cette piste qu’il laisse en plan, comme tant d’autres. On finit par se lasser de ce qui finit par ne ressembler qu’au caprice du créateur et si on salue la liberté et l’ambition folle du projet, on regrette aussi souvent la gratuité du résultat.
Le Congrès est autant réussi et poignant dans sa première partie, qu’il peut être gratuit et pénible dans sa seconde. Comment juger d’un film aussi incohérent, d’une œuvre composée de deux parties si radicalement opposées que l’on pourrait croire que l’on a vu deux films au lieu d’un ? De fait, Ari Folman passionne autant qu’il exaspère et on aurait presque envie de recommander de regarder le film pendant 45 minutes seulement et d’arrêter au moment où l’on passe dans l’animation. Ce serait injuste pour le projet complètement fou du cinéaste toutefois, mais on ne peut s’empêcher de penser à une version sans animation. Le Congrès aurait pu être une excellente réflexion sur le métier d’acteurs en même temps que le portrait poignant d’une actrice ratée. Ari Folman n’est pas passé loin du chef d’œuvre, mais il a voulu trop en faire et les expérimentations prennent le pas sur le reste. Dommage, mais cela n’enlève rien aux qualités de la première partie, qui justifie in fine à elle seule de voir le film.