Énorme succès au Japon à sa sortie1, Princesse Mononoké permet à Hayao Miyazaki et au studio Ghibli d’augmenter considérablement sa renommée. Il faut dire que ce septième long-métrage atteint une forme de perfection, tant dans la forme que dans la narration. En s’inspirant très librement du Japon médiéval et en greffant à ce fond historique la traditionnelle dimension fantastique qui a fait sa réputation, le cinéaste tente des choses nouvelles, adopte un ton beaucoup plus mature qui a d’ailleurs conduit à des restrictions à sa sortie en salles et propose une alliance de réalisme et de fantastique encore plus aboutie. Princesse Mononoké est aussi une fable écologiste où l’emprise des hommes s’affronte avec la Nature, mais Hayao Miyazaki n’en reste pas à une opposition entre deux camps bien distingués. Bien au contraire, le scénario déployé ici est subtil et complexe, pour un long-métrage tout en finesse et souvent sublime. Un classique !
Les premières minutes suffisent amplement à comprendre que Princesse Mononoké est une œuvre différente dans la carrière du cinéaste et du studio. Pour commencer, l’histoire se met en place sans la princesse annoncée par le titre, mais avec un prince qui sauve son village d’un dieu de la Nature devenu malfaisant suite à une blessure. Hayao Miyazaki commence directement avec le fantastique qui caractérise toute son œuvre, mais en même temps, c’est la première fois qu’il s’inscrit dans l’histoire japonaise de manière aussi explicite. Certes, Nausicaä de la vallée du vent s’inspirait de l’imaginaire historique du pays, mais cette fois, le studio franchit un pas supplémentaire en positionnant son récit dans le Moyen-Âge japonais. Sans aller jusqu’au film historique et réaliste toutefois, comme cette divinité maudite qui détruit tout sur son passage le prouve bien : on reste dans un entre-deux à mi-chemin entre réalisme et fantastique et Princesse Mononoké est peut-être l’une des œuvres du réalisateur qui va aussi loin dans une fusion. Ce qui n’empêche pas le scénario d’échapper à la réalité historique pour développer son histoire principale, que l’on pourrait résumer à la lutte entre nature et culture. Ashitaka, le prince du village qui parvient à sauver les habitants du dieu maudit est touché par la malédiction et il est obligé de fuir et de chercher l’origine du mal. Sa quête l’emmène loin, vers l’Ouest, où les divinités règnent en paix sur les forêts sous la forme de grands animaux, mais où cet équilibre ancestral est remis en cause par les activités humaines. Sur sa route, le prince croise les forges de Dame Eboshi, une activité très active qui mange progressivement sur les forêts pour alimenter le foyer indispensable à la fonte du minerai. Hayao Miyazaki oppose ainsi deux mondes et deux ères, et c’est précisément pour cela qu’il choisit l’époque médiévale comme cadre général. C’est un moment où la nature n’était pas encore tout à fait vaincue et où les animaux et la forêt ont encore une chance.
L’issue de ce conflit entre l’homme et la nature ne fait pas vraiment l’objet d’un suspense, même si sur ce point, Princesse Mononoké s’arrange librement avant la réalité. Ce qui est remarquable toutefois, c’est la présentation des deux camps par le scénario, qui n’est absolument pas aussi caricaturale que l’on pouvait escompter. On se doute bien que Hayao Miyazaki regrette cette époque où la nature avait son mot à dire, mais ce n’est pas pour autant qu’il condamne les activités humaines. D’ailleurs, le personnage de Dame Eboshi n’est pas aussi négatif qu’on l’imaginait : cette femme opposée à l’Empereur règne sur une communauté plutôt heureuse et juste, où les femmes ont une place importante et même, pourrait-on dire, où elles ont pris le pouvoir. Autour de la forge, une communauté de laissés pour compte s’est formée et on y vit assez bien, jusqu’au moment où les armées impériales attaquent. Certes, la patronne des lieux s’attaque aux divinités de la nature, mais c’est aussi pour défendre les siens et le long-métrage montre bien que, dans le même temps, elle doit affronter d’autres humains, plus dangereux encore. C’est donc un portrait plus nuancé qui nous est proposé et de la même manière, la princesse qui donne son nom au film2 n’est pas nécessairement aussi positive qu’on l’attendait. Pour commencer, on peut noter que ce personnage arrive assez tard dans l’intrigue, surtout si l’on exclue la première fois qu’on la voit brièvement. Hayao Miyazaki fait durer le suspense et il présente une princesse qui ne ressemble pas du tout à celles des contes de fée. La première fois qu’on croise ce personnage, elle plonge son visage dans la blessure d’un loup géant pour extraire une balle et elle en ressort ensanglantée. C’est une image forte, judicieusement exploitée par l’affiche originale, et qui classe Princesse Mononoké à part. De fait, on comprend pourquoi le film a été interdit aux moins de 12 ans à sa sortie en salles3 : les membres volent sous les flèches du héros et les blessures sont toujours bien réelles, sanglantes. Et alors que les humains ont leurs raisons, et de bonnes raisons, de s’en prendre à la nature, les motivations de la princesse ne sont pas toujours simples et évidentes. La jeune femme se prend pour une louve, elle hait ouvertement les humains et elle semble prête à combattre tous ceux qui se dresseraient sur son chemin. Quitte à s’en prendre à des femmes ou des enfants, qu’importe : c’est un personnage guerrier et violent, bien éloigné de l’image idyllique que l’on attendait.
Pendant toute sa carrière, Hayao Miyazaki a évolué en permanence entre les projets plutôt pour les enfants et ceux plus matures, sans jamais tomber complètement d’un côté ou de l’autre de la barrière. Princesse Mononoké en est un bon exemple : sur le papier, on a une histoire d’amour entre un prince et une princesse, un récit teinté de fantastique avec des animaux qui parlent, comme chez Walt Disney. À l’image pourtant, on a un long-métrage long (2h15) et épique où les lignes entre bien et mal sont très floues, où le sang peut couler à flots et où la princesse peut très bien tuer tout le monde sur sa route. Et en face, on a des humains qui s’en prennent à des divinités, c’est vrai, mais qui le font aussi pour leur propre survie et pas uniquement parce qu’ils sont mauvais ou corrompus. In fine, c’est cette complexité que l’on retient et qui place Princesse Mononoké à part dans la filmographie de Hayao Miyazaki. Un film d’animation plus adulte qu’en apparence, à ne pas rater !
- Si Titanic n’était pas sorti la même année, il aurait conservé son record… ↩
- Ce n’est vraiment évident qu’en japonais, mais Mononoké n’est pas son nom, puisque c’est un nom commun qui signifie « esprits vengeurs ». Dans la version originale, son prénom est donné à plusieurs reprises : San. ↩
- Du moins, en France. Aux États-Unis, le film a été vendu pour les enfants, une drôle d’idée qui explique probablement l’absence de succès à sa sortie. ↩