Une femme sans expression roule sur les routes vides écossaises et s’arrête régulièrement pour demander son chemin à des hommes. Quand elle s’est assurée qu’ils étaient bien seuls, elle les invite à monter pour faire un bout de chemin ensemble. Si tout se déroule comme prévu, elle les emmène finalement dans une maison sordide, où ils disparaissent alors qu’ils se déshabillent, pris par une excitation extrême. Voilà, en quelques mots, le point de départ d’Under the Skin, sans doute l’un des films les plus surprenants de cette année. Hélas, le synopsis enlève toute la surprise en dévoilant l’identité de cette jeune femme mystérieuse. C’est dommage, car le long-métrage de Jonathan Glazer perd beaucoup de son intérêt quand l’effet de surprise n’est plus au rendez-vous. Vous avez tout intérêt à le découvrir vierge de toute information, tout en étant bien conscient qu’il ne s’agit pas d’un blockbuster, mais plutôt d’un film d’art et essai. À défaut d’être totalement convaincant, Under the Skin est une expérience intéressante qui mérite d’être vue.
On ne comprend pas tout de suite ce qui se passe. De fait, Under the Skin ouvre avec une séquence très kubrickienne : on pense inévitablement à 2001 : l’odyssée de l’espace avec une musique abstraite et des plans tout aussi difficiles à comprendre. On entend une voix qui répète des lettres, puis des syllabes et quelques mots. On voit finalement un œil, puis Jonathan Glazer nous propulse dans une scène totalement blanche avec deux femmes, une allongée et une nue qui récupère les habits sur le corps inerte au sol. Le film ne donne absolument aucune explication et c’est très bien ainsi. Peu à peu, on comprend que cette femme n’est pas forcément humaine, ou du moins qu’elle n’agit pas comme les autres humains. Elle ne réagit quasiment pas, et ses dialogues se résument d’ailleurs aux quelques mots nécessaires pour aguicher ses victimes. Ces hommes sont tous solitaires : pas forcément des canons de beauté, ils sont des cibles parfaites pour la femme qui a tout d’une beauté parfaite. De fait, le film montre bien que le processus se répète inlassablement : la femme mystérieuse prend en stop un homme, elle le séduit, l’amène dans ce lieux encore plus étrange où sa victime disparaît, et elle recommence. Under the Skin ne nous dit pas pourquoi, mais on finit par le comprendre, tout comme on comprend pourquoi l’héroïne reste parfaitement insensible et passe sans broncher à côté d’un bébé de dix-huit mois, abandonné sur une plage déserte. On comprend aussi pourquoi, plus tard, elle réagit différemment et finit par arrêter cette boucle infernale. Jonathan Glazer construit son film comme un puzzle, en donnant le moins d’informations possibles et en faisant complètement confiance à l’intelligence de ses spectateurs. C’est une bonne chose, et on finit par tour comprendre dans les dernières minutes, mais pourquoi avoir gâché l’effet de surprise en dévoilant tout dans le synopsis ? C’est vraiment incompréhensible…
Si l’on oublie un instant cette histoire de synopsis, que vaut Under the Skin ? Difficile d’avoir un avis tranché sur cet objet cinématographique étonnant : d’un côté, la science-fiction froide mise en place par Jonathan Glazer est parfois redoutablement efficace et certains plans resteront sans doute longtemps en mémoire. On peut aussi apprécier la prestation de Scarlett Johansson, dans un rôle surprenant pour cette star habituée aux grosses productions : elle s’adapte ici parfaitement dans ce personnage de tueuse impitoyable et dénuée de tout sentiment et tient pendant l’écrasante majorité du film sans dire un seul mot, une belle performance. Au-delà de son actrice, Under the Skin développe quelques très belles idées sur ce qui fait notre humanité et, comme tout bon film de science-fiction, Jonathan Glazer parle énormément de notre actualité, en optant pour ce genre futuriste. Le bilan serait excellent, s’il ne restait pas après les quasiment deux heures de film un sentiment d’inachevé. Le cinéaste a fait avec le peu de moyens à sa disposition, et cela se voit. Under the Skin est une œuvre très vide, ce qui peut aller dans le sens de son sujet, certes, mais ce qui semble parfois aussi un peu gratuit. Le long-métrage aurait-il perdu à être légèrement plus resserré ? Peut-être, mais en l’état, on n’est pas totalement convaincu…