Il faut bien reconnaître que Robert Zemeckis tenait un sujet en or pour sa dernière réalisation : l’histoire vraie et totalement folle de Philippe Petit, un funambule français qui a passé 45 minutes entre les deux tours du World Trade Center, seul sur son fil tendu illégalement. Cela semble complètement fou, ça l’était probablement, mais il n’empêche qu’il l’a fait et cette poursuite d’un rêve, envers et contre tout, est un sujet en or pour Hollywood. The Walk : Rêver plus haut s’y consacre entièrement et même si sa première partie évoque la naissance de la passion pour le jeune funambule, l’essentiel est consacré aux préparations, aux difficultés rencontrées par l’équipe et enfin à l’évènement. Cette dernière séquence est aussi impressionnante que stressante, avec un dosage du suspense de haute volée et elle suffit à elle seule à justifier de voir le film. Dommage que le reste soit moins à la hauteur, mais The Walk : Rêver plus haut mérite de patienter pour assister à ce final grandiose…
On ne sait pas exactement pourquoi, mais Robert Zemeckis s’est engagé très tôt sur le projet avec un acteur en tête pour le rôle principal, et il a obtenu gain de cause. C’est donc Joseph Gordon-Levitt qui incarne Philippe Petit, un choix qui pose problème à deux niveaux. Pour commencer, l’acteur est beaucoup plus vieux que son personnage, en particulier lors du flashback consacré aux premières années parisienne. Le funambule en herbe est alors censé avoir 18 ans, ce qui n’est pas du tout le cas de l’acteur et ce n’est pas le maquillage qui fait illusion : on voit bien la différence d’âge, c’est gênant. Mais le pire pour un public francophone, c’est naturellement qu’un acteur américain interprète un Français. Non pas que ce soit un problème en soi, mais aussi bon soit-il, Joseph Gordon-Levitt ne sonne jamais comme un français et son accent reste beaucoup trop marqué dès lors qu’il parle la langue de Molière. C’est vraiment dommage et on se demande bien pourquoi The Walk : Rêver plus haut ne pouvait pas avoir un interprète francophone dans le rôle principal — après tout, la présence de Charlotte Le Bon au casting prouve que c’était possible —, mais Robert Zemeckis en a probablement eu conscience et a bien réagi. Une pirouette du scénario justifie le fait que tous les personnages parlent en majorité anglais, et l’acteur parvient plutôt bien à parler sa propre langue avec un accent français. Tant qu’il s’exprime ainsi, on oublie cette erreur de casting et on peut se concentrer sur l’intrigue à proprement parler… même s’il faut aussi oublier des choix regrettables en termes de mise en scène et de scénario.
The Walk : Rêver plus haut est adapté directement de la biographie publiée par Philippe Petit, mais était-ce une raison pour faire parler ce dernier comme s’il était le narrateur ? Et quand bien même, qui a eu cette idée saugrenue de le faire parler perché sur la Statue de la Liberté ? C’est grotesque, d’autant que les deux tours jumelles sont encore là, au fond, et puis toute la partie racontée par le funambule lui-même est inutile, quand elle n’est pas agaçante. Bien souvent, le narrateur se contente de décrire ce qui se passe à l’écran, sans rien ajouter, ce qui plaira aux malvoyants, mais ce qui est absurde pour tous les autres spectateurs. Robert Zemeckis devait aimer cette idée, car il ne cesse de l’exploiter tout au long du film et c’est vraiment agaçant. Ce qui l’est aussi, c’est sa manière de filmer Paris, avec des séquences très kitsch en noir et blanc où seul un élément à l’écran est coloré, ou avec d’autres scènes éclairées dans des tons chauds que n’aurait pas renié Jean-Pierre Jeunet. Tout ceci est caricatural et même souvent gênant, mais tout est oublié et pardonné quand les personnages se dirigent enfin vers New York et vers l’exploit au cœur du long-métrage. The Walk : Rêver plus haut aurait peut-être gagné à raccourcir les préparations, c’est parfois un petit peu fastidieux, mais il faut bien reconnaître que le réalisateur sait monter la sauce quand il le faut. À partir du moment où Philippe et ses acolytes montent dans les deux tours pour préparer « le coup », la tension monte peu à peu, jusqu’au moment fatidique où le funambule pose son pied sur le câble. Et là, on retient son souffle : le jeune homme reste 45 minutes entre les deux tours, le temps de faire huit trajets, de se tourner et même à un moment de s’allonger sur ce câble de métal, sans la moindre protection. On avait des réserves sur le film, mais à ce stade là, Robert Zemeckis parvient à les balayer et à souffler les spectateurs. Le côte vertigineux est bien rendu, on a les mains en sueur, on craint le pire… bref, c’est un très beau moment de cinéma, qui justifie d’avoir patienté auparavant.
Difficile finalement de juger ce film qui souffre d’un grand nombre de défauts, mais qui parvient aussi à les faire oublier dans sa dernière séquence. On pourrait dire que Robert Zemeckis a réussi le principal en montrant correctement le clou du spectacle, mais The Walk : Rêver plus haut est un long-métrage de deux bonnes heures, et la majorité de ce temps n’est pas vraiment convaincante. Si vous avez un (très) grand écran, c’est peut-être la meilleure occasion de le tester…