Bon nombre d’œuvres de fiction ont déjà et devraient encore surfer sur la vague de la surveillance de masse. Depuis les révélations de Snowden, on sait que les États-Unis, par le biais de la NSA notamment, enregistrent le maximum de communications qu’ils peuvent, pour les analyser et tenter de prévenir les menaces terroristes. Sachant que les informations données par Edward Snowden ont été publiées au milieu de l’année 2013, l’intuition de Person of Interest force le respect, pour ne pas dire plus. Cette série créée par Jonathan Nolan a été diffusée à partir de 2011 et deux ans avant la confirmation, elle imaginait déjà un tel programme de surveillance. Rien que pour cette idée géniale qui ne devait être que de la science-fiction, mais qui n’est finalement pas si éloignée de la réalité, la série mérite d’être regardée. Au-delà, elle a su s’imposer au fil des épisodes et, malgré quelques défauts, Person of Interest devient vite irrésistible. Un excellent divertissement, doublé d’interrogations passionnantes sur la surveillance et les libertés personnelles.
Person of Interest se construit autour de l’idée qu’une machine autonome peut surveiller toutes les actions humaines. Ce super ordinateur écoute les conversations téléphoniques, lit les échanges numériques, mais elle sait aussi accéder à n’importe quelle caméra ou micro, qu’il s’agisse d’un dispositif public ou d’un appareil privé, dans un ordinateur ou un téléphone portable. Quand la série commence, on découvre le créateur de cette machine : Harold Finch, génie de l’informatique, est l’un des deux héros de la série, mais celle-ci ne s’intéresse pas directement à la conception de la machine. Même si, au fil des épisodes, les flashbacks finissent par répondre à toutes les questions, l’enjeu n’est pas de savoir pourquoi et comment cette machine a été conçue. Non, Person of Interest se concentre au moins au départ sur un angle beaucoup plus réduit : outre Harold, on découvre dès l’ouverture le deuxième personnage principal de la série. John Reese est un ancien militaire, ancien agent de la CIA, mais dans le pilote, il est surtout un SDF qui erre au hasard dans New York. Jonathan Nolan imagine une rencontre entre les deux en suivant cette idée : la machine créée par Harold transmet au gouvernement les identifiants de terroristes potentiels, mais elle ne voit pas que des actes de terrorisme. Grâce à son omniscience, elle peut aussi détecter un acte plus banal, mais néanmoins illégal et immoral. Ces actes-là n’intéressent pas le gouvernement, mais Harold décide de les sauver lui-même : handicapé, il a besoin d’une aide et fait appel à John pour empêcher ces actes malveillants et ainsi sauver des vies. Ce principe posé, les premiers épisodes de la première saison respectent un schéma simple : à chaque fois, il s’agit de sauver une personne en apprenant le plus à son sujet et en essayant de comprendre pourquoi elle pourrait être victime… ou coupable.
L’idée de sauver une personne par épisode, ou de l’arrêter avant son acte, est plutôt maligne. Puisqu’il ne s’agit que d’un inconnu et que l’on ne sait même pas s’il est victime ou coupable, les deux héros de Person of Interest doivent à chaque fois enquêter sur cette personne pour en savoir plus. Harold étant très doué en informatique, il peut s’infiltrer dans tous les systèmes informatisés et ainsi en savoir plus. De son côté, John est un redoutable agent, capable de neutraliser n’importe qui en un clin d’œil et il le fait avec beaucoup de classe. Les deux acteurs, respectivement Michael Emerson et Jim Caviezel, sont excellents et leur couple fonctionne parfaitement dans l’idée que la différence rapproche, avec même un sous-texte autour de la formation d’un vrai couple assez amusant. Tout ceci est très bien, mais la lassitude gagne vite la série, ou du moins la gagnerait vite si Jonathan Nolan n’avait pas réagi. Les premiers épisodes respectent ce schéma assez classique qui fait qu’ils peuvent être regardés presque dans n’importe quel ordre, presque sans lien entre chacun. Fort heureusement, plus le temps passe, plus Person of Interest renforce les intrigues secondaires qui, elles, survivent d’un épisode à l’autre. La série renforce aussi les personnages récurrents : deux policiers s’ajoutent rapidement à la fête pour contrer ou pour aider l’action de Harold et de John. Et puis le gouvernement finit par s’en mêler, alors que les passés des deux personnages remontent peu à peu : c’est la grande force de Jonathan Nolan qui sait ne pas trop donner d’informations en même temps, pour entretenir le suspense. On ne peut pas trop en dévoiler non plus, naturellement, mais disons simplement que les intrigues d’abord assez fines deviennent de plus en plus centrales et la série finit par être d’une grande profondeur et d’une complexité scénaristique assez ébouriffante. Le choix malheureux de saisons de 23 épisodes oblige malgré tout à quelques longueurs ici ou là, avec parfois un épisode qui ne fait rien avancer, mais il est inutile de bouder son plaisir.
