Pour son premier film en tant que réalisateur, Alex Garland a choisi de s’intéresser à l’intelligence artificielle. Un sujet que la science-fiction a déjà traité tant de fois que l’on ne voit pas bien ce que l’on pourrait ajouter, mais Ex Machina est loin d’être sans intérêt. Sans révolutionner le genre, l’écrivain et scénariste parvient à traiter son histoire de robot intelligent avec un angle originale et surtout une ambiance très réussie. Dans cette maison reculée d’Alaska, le film se transforme en un huis clos qui renforce le côté thriller, tout en offrant une vision complète et exigeante de la question. L’intelligence artificielle n’est pas un prétexte à des scènes d’action ici, c’est le moteur même d’Ex Machina et c’est une très belle réussite. À ne pas rater.
Loin des introductions lourdes à trop vouloir tout expliquer, Ex Machina commence dans le plus grand des mystères. Caleb, développeur de talent chez Bluebook — le numéro un des moteurs de recherche dans cet univers — reçoit un mail un beau jour l’indiquant qu’il a gagné un concours. On ne sait rien de ce concours, mais les réactions enthousiastes autour de lui laissent attendre le meilleur. On suit le jeune homme dans un hélicoptère au-dessus de la nature sauvage de l’Alaska, il est déposé au milieu d’une prairie et doit finir à pied jusqu’à une maison immense et luxueuse cachée au milieu de la nature. À ce stade, le long-métrage d’Alex Garland dure depuis plusieurs minutes et on ne sait toujours rien. On comprend vite ensuite que Caleb a gagné une semaine avec Nathan, son patron et le mythique créateur de Bluebook. Il est présenté comme un informaticien génial qui a créé la première version du moteur de recherche quand il avait 13 ans, qui est devenu immensément riche et qui vit désormais reclus dans un endroit magnifique, mais surtout vide. Ex Machina présente ce deuxième personnage comme un génie, certes, mais aussi comme un excentrique qui vit seul avec une serveuse muette, coupé du monde extérieur pour mieux se concentrer sur son travail. Le film se déroule uniquement pendant cette semaine gagnée par Caleb et le scénario passe beaucoup de temps à étudier la relation entre les deux hommes. Incarné par un Oscar Isaac parfaitement juste, Nathan est l’archétype du génie informatique animé par une vision. Il est totalement coupé du monde et ne s’embarrasse plus avec la société et les autres humains. On comprend qu’il s’est éloigné le plus possible de ses semblables et il n’hésite pas à mettre son entreprise au profit de ses recherches personnelles, accédant par exemple à toutes les caméras de tous les smartphones du monde sans demander l’avis à personne pour obtenir les données qu’il voulait. C’est un génie, certes, mais ce misanthrope est aussi inquiétant qu’il peut être brillant.
À ses côtés, Domhnall Gleeson est parfait pour incarner la candeur de Caleb. Ce jeune informaticien se sent privilégié et il est aux anges de rencontrer son patron qui est aussi certainement un modèle, voire son idole. Il est lui aussi brillant, même s’il ne peut prétendre au génie de son hôte, et il ne peut résister à l’invitation de Nathan. Car Ex Machina ne se construit pas seulement autour du duo de développeurs : c’est en fait un trio qui se forme avec Ava, un robot doté d’une intelligence artificielle d’un niveau jamais atteint jusque-là. Quand Caleb débarque, Nathan lui explique d’ailleurs qu’il doit mener le test de Turing pour déterminer si ce robot est conscient, ou s’il n’est qu’un programme vraiment intelligent. Alex Garland découpe ainsi son film en journées, avec à chaque fois une confrontation entre le jeune développeur et le robot. Rien de très original en la matière, mais on peut reconnaître que l’intelligence artificielle imaginée pour Ex Machina est brillante. Il faut déjà saluer la prestation d’Alice Vikander, jeune actrice suédoise qui parvient parfaitement à incarner ce robot intelligent. On croirait voir une vraie personne, sans jamais oublier sa nature robotique pour autant, et son jeu est précis et juste. On peut difficilement en parler sans dévoiler des éléments essentiels de l’intrigue, qui réserve quelques surprises. Disons simplement que dans ce film, aucun personnage n’en reste à la première impression et que dans ce huis clos magnifique et inquiétant, une forme de suspense se met vite en place. Qui manipule qui ? Dans ce jeu à trois parties, l’intelligence ne vient pas forcément de là où on l’attend. Et encore une fois, Ex Machina ne révolutionne pas le genre, mais ce film instaure une ambiance extrêmement convaincante, tout en traitant son sujet avec sérieux, sans en faire le prétexte qu’il est trop souvent. Résultat, on suit cette histoire avec beaucoup de plaisir et on est même surpris par une fin assez inattendue… on n’en dira pas plus !
Essai réussi pour Alex Garland, qui négocie remarquablement bien son passage de l’écriture à la réalisation avec Ex Machina. Avec relativement peu de moyens, il est parvenu à écrire une très belle histoire de science-fiction, et surtout une histoire crédible et qui prend à cœur de traiter son sujet plutôt que de s’en servir comme d’une excuse. L’intelligence artificielle est au cœur des enjeux ici et elle est traitée en connaissance de cause. Ex Machina est en outre un huis clos réussi, porté par une belle ambiance et avec un scénario subtilement intense. Alex Garland est un réalisateur prometteur et on a hate de voir ce qu’il fera par la suite.