Avec Crimson Peak, Guillermo del Toro revient à ses premières amours. Le cinéaste mexicain s’était éloigné de son genre de prédilection avec l’énorme blockbuster Pacific Rim, mais il revient de plain-pied dans l’horreur et le fantastique avec ce nouveau long-métrage. Ce nouveau film offre un divertissement de qualité et délicieusement old school autour d’une vraie maison hantée pleine de fantômes, mais aussi d’une histoire d’amour assez banale, mais qui est l’excuse parfaite pour profiter de l’univers du réalisateur. Imaginez Le Labyrinthe de Pan avec des moyens bien plus conséquents et vous serez encore loin de la réussite technique de ce Crimson Peak, splendide et dégoutant à regarder. On pourrait reprocher à Guillermo del Toro un scénario un peu simple, mais son dernier film compense par une ambiance délicieusement aboutie et parfaite, tout simplement.
Le film n’essaie pas de faire durer le mystère plus que de raison et le tout premier plan de Crismon Peak l’affirme : les fantômes existent. Tous les spectateurs qui connaissent l’univers du cinéaste ne seront pas surpris outre mesure, le fantastique est ici posé comme une évidence que rien ne questionnera. Dans les premières minutes, on voit ainsi un fantôme, en l’occurrence celui de la mère d’Edith Cushing, notre héroïne et romancière en herbe, qui vient prévenir sa fille de se tenir à l’écart de Crimson Peak, sans qu’elle ne sache ce que cela signifie. Le récit reprend plusieurs années plus tard, quand la petite fille est devenue une jeune femme qui a laissé tout cela derrière elle. Et l’intrigue se met en place autour d’une histoire d’amour, bien sûr : Edith rencontre le mystérieux baronnet anglais Sir Thomas Sharpe et elle en tombe irrémédiablement amoureuse. Comme son père le pressent immédiatement, il y a toutefois anguille sous roche et le troublant noble britannique séduit en fait la belle pour l’attirer dans un manoir décrépi en Angleterre et récupérer son immense fortune. Guillermo del Toro imagine ainsi une histoire qui ne réserve aucune vraie surprise, du moins pas dans les grandes lignes. À l’image des fantômes qui sont pris comme acquis dès le départ, l’histoire d’amour se déroule comme elle se devait de le faire, sans chercher à tout prix l’originalité. On pourrait reprocher au scénario sa simplicité, mais Crimson Peak peut également être considéré comme un conte modernisé, ce qu’était déjà Le Labyrinthe de Pan. Et à cet égard, le long-métrage propose une vision très convaincante du conte fantastique, même si on aurait aimé que certains personnages soient mieux traités. Le personnage du docteur Alan McMichael est assez mal géré et on ne comprend pas vraiment ce qui le motive, alors même qu’il est essentiel dans le récit. La conclusion est peut-être aussi un petit peu bâclée, du moins expédiée trop rapidement et facilement, mais on n’en dira pas plus pour préserver la surprise.
On peut trouver à redire ici ou là du côté du scénario, mais il faut saluer le travail des acteurs et surtout des décorateurs. Mia Wasikowska est très bien dans son rôle de jeune américaine amoureuse et naïve, mais elle est quelque peu éclipsée par la performance impressionnante de Jessica Chastain. L’actrice incarne la sœur de Thomas et son personnage est trouble, entouré d’une aura de folie que l’on ne parvient pas tout de suite à bien cerner. Qu’importe, dès qu’il apparaît à l’écran, son personnage jette une sorte de malaise qui est communicatif. On n’est pas très bien face à sa performance, sans que l’on sache très bien expliquer pourquoi, et c’est indiscutablement sa réussite. Crimson Peak permet aussi à Tom Hiddleton de confirmer qu’il peut être un excellent acteur : après le magnifique Only Lovers Left Alive, il trouve ici encore le cadre idéal pour déployer son jeu et son personnage est totalement crédible, ce qui est essentiel. On peut bien parler des personnages et de l’intrigue, mais les véritables stars du dernier film de Guillermo del Toro, ce sont ses fantômes et sa demeure hantée. Les premiers reprennent l’idée d’une forme semi-transparente et flottante, mais l’imagination fertile du cinéaste a enrichi cette idée assez commune d’une rougeur sanglante que l’on retrouve tout au long et partout dans le film. Ces fantômes ont aussi des volutes qui les rendent encore plus impressionnants et ce sont sans doute les spectres les plus étonnants croisés au cinéma depuis plusieurs années. Le succès du projet leur doit beaucoup, mais pas autant qu’au manoir où se déroule l’essentiel de l’action et qui est, n’ayons pas peur des mots, un chef d’œuvre de décor de cinéma. Plutôt que de tout filmer devant des écrans verts, Guillermo del Toro a tenu à construire des décors en taille réelle et le travail de plusieurs mois a payé. Cette vieille baraque immense et délabrée est splendide et la quantité de détails vertigineuse. Il y a à voir de partout et on ne sait plus où donner de la tête ; on voit bien que tout a été pensé et placé avec soin. La photographie magnifie logiquement ce décor et la mise en scène intense fait le reste : Crimson Peak mérite d’être vu, ne serait-ce que pour ce décor…
On reconnaît bien le cinéma de Guillermo del Toro dans ce nouveau film, son meilleur de l’avis du principal intéressé. On n’ira pas jusque-là, Le Labyrinthe de Pan reste en tête sur la finesse du scénario et ses personnages plus intéressants, mais Crimson Peak est peut-être bien son long-métrage le plus abouti sur le plan technique. Le décor est magnifique et parfait pour créer cette ambiance de malaise qui convient si bien au récit. On n’est jamais à son aise dans cet immense manoir et avant même de tout savoir, on sent bien quelque chose ne tourne pas rond. Ce sentiment, on peut l’associer aux acteurs naturellement, mais pas seulement et Guillermo del Toro s’est bien surpassé en matière de décors et d’ambiance gothique. À l’heure des bilans, difficile de faire la fine bouche : Crimson Peak est un divertissement à l’ancienne mené d’une main de maître, un vrai plaisir à ne rater sous aucun prétexte.