And death shall have no dominion. Dylan Thomas
Portée à l’origine par James Cameron qui ne reste finalement sur le projet qu’en tant que producteur, Solaris n’est pas une œuvre fondamentalement originale. Le long-métrage tourné par Steven Soderbergh est l’adaptation d’un roman publié dans les années 1960 autant que le remake de la version cinématographique imaginée par Andreï Tarkovsky dans les années 1970. Mais ce n’est pas pour autant que l’on a une copie parfaite, c’est bien plus une relecture qui amène l’idée de base, toujours la même naturellement, sur un autre terrain. Stanislas Lem a inventé Solaris comme une œuvre de science-fiction, avec une interrogation sur l’intelligence artificielle. Le cinéaste russe tendait plutôt vers la métaphysique, avec un questionnement sur les limites de l’homme et notamment son intelligence. Quant à Steven Soderbergh, il écrit son scénario autour d’une histoire d’amour et l’espoir d’une seconde chance. C’est probablement pour cette raison que le film n’a pas trouvé son public, le contexte futuriste n’a pratiquement aucune espèce d’importance. Le résultat est une œuvre lente et souvent calme, portée par une musique sublime et à l’esthétique très travaillée. Solaris n’est pas un blockbuster et c’est très bien ainsi : un film d’ambiance à savourer.
Dès le départ, Steven Soderbergh signale que l’on n’a pas affaire à un film simple d’accès : on est projeté dans un univers dont on ne sait rien, et on n’a aucune explication. Le cinéaste nous montre le quotidien morne du docteur Chris Kelvin, un psychologue manifestement malheureux, las de la vie, sans que l’on ne sache encore pourquoi. On comprend au bout de quelques minutes que l’on est dans un univers futuriste, mais uniquement parce que l’on voit une cuisine trop moderne : on ne sait pas quand l’action se déroule et Solaris n’en dira jamais plus, à quoi bon ? L’intrigue se met en place tout aussi rapidement, quand deux hommes viennent montrer au psychologue la vidéo de l’un de ses amis, reçue d’un vaisseau spatial qui ne répond plus. Le docteur est appelé à la rescousse, pour une raison qui reste encore obscure et le plan d’après est justement consacré à son arrivée près de Solaris, une sorte de planète que la mission spatiale devait étudier. Que s’est-il passé exactement ? Que cherchaient-ils sur cette planète ? Steven Soderbergh en dit le moins possible et même si on en apprend un petit peu plus au fil du film, grâce à des flashbacks notamment, tout ce contexte est toujours secondaire. Le vaisseau spatial, l’espace et même Solaris elle-même, tout est secondaire dans cette version qui s’éloigne peut-être le plus de la science-fiction. De l’aveu même de son créateur, le vaisseau spatial est bien pratique pour isoler les personnages, tandis que la planète et ses mystères servent à expliquer certains éléments de l’intrigue, mais au fond, tout ceci n’a pas d’importance et Solaris aurait pu se dérouler dans un autre contexte. C’est probablement ce qui a dérouté les spectateurs de l’époque, qui s’attendaient à voir de la science-fiction en bonne et due forme, et non une histoire d’amour lente et méditative, comme c’est en fait le cas. La bande-originale composée par Chris Martinez, un habitué pour Steven Soderbergh, est à l’image de cet état d’esprit : lente, assez sobre, souvent sublime… la réussite du projet lui doit beaucoup.
Dans la version de Steven Soderbergh, Chris est mélancolique, car il vient de perdre Rheya, sa femme, qui s’est suicidée peu de temps avant le début de l’intrigue. Par brides dans le passé, on suit leur rencontre et leur histoire d’amour forte, mais toujours chaotique. Il a beau être psychologue, il n’arrive pas à gérer les difficultés de sa femme, très fragile sur le plan psychologique et le scénario n’a pas besoin de nous le dire pour que l’on sente de la culpabilité face à sa mort. C’est certainement pour cette raison qu’il accepte de quitter la planète et de partir vers l’inconnu, mais quand il arrive, il découvre une station spatiale pratiquement vide. Son ami est mort et il ne reste que deux membres d’équipage qui le préviennent des dangers à venir. Solaris n’est pas une œuvre spectaculaire et il ne faut pas s’attendre à une attaque extra-terrestre : la menace, ici, est l’apparition d’êtres de chair et d’os, mais des êtres qui ne devraient pas être là. C’est ainsi que Rheya apparaît lors de la première nuit de Chris. Il commence par rejeter — littéralement — cette apparition qui n’est pas explicable simplement, mais il tombe ensuite dans un état d’esprit complètement opposé et espère obtenir une seconde chance avec sa femme. Cette idée est au cœur du long-métrage, tout comme l’histoire d’amour entre ces deux êtres. Peut-on vraiment avoir une seconde chance après un suicide ? Comment l’amour peut survivre à un tel acte destructeur ? La question est d’autant plus forte que la femme apparue à bord du vaisseau spatial a des pulsions suicidaires, elle aussi. N’est-elle que la projection mentale de Chris ou une vraie personne ? Toutes ces questions sont brassées par Steven Soderbergh, mais le réalisateur préfère se concentrer sur l’amour, plutôt que sur les questionnements métaphysiques. On peut critiquer ce choix, mais le résultat à l’écran est parfaitement cohérent et il faut saluer les deux acteurs de ce drame amoureux : George Clooney et Natascha McElhone sont tous deux excellents et ils parviennent à apporter la crédibilité nécessaire à leur histoire. Dès leur première rencontre dans le train, dès le coup de foudre en quelque sorte, on y croit, car il se passe quelque chose de spécial. Il fallait un duo crédible et le cinéaste l’a bien trouvé.
Avec Solaris, Steven Soderbergh signe moins un long-métrage de science-fiction qu’une histoire d’amour. Tous les traceurs du genre sont pourtant là, avec une approche plus scientifique que fictionnelle — on pense inévitablement à Stanley Kubrick, d’ailleurs volontiers cité comme référence par le réalisateur —, mais l’espace est secondaire. Ici ce qui compte, c’est cet amour brisé par le suicide et l’espoir d’une seconde chance. Doit-on, comme l’auteur du roman original, regretter ce choix ? Difficile pourtant de critiquer le cinéaste quand on voit le résultat : Solaris est porté par une réalisation souvent très belle, par une musique sublime et par deux acteurs talentueux. Contrat rempli pour Steven Soderbergh…