Existe-t-il série plus surprenante que Kaamelott ? Commencée sous la forme de pastilles humoristiques de quelques minutes, une enfilade de sketches sans vraie structure, elle s’est dévoilée sur la fin comme un grand univers de fiction à l’intérieur de lequel on peut tout envisager. C’est sans doute cela, le coup de maître d’Alexandre Astier : à partir de blagues potaches autour de la quête du Graal et de la légende arthurienne, ce touche-à-tout de génie a mis en place l’œuvre d’une carrière et probablement un univers qui restera dans les annales. Pourtant, les premières saisons — ou plutôt les premiers « livres » — ne laissaient pas entrevoir ce foisonnement de médiums, de la nouvelle à la bande-dessinée en passant par le long-métrage, annoncé à la fin de la série et qui devrait enfin émerger dans les prochaines années. L’auteur de Kaamelott ressemble si fort au personnage principal d’Arthur qu’il interprète aussi que l’on est fort » de faire le rapprochement : l’air de rien, il a créé la surprise en étant là où on ne l’attendait pas, comme son personnage prend la main sur la Bretagne au nez et à la barbe des Romains. À l’arrivée, cela donne une série imparfaite, mais passionnante.
Kaamelott commence avec des petites saynètes souvent très drôles, mais sans véritable profondeur, tournées rapidement et avec relativement peu de moyens pour répondre aux besoins de la télévision. Les quatre premiers livres sont ainsi constitués de 100 épisodes chacun, tous en général de moins de cinq minutes. On y découvre progressivement tous les personnages qui composent la série, le roi Arthur et sa reine Genièvre, les beaux-parents, le druide Merlin et bien sûr tous les chevaliers de la Table Ronde. L’équipe varie légèrement au fil des saisons, mais on retrouve toujours les mêmes, et la grande idée d’Alexandre Astier est d’en faire des incapables plus ridicules que valeureux. C’était déjà le point de départ de Dies Irae, le court-métrage réalisé deux ans avant la série, où l’on découvre tous les personnages principaux et même souvent les acteurs qui ont participé ensuite à la grande aventure. Tout n’est pas encore bien défini, mais l’idée centrale est déjà là : ces chevaliers censés trouver le Graal sont idiots et indisciplinés et la réunion de la Table Ronde se préoccupe plus du repas du midi que de la quête. À partir de cette idée, Kaamelott poursuit un nombre assez impressionnant de pistes, avec des épisodes purement centrés sur le Graal, mais aussi beaucoup d’épisodes conjugaux, dans le lit du roi ou à table avec la belle-famille. Loin d’en rester à une étude réaliste qui n’aurait aucun sens, Alexandre Astier préfère fort judicieusement moderniser le contexte, et évoquer des situations modernes, mais dans le cadre de la Bretagne — actuelle Grande-Bretagne — médiévale. Même les guerres incessantes contre les barbares sont l’occasion de conflits en famille, ou avec ces chevaliers qui ne comprennent rien à rien, et qui ratent en moyenne tout ce qu’ils entreprennent. Certains gags reviennent régulièrement, mais il faut reconnaître que le créateur de la série ne manquait pas d’idées pour renouveler le genre, et on ne s’ennuie jamais le long des quatre premiers livres. Certains épisodes sont un petit peu plus faibles, mais avec un tel volume c’est une évidence et l’ensemble tient très bien la route.
Pour tenir, la série peut compter sur l’humour de son inventeur. Même si on peut établir par endroit des points communs avec l’absurde britannique des Monty Python (comment ne pas penser à leur propre lecture de la quête du Graal ?), Alexandre Astier trace sa propre voie avec un humour plus français. Il se déclare volontiers fan du travail de Michel Audiard et la série est dédiée à Louis De Funès, mais il trouve vraiment son propre humour, avec des gags visuels, mais surtout des répliques en décalage constant avec l’époque et avec la légende et l’importance donnée a priori au Graal. Sans compter toutes les blagues récurrentes1 que tous les fans connaissent par coeur et qui sont, elles aussi, entrées dans la légende avec un bel accent rhodanien qui ne gâche rien. Mais ce qui est le plus étonnant avec Kaamelott, c’est que l’humour qui est si essentiel à la série dans un premier temps, disparaît presque totalement sur la fin. Le succès aidant, Alexandre Astier a progressivement repris la main sur sa création et il a imposé ce qu’il désirait probablement dès le départ : abandonner les sketchs pour une narration plus ambitieuse. Il l’a d’abord fait en tissant des fils conducteurs entre les épisodes, soit explicitement avec des épisodes en plusieurs partie, soit en renforçant la psychologie des personnages, ce qui leur permet d’exister au-delà de leur caricature. La dernière étape logique était de changer le format, ce qui est le cas avec les deux derniers livres qui abandonnent la pastille de cinq minutes au profit d’épisodes de 45 minutes à une heure, comme dans la majorité des autres séries. Pour tenir la distance, il fallait abandonner certains traits caractéristiques de Kaamelott et opter pour un humour qui tienne mieux la distance. Ce qu’a fait le réalisateur, mais il a été beaucoup plus loin que ce que l’on imaginait. Sans trop en dire, indiquons simplement que le Livre V est marqué par une phase de déprime pour le roi Arthur, quand il prend conscience que la quête du Graal ne mène à rien avec son équipe. Il s’isole de plus en plus, abandonne ses fonctions et ses amis et c’est une saison très sombre, traversée par la mort et une ambiance dépressive. C’est un changement vraiment radical et inattendu, qui se confirme dans une ultime saison en forme de préquelle, mais où l’humour a presque totalement disparu. Il reste des traces ici ou là, mais elles sont minoritaires et on sent qu’Alexandre Astier avait besoin d’autre choses. Il promet maintenant des long-métrages totalement différents, et on veut bien le croire : on sent que l’univers inventé pour Kaamelott lui permettra de créer tout et n’importe quoi.
Difficile de ne pas être impressionné par cet homme qui a écrit et réalisé cette série longue d’une quarantaine d’heures, mais aussi joué le rôle principal et même composer la bande-originale, très réussie d’ailleurs, qui devient centrale dans les deux dernières saisons. Alexandre Astier a tenu son projet d’une main de maître, et avec un objectif très clair en tête : rétrospectivement, on sent que les sketches des débuts de Kaamelott n’étaient qu’un prélude à ce qu’il avait vraiment en tête. Le changement de ton brutal sur la fin surprend et on pourrait dire qu’il n’était pas assez préparé par rapport à tout ce qui précédait, mais ce serait injuste. La série est à l’égale de son créateur, drôle et mélancolique à la fois, et elle est une réussite dans les deux cas. En attendant les longs-métrages, Kaamelott mérite bien d’être (re)vue.
- C’est pas faux ! ↩