Théo & Hugo dans le même bateau commence par une séquence assez longue dans un sex club gay et les deux réalisateurs ne cachent rien, ni les fesses, ni les sexes en érection des hommes qui s’y croisent et se percutent. Une entrée en matière brute, frontale, sans aucune parole, mais qui n’a rien d’un film pornographique pour autant. Car dans ce bouillonnement sexuel, Olivier Decastel et Jacques Martineau filment en fait… un coup de foudre. Ce n’est pas dans ce lieu que l’on attendrait une histoire d’amour, mais c’est précisément le sujet du dernier long-métrage des cinéastes. Après le sexe, les deux tourtereaux marchent dans le Paris du petit matin, quand la capitale est encore totalement vide, ils discutent, apprennent à se connaitre sur fond de peur du SIDA. Théo & Hugo dans le même bateau ne brille pas par ses dialogues récités un petit peu trop formellement — l’héritage de la Nouvelle-Vague est bien là, trop peut-être —, mais ce couple compliqué reste convaincant et séduisant. Une œuvre à part, à découvrir.
Cette séquence d’ouverture risque de faire parler d’elle, il faut bien reconnaître que l’on voit rarement au cinéma une scène de sexe aussi explicite, surtout de sexe homosexuel. Pourtant, on devrait surtout en parler, non pas pour ce qu’elle montre, mais pour la forme très belle. Dans le sous-sol de ce club parisien, il fait très sombre et les corps ne sont éclairés que par des lampes rouges et bleus. Les hommes ressortent ainsi fortement sur des arrière-plans très sombres et le rendu est presque hypnotique, porté en outre par la bande-originale complètement dans l’esprit d’une boîte de nuit. Sans fard, Théo & Hugo dans le même bateau décrit les habitudes de ces endroits, où l’on multiplie les partenaires et où on baise avec le premier venu, parfois en duo, parfois à quatre ou cinq en même temps. Dans ce ballet sexuel, la caméra s’arrête plus particulièrement sur un jeune homme qui regarde en permanence un couple en pleine action. D’autres hommes lui font des avances, il en rejette certains, laisse les autres agir, mais il reste focalisé sur ce couple au milieu de la pièce, le regard bloqué, incapable apparemment de bouger. Petit à petit, il arrive à se rapprocher et à croiser le regard de celui qu’il convoite, et quelque chose se passe. Toujours sans aucun dialogue à ce stade, Jacques Martineau et Olivier Ducastel parviennent très bien à rendre cet amour naissant, ou en tout cas, à montrer que leurs étreintes ne sont pas que sexuelles. Certes, les corps se mêlent avec fougue, mais il y a des baisers et des caresses qui ne sont pas communes ici. Et puis le couple est exclusif : les deux réalisateurs les séparent du reste de l’assemblée par un jeu de mise en scène, en les éclairant différemment, comme s’ils n’étaient plus vraiment dans un lieu d’orgie, comme s’ils étaient les seuls au monde.
Après cette séquence intense, les deux protagonistes sortent et il est alors moins de cinq heures du matin. Commence une toute autre phase du long-métrage, faite de déambulations dans les rues parisiennes quasiment en temps réel, de Vélib’ et de kebab, mais aussi de SIDA et d’urgences. En effet, Hugo et Théo sortent d’abord du club avec une grosse envie de recommencer, mais la discussion aboutit vite sur une situation de crise : ils n’ont pas utilisé de préservatifs, et l’un des deux est séropositif. Il faut se rendre à l’hôpital le plus proche et craindre le pire, pas la meilleure manière de commencer une relation sérieuse. Naturellement, cette crise peut aussi les rapprocher et Théo & Hugo dans le même bateau joue constamment de cette situation, entre rapprochements et tensions. Les deux jeunes acteurs, François Nambot et Geoffrey Couët, ont été choisis pour leur proximité et elle est éclatante à l’écran : on pourrait juger que l’on a affaire à un véritable couple, tant leur couple de cinéma est convaincant. Malheureusement, leurs dialogues le sont beaucoup moins. Le scénario n’est pas toujours très bien écrit et de nombreux propos sonnent faux, notamment toute la partie autour du SIDA qui ressemble parfois à un clip de prévention. Il y a aussi le jeu qui pose problème, avec des phrases souvent récitées avec beaucoup trop de sérieux, sans conviction. Les deux acteurs donnent parfois le sentiment qu’ils venaient de découvrir leurs dialogues, déclamés comme dans une salle de classe, mais on sait que ce n’est pas le cas. C’est un effet voulu, dans la tradition parfaitement assumée de la Nouvelle-Vague et d’ailleurs, le choix du prénom de Théo est un clin d’œil à Agnès Varda et à Cléo de 5 à 71. On ne peut pas critiquer objectivement Olivier Ducastel et Jacques Martineau sur ce choix, tout sera affaire de goût quant à la réception, mais c’est tout de même dommage d’avoir des dialogues qui sonnent faux, alors que l’on a commencé avec une séquence muette parfaitement réaliste.
Proposition de cinéma très différente de la moyenne, Théo & Hugo dans le même bateau est très intéressant à cet égard, et le film mérite d’être vu. Entre scène de sexe et Paris nocturne, la photographie est souvent magnifique et l’histoire d’amour racontée par les deux réalisateurs est aussi atypique qu’elle est crédible. Les dialogues manquent souvent de réalisme, tant dans le texte que dans l’interprétation, mais l’ensemble mérite malgré tout le détour.
- Sorti en 1962, Cléo de 5 à 7 suit en temps réel le parcours d’une chanteuse qui attend des résultats pour savoir si elle atteinte du cancer et qui marche dans les rues de Paris pour essayer de calmer sa peur. De nombreux points communs avec ce long-métrage, indéniablement. ↩