Francis Ford Coppola n’est pas connu pour ses œuvres fantastiques et pourtant, le cinéaste compte trois longs-métrages dans cette catégorie. Près de vingt ans avant Twixt, il proposait sa propre lecture du mythe de Dracula. Derrière un titre simple, une œuvre complexe : Dracula ne cherche pas du tout l’épure, bien au contraire, cette adaptation basée sur le roman de Bram Stocker est visuellement très riche. Francis Ford Coppola n’a pas peur de tomber dans le kitsch d’ailleurs, un choix assumé pour un résultat étonnant, mais pas totalement réussi. Entre quelques acteurs qui semblent se demander ce qu’ils font dans ce projet et des décors manifestement limités pour raisons budgétaires, Dracula est une œuvre intéressante, à défaut d’être un film totalement convaincant.
On connaît l’histoire de Dracula, comte sanguinaire de Transylvanie qui part en guerre contre les Turcs et massacre énormément de monde. Les explications varient ensuite d’un autre à l’autre, mais Francis Ford Coppola suit fidèlement le roman de Bram Stocker en faisant se suicider la comtesse quand celle-ci apprend par erreur la mort de son mari. Rejetée par l’Église en raison de son suicide, elle est damnée et Dracula ne peut pas l’accepter : il maudit à son tour la religion chrétienne et embrasse le diable en devenant le vampire immortel et assoiffé de sang que l’on connaît. Passées les présentations médiévales, Dracula embraye ensuite sur le XIXe siècle, puisque c’est à cette époque et notamment à Londres que se déroule l’intrigue. Le vampire veut investir dans la capitale britannique pour des raisons qui importent peu, mais ce désir justifie l’arrivée de Jonathan Harker, jeune clerc dans une banque londonienne, au chateau de Dracula. Le jeune homme n’était censé venir que pour faire signer des papiers, mais son hôte tombe sur le portrait de Mina, sa fiancée, et il en tombe immédiatement amoureux. Par rapport au roman qu’il adapte, Francis Ford Coppola introduit ainsi un biais essentiel : il invente une romance entre Mina et Dracula et transforme son Dracula en film d’amour. Aussi étonnant que cela puisse paraître, le réalisateur s’éloigne du mythe horrifique habituel et propose une vision plus rare du vampirisme, très marquée par le désir sexuel ainsi que le sentiment amoureux. La morsure est ainsi systématiquement associée à un acte sexuel et l’enjeu amoureux prend vite le dessus dans le scénario. Cet angle original est le bienvenu pour relancer l’intérêt en faveur de Dracula. Malheureusement, il ne suffit pas à sauver un film qui ose, c’est vrai, mais qui ne parvient pas toujours à convaincre.
Dès les premiers plans, Francis Ford Coppola met en avant une esthétique très lourde, qui cherche plus du côté des pionniers du Septième art que des technologies de pointe. Ainsi, nulle informatique ici, tous les effets sont réalisés à l’ancienne, avec les mêmes techniques que les créateurs du cinéma utilisaient déjà. Le choix de tourner uniquement en studio, dicté par un budget rachitique, va dans le même sens : on n’a pas l’impression de voir des décors réalistes, on a le sentiment plutôt d’être sur une scène de théâtre. Ce n’est pas forcément gênant, même si Dracula présente d’emblée un caractère assez « cheap », qui tranche avec l’envergure de son réalisateur. Pour économiser encore, Francis Ford Coppola fait des choix radicaux, avec quelques très belles idées — les ombres chinoises pour représenter les combats du comte Dracula — et d’autres moins convaincantes. Le long-métrage frise en permanence avec le kitsch, quand il ne l’embrasse pas totalement, et ce n’est pas toujours très agréable à regarder. Le principal problème, c’est peut-être les personnages et leurs interprètes. Dracula ressemble tellement à l’Empereur de Star Wars que cela en devient troublant, tandis que l’incarnation rajeunie proposée par Gary Oldman évoque bizarrement Jack Sparrow. On ne remettra pas en doute le talent de l’acteur, d’autant moins qu’il était apparemment complètement dans son personnage, mais on peut questionner les consignes du réalisateur. Fallait-il vraiment livrer une interprétation aussi outrée de Dracula ? Avec ce jeu souvent trop artificiel, Gary Oldman oublie toute émotion, ce qui est gênant quand le sujet principal est une histoire d’amour. On épargnera à Keanu Reeves un commentaire supplémentaire sur son jeu médiocre, mais ce n’est pas le seul qui s’en tire assez mal. Dracula regorge de seconds rôles ratés, à l’image du pourtant très bon Anthony Hopkins qui est ici ridicule dans le rôle de Van Helsing. Winoma Ryder s’en tire un petit peu mieux dans celui de Mina, mais s’il fallait ne retenir qu’une prestation, on penserait plutôt à Tom Waits qui campe un fou avec beaucoup de conviction et, pour une fois, c’est convaincant.
Dracula a connu un beau succès populaire et critique à sa sortie, mais une trentaine d’années après, il est difficile de comprendre pourquoi. L’adaptation de Francis Ford Coppola n’a pas eu les moyens de son ambition, mais cela n’explique pas tout. Au-delà des choix esthétiques assez kitsch, pourquoi demander aux acteurs un jeu aussi peu réaliste et souvent grossier ? Comment, dans ces conditions, croire à l’histoire d’amour qui est au cœur du film ? Dracula est intéressant par son renouvellement du mythe, mais c’est un film décevant.