Après Miami Vice : Deux flics à Miami, Michael Mann reste dans le registre des films de gangsters et de police, mais le cinéaste change cette fois de point de vue, et de contexte. Finie l’actualité, place aux années 1930 et à la Grande dépression américaine. Terminé le duo de flics, c’est un criminel que l’on suit et pas n’importe lequel : Public Enemies raconte une partie de l’histoire de John Dillinger, l’un des criminels les plus connus à cette époque. C’est même grâce à lui (ou à cause de lui, selon le point de vue) que le FBI tel qu’on le connaît aujourd’hui s’est mis en place : il fallait une organisation au niveau fédéral pour arrêter ce braqueur de banques que rien ne semblait pouvoir freiner. Un sujet passionnant, pour un résultat qui ne convainc pas totalement : il y a de bons moments, la trajectoire d’ensemble vers la mort du héros est bien maîtrisée, mais certaines scènes sont plus faibles et Public Ennemies souffre de sa longueur.
John Dillinger s’est fait connaître en s’échappant de prison à deux reprises et Public Enemies commence, assez logiquement, par une évasion1. En quelques minutes, on voit des armes entrer dans le pénitentiaire, puis l’attaque commence et permet au gangster, qui venait tout juste d’arriver, de s’échapper sous le feu nourri des mitraillettes. Cette première scène permet à Michael Mann de poser l’un des deux personnages de son film, la suivante lui sert à introduire le deuxième personnage important et après le gangster, le flic. Plus exactement, Melvin Purvis, agent du FBI qui fait preuve d’une précision meurtrière en tuant un criminel en fuite dans un verger. Il prend son fusil et n’hésite pas à tirer, tuant celui qu’il pourchassait. Non pas qu’il soit particulièrement dangereux ou irresponsable d’ailleurs : ces deux premières scènes sont meurtrières et le film montre bien qu’à cette époque, on n’hésitait pas à sortir les armes lourdes et à tuer, dans un camp comme dans l’autre. Avant de mettre en place son intrigue amoureuse, Public Enemies enchaîne avec une autre scène qui marque bien le personnage de John Dillinger : l’attaque d’une banque. On sent que ces hommes maîtrisent totalement l’opération, tout est fluide, ils entrent et repartent aussi facilement. Cette scène est aussi l’une des plus réussies du film, avec d’autres séquences d’action par la suite. Malheureusement, Michael Mann s’enlise un peu dans la foulée avec une histoire d’amour entre le gangster et une serveuse qu’il croise un soir dans un bar. Comme dans son précédemment film, il laisse une large place à cette histoire parallèle, mais qui conditionne toute la suite en influençant le jugement de John Dillinger. Hélas, ce qui était un point fort dans Miami Vice : Deux flics à Miami devient ici un défaut et tous les moments intimes du couple ne parviennent pas à convaincre.
Pour cette raison, Public Enemies n’est pas une œuvre brillante et Michael Mann passe à côté du grand film. Néanmoins, cela ne veut pas dire qu’il est mauvais pour autant. Certes, on aurait préféré avoir moins d’importance accordée au personnage féminin, même si Marion Cotillard se débrouille plutôt bien avec le rôle de Billie Fréchette, mais toute la partie sur la montée en puissance du FBI et l’émergence d’une force de police capable de mener des enquêtes modernes est beaucoup plus intéressante. On aurait aimé en voir plus, mais ce que l’on en voit est passionnant, à la fois parce que les techniques avancent et permettent effectivement de suivre les criminels au plus près — John Dillinger a chaud à plusieurs reprises dans le film —, mais aussi parce que l’on voit bien que c’est une période de transition. Si les gangsters s’en tirent aussi facilement, c’est aussi parce que les forces de l’ordre sont mauvaises : ils abandonnent leur poste, ne respectent pas les ordres, avancent en ordre dispersé, bref, ils ne sont pas au point. Ce que le cinéaste montre bien toutefois, c’est que ce n’est pas beaucoup mieux en face. Au fond, si John Dillinger se fait prendre, c’est parce qu’il est imprudent et amoureux. Public Enemies adopte des tournures proches de la tragédie, quand son héros n’arrête pas de revenir sur le devant de la scène pour retrouver sa belle, ou pour assurer un avenir à son couple qu’il imagine en fuite dans un pays paradisiaque, loin des États-Unis. C’est un personnage faillible et le scénario parvient bien à le présenter, ainsi que l’homme à ses trousses, avec la subtilité nécessaire. Qu’importe que le film fasse des erreurs historiques, ces deux personnages sont crédibles et c’est bien l’essentiel ; on peut au passage saluer les deux acteurs : Johnny Depp, comme Christian Bale, font très bien le boulot.
Public Enemies n’est pas un mauvais film, mais ce n’est pas l’œuvre la plus marquante dans la carrière de Michael Mann. On retrouve bien certaines passions du cinéaste, à commencer par les caméras numériques utilisées pour la première fois sur la totalité du tournage, mais l’alchimie ne prend pas aussi bien que dans ses œuvres précédentes. C’est peut-être la faute de cette histoire d’amour pourtant centrale pour comprendre le personnage John Dillinger et qui semble interminable et pas toujours très intéressante. Quoi qu’il en soit, Public Enemies mérite d’être vu, mais ce n’est pas le grand film que l’on pouvait attendre du réalisateur.
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- Mais pas une qui impliquait Dillinger, apparemment. Public Enemies a pris quelques libertés avec la réalité historique, mais après tout, ce n’est pas un documentaire. ↩