Pour son premier long-métrage, Thomas Cailley a choisi un sujet en apparence des plus banal. Les Combattants raconte le quotidien de deux jeunes plus tout à fait adolescents, pas encore tout à fait adultes, le temps d’un été. C’est une histoire d’amour, c’est vrai, mais le film est beaucoup plus surprenant qu’il ne pourrait en avoir l’air. Sous des dehors classiques, pour ne pas dire vus et revus, l’intrigue sort des sentiers battus et nous mène sur un terrain que l’on attendait pas. Porté par deux acteurs exceptionnels, Les Combattants est un film drôle et très touchant, une vraie réussite à ne pas laisser passer.
À l’origine, un drame : Arnaud vient de perdre son père et la toute première scène le montre dans le bureau des pompes funèbres, pour choisir un cercueil. Ce devrait être une scène dramatique, mais d’emblée, Thomas Cailley marque ses distances avec ce que l’on attendrait d’une telle situation. Loin de se lamenter sur leur sort, Arnaud et son frère critiquent les prix et la mauvaise qualité du bois et la séquence devient comique quand le vendeur les regarde avec un air un peu ahuri. En une scène, Les Combattants signe une sorte de manifeste : on n’a pas affaire à une banale comédie, ou à un encore plus banal drame comme il en sort tant. Tout au long du film, le scénario frappe par la qualité de son écriture et par sa capacité à créer des personnages et situations parfaitement crédibles, et en même temps toujours surprenants. On commence ainsi avec le quotidien sans grand intérêt du jeune homme : il commence par aider son frère avec l’entreprise de menuiserie de leur père. Quand il n’est pas sur un chantier, il passe le temps avec deux copains à pêcher ou bronzer sur la plage. Quand l’armée de terre installe sa caravane pour une campagne de recrutement, c’est un évènement et tout le monde s’y retrouve, non pas tellement pour s’engager, mais plutôt pour tout ce qui est offert par l’armée en manque d’hommes. Thomas Cailley commence ainsi par présenter ce quotidien sans relief, mais Les Combattants marque très rapidement une rupture avec l’entrée en scène de Madeleine.
Arnaud croise d’abord Madeleine lors d’un combat individuel organisé par l’armée qui essaie de créer des animations autour de son opération de communication. Le jeune homme se fait battre par cette fille qu’il ne voulait pas battre : là encore, Les Combattants surprend dès le départ par ce personnage féminin qui ne correspond en rien aux archétypes. Véritable boule de nerfs, la jeune femme vit sa crise d’adolescence de manière bien plus forte que tous les autres jeunes de son âge. Loin de s’opposer uniquement à ses parents, elle pense l’apocalypse proche et elle veut se préparer à la survie quand la fin du monde s’abattra. Violente physiquement et verbalement, elle n’est pas une fréquentation agréable, mais Thomas Cailley imagine un coup de foudre. Quand il croise son regard, Arnaud ne peut plus se détacher de cette fille pas féminine du tout, qui ne soigne pas son apparence et préfère boire un maquereau cru mixé que danser en boîte de nuit. Si bien que lorsqu’elle s’engage dans un stage militaire, le garçon n’a d’autre choix que de la suivre. Les Combattants change alors totalement d’ambiance avec un stage qui révèle le gouffre entre les attentes de l’armée et les envies de ces jeunes qui rêvent d’aventures plus que de combats. Le film évolue encore plus tard, le temps d’une échappée belle en amoureux, mais on aurait tort de trop en dévoiler. Thomas Cailley a l’intelligence de mener ses spectateurs là où ils ne l’attendaient pas et jusqu’à la fin, son long-métrage sait surprendre. Pendant une heure trente, on se laisse porter par un récit souvent très drôle, mais qui devient aussi de plus en plus touchant au fur et à mesure que l’amour s’impose aux deux jeunes. Il faut reconnaître le talent des deux jeunes acteurs, qui sont vraiment, l’un comme l’autre, exceptionnels. Adèle Anael incarne une fille nerveuse qui fait parfois vraiment peur, mais qui fait aussi souvent rire par son jusqu’au boutisme qui frise au ridicule. Face à elle, Kévin Azaïs est d’abord un garçon discret, mais qui s’impose comme un amoureux convaincant à un point rarement atteint au cinéma.
Avec son scénario inattendu et ses personnages très bien écrits et surtout remarquablement bien interprétés, Les Combattants parvient déjà à convaincre complètement. Pour ne rien gâcher, Thomas Cailley se débrouille aussi très bien avec une caméra et sa première réalisation sur un format long est une vraie réussite. Cadres soignés, photographie qui évolue en harmonie avec les sentiments des personnages : ce long-métrage n’est pas seulement passionnant, il est aussi plaisant à regarder. Et s’il fallait encore un argument, on pourrait encore saluer la bande originale composée par Hit+Run, très réussie et qui sait se faire discrète quand c’est nécessaire. Les Combattants est une excellente surprise à ne pas rater, et Thomas Cailley est incontestablement un jeune cinéaste à suivre.