Avec la régularité d’un métronome, Woody Allen continue d’enrichir sa filmographie pourtant très riche. Et alors qu’il fête le cinquantième année de sa carrière — c’est en 1966 qu’est sorti Lily la tigresse, sa toute première réalisation —, son quarante-septième long-métrage ne change aucun de ses fondamentaux. Ambiance jazzy dès le générique en lettres blanches, une histoire d’amour entre Los Angeles et New York, personnages aisés et nostalgie d’un âge d’or passé : Café Society est un Woody Allen « allenissime ». Mais cela tombe bien, qui mieux que le réalisateur pour signer de tels films ? Et là encore, force est de constater que le cinéaste new yorkais n’a pas perdu le coup de main et qu’il tient son rythme de croisière avec beaucoup de grâce et de talent. En même temps, c’est une œuvre de fiction que l’on a déjà vu des dizaines de fois et même si l’on passe un très bon moment, on oublie tout dès la sortie de la salle. Est-ce un problème pour autant ?
Café Society a été écrit par Woody Allen comme un roman, et cela se voit. Dès le départ, le narrateur — l’auteur lui-même — est très présent et il nous raconte tout, le contexte, les personnages. Pendant tout le film, il est là pour combler les vides, quitte parfois à en dire trop : on n’a pas vraiment besoin de la liste exhaustive du gratin new yorkais des années 1930, cela n’apporte rien. Néanmoins, le procédé bien que classique est très bien mené, on passe d’un personnage à l’autre, comme on le ferait d’un chapitre à l’autre. Ce n’est pas un procédé discret, mais ce n’est pas l’intention de son créateur et l’ensemble bénéficie ainsi d’une aura littéraire légèrement désuète qui lui va comme un gant. Il faut dire que, cette fois encore, Woody Allen joue la carte de la nostalgie en plantant son histoire avant la Seconde Guerre mondiale, un âge d’or pour le jazz qu’il affectionne tant, mais aussi pour un cinéma qu’il conserve probablement en référence. Il est logique, dès lors, que l’intrigue se divise entre Los Angeles et New York, entre les stars de Hollywood et les night-clubs chics de Manhattan. Dans cet univers, le cinéaste déploie son histoire amoureuse, à base cette fois d’un trio : Bobby est employé par son oncle Phil sur la côte ouest et il tombe amoureux de Vonnie, la jeune secrétaire qui entretient une relation extra-conjugale avec Phil depuis un an, mais qui tombe sous le charme du jeune homme. Qui choisir ? Que choisir, entre la maturité et l’assurance de l’un, et la frénésie bohème de l’autre ?
Le scénario est plus complexe que cela, avec plusieurs éléments secondaires sur la vie nocturne des riches à Hollywood comme à New York, et puis avec des informations supplémentaires sur la famille de Bobby et notamment sur son frère, Ben, impliqué jusqu’au coup dans la mafia locale. Mais il faut bien le dire, tous ces embranchements ne sont pas très intéressants, et Woody Allen lui-même ne les considère pas avec beaucoup d’attention. L’essentiel, c’est ce triangle amoureux et plus encore le choix de Vonnie, amoureuse de deux hommes et aimée de deux hommes. Café Society ne brille pas par son originalité, mais il faut reconnaître que le scénario est très bien écrit et, aidé par une direction d’acteurs irréprochable, il contribue à apporter à cette histoire toute la crédibilité nécessaire. On croit à cette fille perdue, qui ne sait pas choisir et qui aime tellement ses deux prétendants qu’elle ne peut que regretter son choix. Kristen Stewart est très bien dans ce rôle et sa moue légendaire convient parfaitement au personnage. À ses côtés, Steve Carell dans le rôle de l’oncle et Jesse Eisenberg dans celui du neveu sont également impeccables, dans deux genres opposés. Le premier est très sobre, mais impose sa présence à l’écran, façon force tranquille. Le second est agité comme toujours, il parle vite et son jeu d’acteur un petit peu gauche colle très exactement à la situation. On peut reprocher beaucoup de choses à Woody Allen, à commencer par une certaine paresse dans l’écriture ou dans les thèmes abordés, mais sa force est incontestable : il maîtrise son sujet, et délivre une copie d’un très haut niveau.
Alors certes, Café Society ne restera pas dans les annales du Septième Art et c’est un film léger, sans grand intérêt en soi, et que l’on oubliera vite. Mais en même temps, c’est aussi un long-métrage bref (une heure et demie) et divertissant qui se regarde avec beaucoup de plaisir. Et puis le triangle amoureux présenté ici est parfaitement crédible, ce qui n’est pas si simple à obtenir. Ce n’est pas un grand film, non, mais le Woody Allen de 2016 mérite bien le déplacement.