À l’époque, la photo avait fait grand bruit et encore aujourd’hui, elle reste le témoin d’une bizarrerie de l’histoire. Elvis Presley serrant la main à Richard Nixon, un cliché pris dans le Bureau ovale de la Maison-Blanche à la fin de l’année 1970. Pourquoi ? Ce Président américain est resté dans les mémoires pour son amour des enregistrements, mais malheureusement la conversation n’a jamais été enregistrée et on ne sait pas vraiment ce qu’ils s’y sont dits. Ce qui est parfait pour imaginer un scénario sur cette improbable rencontre au sommet : il y avait déjà eu un long-métrage sur le sujet et près de dix ans plus tard, c’est au tour de Liza Johnson de se pencher sur la question. La cinéaste ne s’intéresse pas vraiment à l’aspect historique de l’événement toutefois et Elvis & Nixon est décevant si on veut en savoir plus sur l’époque et comprendre le décalage de ces deux hommes. À défaut de signer un film historique, la réalisatrice propose un solide divertissement, porté par deux excellents acteurs. Le résultat est très plaisant.
En terminant sur les traditionnels cartons explicatifs, Elvis & Nixon rappelle qu’Elvis Presley a été une immense star, une des plus grandes même. C’est vrai, mais il n’est pas inutile de le rappeler, tant ce n’est pas évident dans le film. Fin 1971, le « King » n’a plus que deux ans à vivre et sa carrière est clairement derrière lui. Il conserve encore d’immenses fans dans le monde entier et Liza Johnson a parfaitement réussi à rendre la folie qui pouvait l’entourer. Partout où ils passent, on se pâme, on déclame son amour, on réclame une signature ou une photo. Il est encore extrêmement apprécié et pourtant, on le voit dès le départ, il n’est plus du tout en phase avec son temps. C’est la grande idée du long-métrage et c’est un angle excellent : cet homme qui a connu la gloire et la fortune plus que quiconque est devenu amer et complètement isolé du reste du monde. Dans l’une de ses scènes les plus fortes, Elvis & Nixon développe cette idée et montre très bien que la star avait conscience de son statut. Ce n’est plus qu’un homme, c’est une idée et l’idée prend souvent le dessus sur l’homme. Il faut dire qu’il est assez ridicule avec tout son attirail, sa chevelure soigneusement entretenue, ses lunettes teintées surmontées de ses initiales, ses bagues et surtout son imposante chaîne en or autour du cou et même, pour les grandes occasions, une ceinture en or qui est au-delà du kitsch. Il est ridicule, il en a conscience et il en joue : il faut saluer à ce stade la performance assez exceptionnelle de Michael Shannon. L’acteur ne ressemble pas physiquement au chanteur, mais qu’importe, il l’incarne avec une ferveur telle que l’on y croit dès la première seconde.
Liza Shannon réussit très bien à représenter la star en quelques plans, c’est un petit peu moins bien pour le Président américain. Est-ce parce que Kevin Spacey est trop marqué désormais par son rôle similaire dans la série House of Cards ? Il y a probablement un petit peu de cela, d’autant que l’acteur a ici un jeu finalement assez proche de celui de la série, même s’il essaie de capturer au maximum la façon d’être de Richard Nixon. La ressemblance reste troublante et on ne peut, hélas, jamais l’oublier pleinement, ce qui dessert ce projet. Pour autant, le deuxième acteur au cœur d’Elvis & Presley est tout à fait à son aise et son charisme fait le reste : même si lui non plus, il ne ressemble pas à l’original, il est crédible. Par contre, il est moins bien dessiné sur le plan psychologique et le personnage est un petit peu en retrait face à son invité. Ce qui est peut-être un choix de mise en scène, puisque le long-métrage montre que le King avait l’avantage sur le Président. Assez court, il trouve un assez bon équilibre entre les préparations du rendez-vous et la rencontre proprement dite. Liza Shannon traite son histoire avec légèreté et c’est plutôt bien vu, tant Elvis Presley était à la limite de la folie, mais c’est aussi la limite du projet. À ne rien dire sur l’époque, on finit par oublier à quel point ces deux hommes qui râlent contre les Communistes et la jeunesse perdue à cause de la drogue et de la musique moderne pouvaient être déphasés. Certaines discussions sont hallucinantes rétrospectivement, mais on aurait aimé un meilleur ancrage historique pour les remettre dans leur contexte de l’époque.
À la place, Elvis & Nixon opte pour le divertissement pur, un choix qui est loin d’être interdit, naturellement. Le long-métrage de Liza Johnson ne fera pas date, assurément, même si on retiendra les prestations des deux acteurs. Kevin Spacey est excellent, mais dans un registre que l’on a déjà vu, là où Michael Shannon surprend. Son interprétation du King en plein délire, qui imagine sauver le monde rien qu’en collectant les badges, est au fond assez touchante et on aurait presque souhaité en voir plus. Mais cela aurait été un autre projet et Elvis & Nixon préfère se concentrer sur la rencontre si improbable de deux hommes au sommet.