Trente ans après Mad Max : Au-delà du dôme du tonnerre, George Miller relance sa saga culte Mad Max avec un nouvel épisode qui, encore une fois, part dans une autre direction. Le cinéaste australien n’a pas choisi la voie de la cohérence avec les trois premiers films qui partaient tous dans des directions très différentes. Le premier volet, Mad Max, présentait un monde en fin de vie et l’imminence d’une catastrophe. Avec Mad Max 2 : Le défi, George Miller introduisait vraiment un monde apocalyptique, où la société a cédé la place à la loi du plus fort, pour un film très simple et direct qui lorgnait du côté du western. Le troisième épisode, moins convaincant, se déroulait après l’apocalypse, avec cette fois des emprunts au peplum et le sentiment d’être totalement déconnecté de ce qui précédait. Avec autant de changements de direction, Mad Max: Fury Road n’avait pas vraiment d’héritage à respecter et de fait, ce reboot est isolé dans l’ensemble de la saga, même s’il multiplie les liens avec ses prédécesseurs. Qu’importe le récit : avec un budget hollywoodien largement supérieur aux budgets des trois films précédents, George Miller signe un blockbuster d’une intensité extrême. Oubliez tout ce que vous aviez vu jusque-là : en matière d’action, Mad Max: Fury Road ridiculise tout ce qui se fait aujourd’hui et impose un nouveau standard. Époustouflant.
Mad Max: Fury Road commence par une sorte de rappel rapide du contexte général commun à toute la saga. Dans un pays jamais déterminé précisément, mais qui correspond bien à l’Australie, les sociétés modernes sont tombées autour d’une crise liée à la disparition du pétrole, avant qu’une guerre nucléaire détruise la majorité de la surface terrestre. Les seuls à survivre dans ce désert infernal sont motorisés et armés jusqu’au dent. Le premier plan du film présente Max, ancien policier qui a tout perdu dans le premier volet de la saga et qui a quelque peu perdu la tête. George Miller doit introduire un remplaçant, après trois films portés par Mel Gibson, et il faut reconnaître que cette toute première scène pose Tom Hardy avec beaucoup d’aplomb. On ne le voit pas tout de suite, on entend d’abord sa voie grave et il nous tourne le dos. Quand il écrase du talon un lézard à deux têtes avant de le manger, on comprend bien que son esprit n’est plus tout à fait sain et l’acteur est d’ailleurs méconnaissable avec sa barbe touffue. Pour bien mettre dans le ton, Mad Max: Fury Road lance une course-poursuite entre son personnage fétiche, dans sa voiture mythique et une bande armée jusqu’aux dents. Dans la plus grande tradition de la saga, le contexte est minimal : on ne sait pas ce qui s’est passé juste avant, on ne comprend pas pourquoi cette course-poursuite a lieu, George Miller se contente de poser l’action. Et dès cette première séquence, le réalisme des cascades s’impose avec beaucoup de naturel : à ce stade, on est déjà bluffé, alors même que la scène est très courte. On s’attendait à ce que le héros s’en sorte facilement, mais il est arrêté en quelques secondes par une bombe qui envoie son véhicule dans le décor. Loin d’offrir un nouveau héros idéal, le cinéaste détruit l’image de son personnage avant même d’afficher le titre de son film. La voiture et la référence à la mort de la femme et de la fille du personnage — que l’on a vu dans le premier Mad Max — suffit à créer le lien entre Mad Max: Fury Road et le reste de la saga. Une nouvelle histoire peut commencer.
