Phénomène de l’année au cinéma, Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ? est resté dans les salles si longtemps qu’il a fallu la pression des vendeurs de Blu-ray et DVD pour qu’il quitte enfin les cinémas. Plus de douze millions d’entrées, à une époque plutôt morose, c’est un succès inespéré que l’on souhaite naturellement à tous les réalisateurs et trois ans après Intouchables, le cinéma français peut se targuer à nouveau d’une belle réussite. Sauf que le dernier long-métrage de Philippe de Chauveron pose problème : en théorie, cette comédie populaire est censée mettre en scène des personnages racistes pour mieux se moquer du racisme. Dans les faits, le racisme est le moteur exclusif de l’action et l’heure des bilans, Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ? est au moins aussi raciste que les personnages qu’il est censé dénoncer. Non content de ne pas être très drôle, il devient même dangereux : comment ne pas être mal-à-l’aise face à ce défilé de préjugés et de clichés qui ne sont jamais mis à mal, mais au contraire renforcés par le film ? Gênant.
Comme souvent avec ce genre de comédie, la bande-annonce offre un résumé assez exhaustif de la situation. Prenez une famille bourgeoise de province comme on n’en voit plus qu’au cinéma : les Verneuil vivent à Chinon, ils sont riches, ils habitent dans une grande demeure bourgeoise en pierre de taille de la Loire et ils ont quatre filles. Ils sont naturellement catholiques, mais leur trois premières filles ont épousés trois hommes d’autres religions et autres cultures : Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ? commence ainsi avec un défile de mariages mixtes, exclusivement à la mairie, naturellement. Il y a Rachid, de confession musulmane, David, de confession juive et il y a Chao qui, on l’aura deviné, est d’origine chinoise. À chaque fois, Claude et Marie Verneuil sont un petit peu plus abattus et Philippe de Chauveron commencent par décrire une situation explosive avec un mariage par an et des repas de famille tendus, où les blagues racistes et les clichés fusent de part et d’autres. Tout y passe, les interdits alimentaires, les coutumes vestimentaires, mais aussi les clichés plus généraux, de la ponctualité des uns à la taille des sexes des autres, en passant par l’appât du gain, le côté voleur des autres, ou encore l’obséquiosité d’une autre culture. On peut reconnaître à Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ? une sorte de mérite, le film enchaîne les clichés à une vitesse folle et certaines vannes prêtent parfois à sourire. Il y a même parfois quelques éléments plus drôles, l’une des meilleures scènes étant côté catholique : quand Madame Verneuil se confesse, le prêtre ne l’écoute pas et fait ses courses sur son iPad. Ce n’est dans l’ensemble pas très drôle toutefois, d’autant que ces clichés sont éculés : Philippe de Chauveron n’a pas cherché loin pour écrire son scénario, tout est déjà vu et revu, si bien qu’on s’ennuie largement.
Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ? est bien loin de l’impertinence de l’équipe du Splendid et des deux Bronzés, qui jouaient déjà sur les clichés racistes, mais qui ne s’en contentaient pas. C’est bien là le problème majeur de ce long-métrage qui a été construit entièrement sur cette idée unique : le racisme et les clichés sur les cultures et les religions. Philippe de Chauveron prouve magistralement qu’on ne fait pas un film avec cette seule idée, en tout cas pas un bon film. Tout est prévisible, on devine la fin dès la première minute et le scénario ne fait rien pour nous surprendre : ainsi, la quatrième fille qui reste à marier amène un gendre qui est bien catholique, mais noir et évidemment, c’est une nouvelle crise pour la famille Verneuil. C’est l’occasion aussi d’enrichir le catalogue de blagues racistes du film, tandis que la caution « Je ne suis pas raciste » du réalisateur se met en place : surprise, la belle-famille africaine est elle aussi raciste ! C’est probablement l’élément le plus gênant du film, le plus scandaleux même. Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ? cautionne ainsi le racisme quotidien, celui que l’on voit tous les jours à la télévision, celui que l’on entendrait au bistro du coin si l’on allait encore au bistro — aujourd’hui, il faudrait probablement remplacer bistro du coin par son équivalent sur internet. Il ne faut pas se voiler la face : ce long-métrage n’est pas très drôle, mais ce n’est pas gênant, il est surtout profondément raciste et véhicule lui-même tous les clichés qu’il est censé dénoncer, et ça c’est gênant. Et ce n’est pas en optant pour un happy-end mielleux et vraiment facile que Philippe de Chauveron peut corriger le tir. Son film est de toute manière truffé d’incohérences et son scénario est grossier au possible : il ne peut pas masquer le fait qu’il a été écrit à la va-vite, uniquement pour caser le plus possible de blagues racistes.
Dans la voiture qui les ramène à Chinon après leur première rencontre avec Charles, leur futur genre noir, Marie Verneuil demande à son mari : « Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu pour mériter cela ? ». En voyant cette séquence, on ne peut s’empêcher de se demander si Chantal Lauby, par ailleurs si bonne actrice et autrefois impertinente avec les Nuls, ne se posait pas la même question concernant sa participation au film. Et peut-être qu’à ses côtés, Christian Clavier, qui était lui aussi tout autant excellent et impertinent dans les deux Bronzés, se posait la même question, dans cette voiture… En tout cas, nous, on se pose la question : qu’est-ce qu’on a fait à Philippe de Chauveron pour mériter ce film ? Affligeant.