Des gangsters, la police et une longue course-poursuite : Heat n’a pas la palme de l’originalité, mais c’est un précisément un élément essentiel de sa réussite. Avec son cinquième passage derrière les caméras pour le cinéma, Michael Mann adopte un scénario extrêmement simple, ce qui lui permet de se concentrer sur tout le reste. Pendant près de trois heures, on suit la course-poursuite dans tout Los Angeles d’un voleur et d’un policier et même si cela peut sembler bien insuffisant pour tenir aussi longtemps, il n’en est rien. Heat est un long-métrage ample qui maintient la tension par quelques scènes d’action explosives, mais qui sait aussi prendre son temps pour poser des personnages parfaitement crédibles. Michael Mann peut compter sur deux acteurs exceptionnels et au sommet de leur art, mais aussi sur une maîtrise formelle impressionnante. Heat est un thriller comme des milliers d’autres sur le papier, mais à l’écran c’est un grand moment de cinéma.
La structure de Heat est aussi conventionnelle que son histoire, si bien que l’on n’est pas surpris de découvrir, dès l’ouverture, un braquage. Neil McCauley et ses hommes attaquent un transport de fonds et ils sont extrêmement bien préparés. Ils ont tout prévu, déploient leur attaque méticuleusement et enchaînent ce qu’ils avaient prévu sans hésiter. Tout se déroule parfaitement bien et le lieutenant de la police de Los Angeles Vincent Hanna n’a absolument aucune piste, ni aucune chance de les retrouver quand il arrive sur place. En une scène, Michael Mann a déjà placé ses deux personnages principaux en opposition et surtout il a présenté leur principale caractéristique. Neil est méthodique, il prépare énormément ses coups, ne laisse rien au hasard, bref c’est un professionnel qui, on l’imagine du moins, a réussi un nombre considérable de vols par le passé. D’ailleurs, à peine ce premier terminé, il est immédiatement parti sur deux autres coups en parallèle. Face à lui, Vincent a beau être un policier, il est tout aussi implacable que son adversaire et prêt à tout pour descendre le maximum de gangsters qu’il peut trouver. On sent dès cette première séquence qu’il ira aussi loin que possible, sans se soucier des détails, que ce soit les victimes collatérales ou sa vie de famille. Marié trois fois, il délaisse sa dernière femme qui envisage de le quitter et manifestement, il s’en fiche pas. De son côté, le malfrat n’a aucune attache, car il veut être totalement libre de tout plaquer et de fuir si la pression — « heat » en version originale… — est trop importante. Michael Mann filme ainsi deux hommes prêts à tout, l’un pour sauver sa peau et devenir riche, l’autre pour arrêter le premier. Le contexte posé, l’intrigue principale peut se mettre en place, et elle est assez simple. La police de Los Angeles commence à suivre Neil McCauley et ses complices pour les arrêter avant leur prochain coup, et les criminels doivent tout faire pour déjouer cette traque. En gros, on a résumé l’intégralité de Heat, entre courses-poursuites, tromperies dans les deux camps et quelques affrontements spectaculaires.
Pour autant, Michael Mann ne manque pas de matière et son film n’est pas un remplissage sans intérêt. Bien au contraire, à partir de cette base très classique, le cinéaste construit un long-métrage haletant, où l’on sent dès le départ que les choses vont dérailler, sans trop savoir comment. Et quand elles déraillent, elles ne le font pas à moitié : au cœur de Heat, une scène de fusillade entre police et malfrats est un moment d’une intensité exceptionnelle, sans doute parce que cette scène, filmée dans les vraies rues de Los Angeles sans musique, ni aucun autre artifice, est d’un réalisme rare. On n’est pas dans l’un de ces films où l’on sait naturellement que tout se terminera bien et où les coups de fusils ne sont là que pour exploiter les grosses enceintes des cinémas. Ici, on a presque l’impression de voir un documentaire et c’est une expérience vraiment très forte, à tel point qu’elle peut devenir gênante. D’autant que cette scène est anormalement longue : Michael Mann entretient pendant longtemps cette intensité, à tel point que l’on a le souffle coupé au bout d’un moment. Une scène vraiment impressionnante, mais Heat n’est pas un film d’action comme tant d’autres blockbusters pour autant. La violence est finalement assez rare, même si on a l’impression que ce n’est pas le cas par son intensité. Comme souvent chez ce réalisateur, ce long-métrage est aussi composé de nombreuses phases au ralenti, avec bon nombre de plans nocturnes sur Los Angeles et la fameuse confrontation entre les deux personnages principaux. Devenue mythique, cette scène permet aux deux acteurs de déployer tout leur talent et Robert De Niro autant qu’Al Pacino sont incontestablement exceptionnels dans le film. C’est aussi un moment-clé où le spectateur comprend qu’au fond, il n’y a pas une grande différence entre le criminel et le policier. Ce n’est pas une idée extrêmement originale, certes, mais Heat la montre remarquablement bien et cette scène est l’un des moments forts du film. Loin de fanfaronner, les deux acteurs sont dans la retenue et le calme et leurs personnages sont parfaitement crédibles. Une vraie réussite.
En signant lui-même le remake d’un téléfilm qu’il avait déjà réalisé dans les années 1980, Michael Mann prouve à nouveau qu’il est l’un des maîtres du thriller et du film de gangster. Heat ne brille pas par l’originalité de son scénario, ce n’est absolument pas son objectif. En revanche, le film est devenu culte par sa maîtrise formelle et son duo d’acteurs exceptionnels. Pendant près de trois heures, on est pris par une confrontation au sommet, et c’est un succès total. Heat fait partie de ces films qui n’ont l’air de rien sur le papier, mais que tout amateur de cinéma doit regarder au moins une fois. Un classique !