La séquence suivante se déroule dans les cachots de la Citadelle, où Max est fait prisonnier. Cette communauté rassemblée autour de l’antipathique Immortan Joe survit dans l’immense désert grâce à une nappe phréatique. Même si le pétrole est toujours rare, ce n’est plus la ressource la plus importante dans Mad Max: Fury Road, c’est l’eau, indispensable à la vie. Une actualisation astucieuse de la saga, qui joue aussi sur d’autres tableaux. On découvre progressivement cette société totalitaire, où Joe règne non seulement en maître, mais aussi en dieu sur une armée de disciples qu’il crée avec l’aide de mère-porteuses. Une vision horrible, où l’humain n’est qu’une marchandise parmi d’autres et où tous ces guerriers qui ne peuvent survivre sans des transferts sanguins — Max est emprisonné justement pour son sang — n’ont qu’un objectif : mourir pour leur Immortan Joe. Ça, c’est la société du haut, mais il y a aussi des milliers de personnes affamées et déshydratées qui guettent l’ouverture des vannes effectuée pendant quelques secondes de temps en temps. George Miller poursuit, avec cette société, le travail qu’il avait commencé à Mad Max : Au-delà du dôme de tonnerre, mais avec une vision à la fois plus sombre et surtout plus réaliste. On n’est plus dans la caricature grossière, on est dans l’horreur pure et ce nouvel épisode est, de loin, le plus réaliste de la saga à cet égard. On sent que le cinéaste a muri sa vision post-apocalyptique et, les moyens gigantesques à sa disposition aidant, il a créé un univers très réussi, bien plus fort que la moyenne de ce que l’on voit à Hollywood aujourd’hui.
Bien plus riche sur le fond que ses prédécesseurs, Mad Max: Fury Road est en revanche toujours très simple sur sa trame générale. Passées l’introduction et la séquence dans la Citadelle, l’intrigue se met rapidement en place quand l’impératrice Furiosa (Charlize Theron, parfaite dans ce rôle de conductrice guerrière) dévie son camion chargé de récolter de l’essence dans une ville du coin. Immortan Joe s’aperçoit vite qu’il manque les cinq femmes chargées d’enfanter et il lance alors toute son armée aux trousses du convoi. On n’est encore dans la première demi-heure du film et George Miller installe la plus grande course-poursuite de la saga, peut-être la plus grande de l’histoire du cinéma. Devant, un camion renforcé de toute part et booster par un moteur surpuissant, comme on retrouve si souvent dans Mad Max. À ses trousses, des dizaines et des dizaines de véhicules en tout genre, bricolés avec des pièces de récupération et gonflés à la nitro. Les moyens modernes ont permis au réalisateur de se lâcher sur le plan technique et c’est bien simple, on n’a jamais vu une séquence aussi impressionnante. Pendant près de deux heures, on a cette immense course-poursuite qui n’est pratiquement jamais interrompue, mais qui est parcourue d’étapes intermédiaires et de péripéties diverses. Et pendant tout ce temps, Mad Max: Fury Road s’impose comme un spectacle ahurissant et étourdissant : George Miller s’en donne à cœur joie avec les bruits des moteurs, renforcés par les tambours et la guitare électrique de l’un des véhicules à la poursuite du camion. On en prend plein la vue et plein les oreilles, et plus de trente ans après Mad Max 2 : Le défi qui était déjà un modèle du genre, le cinéaste prouve qu’il n’a pas du tout dit son dernier mot. Bien au contraire, il va encore plus loin et ridiculise la production actuelle : à côté de ces scènes de haute-voltige, même Fast & Furious 7 paraît bien gentillet, c’est dire ! Et encore une fois, ce n’est pas une séquence de dix minutes au milieu du film, c’est la puissance maximale qui nous est proposée pendant deux heures. On sort de la salle sonné, mais ravi.
George Miller a réalisé un film uniquement avec une course-poursuite, mais Mad Max: Fury Road est paradoxalement très riche, bien plus que tous les épisodes précédents. La technique permet au réalisateur de tout faire, les moyens lui ouvrent des options dont il n’osait probablement même pas rêver dans les années 1980 et le résultat est extrêmement spectaculaire. La débauche de moyens, les cascades toutes plus impressionnantes les unes que les autres — on sent bien, en la matière, la participation du Cirque du Soleil — et la bande-originale musclée font de Mad Max: Fury Road un excellent divertissement, un blockbuster explosif à l’efficacité redoutable. Mais George Miller a aussi des choses à dire et le fait que le personnage de Max soit presque relégué au deuxième plan, en tout cas à égalité avec celui de Furiosa, est très intéressant. Tout comme sa vision post-apocalyptique, aussi noire que réaliste. À ne pas rater, et à voir le plus grand écran que vous trouverez.