Carol, Todd Haynes

Délicat, c’est le premier adjectif qui vient en tête quand on sort de la salle. Adapté d’un roman qui a connu un grand succès à sa sortie, au cœur des années 1950, Carol raconte une histoire d’amour entre deux femmes dans un contexte où c’était non seulement mal vu, mais où cette situation pouvait entraîner des conséquences assez terribles sur la vie familiale. Mais Todd Haynes ne réalise pas un long-métrage revendicatif, ou basé sur un quelconque scandale. Bien au contraire, le cinéaste prend cette relation amoureuse avec beaucoup de naturel et son film considère l’amour de ses deux héroïnes comme allant de soi. Il y a bien des cris et du scandale, mais ce n’est pas vraiment le sujet de Carol, qui reste toujours concentré sur son histoire d’amour, avec énormément de délicatesse. Un très beau film.

Carol Haynes

Todd Haynes choisit une structure narrative assez classique en commençant par la fin. Une scène où l’on suit d’abord un homme, avant de découvrir les deux femmes qui sont au cœur de Carol, assises à une table d’un restaurant. On ne sait pas encore ce qu’elles se disent, mais ce n’est pas nécessaire : leur regard suffit à tout dire. On comprend que Carol et Therese sont follement amoureuses, même si Todd Haynes laisse entrevoir qu’une distance s’est établie entre elles. Le temps n’est pas encore aux explications et le scénario remonte le temps jusqu’à leur rencontre, dans le magasin de jouets où Therese travaille, ce magasin où Carol vient acheter un jouet pour sa fille, ce magasin où le coup de foudre a éclaté. Là encore, le réalisateur n’a pas besoin de trop en dire, il lui suffit de positionner ses deux personnages dans la pièce et tout le reste se fait par les regards et l’ambiance. La bande-originale composée par Carter Burwell, compositeur attitré des frères Coen, est parfaitement adaptée au mélodrame et dans bien des contextes, elle aurait été complètement exagérée, mais elle s’accorde ici à merveille avec l’image. Puissante et touchante à la fois, elle contribue énormément à enrichir chaque séquence de Carol et à donner à cette histoire d’amour tout son sens, dès les premières secondes. C’est très beau sans être tout à fait ridicule, sans doute parce que le réalisateur joue cette carte au premier degré et jusqu’au bout. Probablement aussi parce que l’on y croit complètement.

Carol Cate Blanchett

Carol offre un écrin historique très bien reconstitué à son histoire. L’action se déroule, comme dans le roman adapté pour le grand écran, dans les États-Unis du début des années 1950 et Todd Haynes a réalisé un formidable travail pour ressusciter cette époque à l’écran. Il y a les décors, les habits, les véhicules, mais tout l’attirail des films à costumes est relativement facile à mettre en place. Le plus dur, c’est d’y faire croire et que l’on ne reste pas au stade du musée vivant, et ce long-métrage y parvient avec beaucoup de douceur et de grâce. La photographie feutrée et le grain parfois très présent à l’écran conduisent à l’étrange sensation de voir un film d’époque, ce qui n’a pas vraiment de sens. On se sent tout à fait dans l’époque et on s’y sent bien : pas une fausse note ne vient perturber notre plongée historique, si bien que l’on peut se concentrer sur l’essentiel, l’histoire d’amour bien sûr. Et pour croire à celle-ci, de bons décors ne font rien, il fallait deux actrices à la hauteur et Todd Haynes les a incontestablement trouvées. Rooney Mara n’a pas volé son prix d’interprétation féminine cannois, elle est toujours parfaitement sur la bonne note dans le rôle de Therese, une jeune femme qui ne sait pas exactement ce qu’elle veut, sauf qu’elle veut être avec Carol. Face à elle, Cate Blanchett trouve un rôle à la mesure de son talent et elle impose sa grâce avec un naturel désarmant. Sur certaines scènes, son personnage semble si parfait qu’il en devient un petit peu irréel, mais son jeu d’actrice reste malgré tout toujours impeccable. Une très belle performance, qui fait beaucoup dans la réussite du film.

Carol

Pendant près de deux heures, Todd Haynes donne le sentiment de raconter une histoire éthérée, presque sur un nuage. C’est une sensation assez étonnante, d’autant que le scénario de Carol n’oublie pas le quotidien et ses difficultés, entre avocats de divorce et motels un petit peu miteux dans un road-trip entre femmes. Mais le film n’oublie jamais une forme de délicatesse, alors même que les sentiments exprimés sont si forts. C’est certainement pour cette raison que l’ensemble fonctionne sans tomber dans la parodie risible. Le scénario, la mise en scène et les acteurs n’en font jamais trop et ils font toujours exactement ce qu’il faut. Carol n’est pas une œuvre complexe, encore moins originale, mais Todd Haynes maîtrise si bien son sujet que l’on atteint une forme de perfection. À voir.