Comme ses personnages, Person of Interest cache bien son jeu et sous des apparences très banales, cette série est en passe de devenir une grande série. Difficile de prévoir ce que nous réservent les saisons suivantes, mais Jonathan Nolan a prouvé en trois saisons qu’il pouvait signer une série prenante et beaucoup moins bête qu’elle n’y paraît. Entre intrigues mafieuses, manipulations informatiques et thriller à la Jason Bourne, Person of Interest s’avère plein de surprises, et ça n’est pas déplaisant ! Reste à espérer que les saisons suivantes n’endorment pas la série, mais ce que l’on a vu jusque-là laisse espérer le meilleur.
Person of Interest, saisons 4 et 5
(28/06/2016)
Les trois premières saisons de Person of Interest étaient prometteuses, mais la quatrième a prouvé que l’on n’avait encore rien vu. Même si Jonathan Nolan n’abandonne jamais complètement le postulat de base — sauver une victime ou arrêter à temps un coupable —, cet aspect de feuilleton est réduit à la portion congrue au profit d’une intrigue principale qui prend toute son ampleur. À défaut de savoir si les ramifications et la complexité déployées dans cette saison étaient pensées dès le départ, ou si les scénaristes ont improvisé sur le tard, il faut bien reconnaître que la série de CBS frappe alors très fort. La lutte à mort entre la machine et Samaritan prend de plus en plus des allures de fin de monde et le dernier épisode de la quatrième saison est bluffant, littéralement. On découvre aussi de nouveaux personnages passionnants, avec notamment le duo Root (Amy Hacker) et Shaw (Sarah Shahi) qui ajoute une bonne dose d’humour et même d’émotions. Après un tel envol, la cinquième saison déçoit forcément un petit peu, mais est-ce vraiment la faute des créateurs de la série, ou bien plutôt de la chaîne qui a sabordé le travail ?
En effet, cette cinquième saison ne dure que 13 épisodes et c’est surtout la dernière pour Person of Interest. Les critiques élogieuses n’ont pas suffi, la série de Jonathan Nolan n’a pas trouvé son public, comme en témoignent les audiences en baisse tout au long de son existence. C’est bien dommage, et il faut la quitter pile au moment où elle prenait vraiment son envol. D’un autre côté, peut-être qu’il n’y avait rien de mieux à faire et que le mieux était encore d’interrompre l’émission sur une bonne note. L’apocalypse évoquée dans la saison 4 prend forme dans la cinquième, alors que les héros tentent désespérément de lutter contre cette super intelligence artificielle qui a carte blanche pour « sauver » l’humanité, ce qui passe, non pas par son annihilation, mais par un contrôle absolu et l’absence totale de liberté. Petit à petit, Person of Interest distille des idées de plus en plus philosophiques, jusqu’à son final tout entier consacré à ces thématiques. On pourrait lui reprocher un ton de café de commerce, mais la série dresse son propre bilan avec une bonne dose d’émotion, tout en terminant sur une fin ouverte très bien trouvée.
À l’heure des bilans, Person of Interest reste cette étrange série qui a commencé comme un feuilleton vite ennuyeux, qui s’est muée en grande série sur la sécurité et la surveillance tout en adoptant les codes des meilleurs thrillers et qui a trouvé trop rapidement sa conclusion. Les vingt épisodes par saison étaient probablement de trop pour éviter les passages à vide réguliers et la série créée par Jonathan Nolan a des défauts, pour sûr. Ce qui ne veut pas dire que Person of Interest ne mérite pas d’être vue, bien au contraire même : elle est passionnante y compris par ses imperfections. Et puis ce segment au cœur des cinq saisons est si convaincant que l’on aurait tort de passer à côté…