Le film se veut un antidote à la noirceur et à la lourdeur des films dramatiques et du cinéma d’action. C’est un film que le spectateur devrait laisser flotter sous ses yeux, comme des images qu’on voit par la fenêtre d’un bus qui glisse, comme une gondole, à travers les rues d’une petite ville oubliée. — Jim Jarmusch
Depuis 1980, Jim Jarmusch trace sa route à l’écart et le cinéaste n’est pas prêt de s’arrêter. Après les vampires dans Only Lovers Left Alive, le cinéaste américains s’intéresse en apparence à un autre cliché. En apparence, seulement : en suivant pendant une semaine le conducteur de bus d’une petite ville New Jersey, Paterson célèbre la répétition du quotidien, mais pas l’ennui. Il ne se passe pas grand-chose pendant près de deux heures et en même temps, il se passe tout un tas de petits évènements, à la fois dans le bus et à la maison, où le personnage vit une belle histoire amoureuse. Une romance ? Un drame familial ? Non, Jim Jarmusch préfère « raconter une histoire tranquille » et faire de la poésie. Une œuvre contemplative et poétique, à ne pas rater.
Paterson commence avec un plan au-dessus d’un lit, un lundi matin. Un homme et une femme s’éveillent en même temps que le jour, ils évoquent leur avenir avant de manger ensemble ; puis il part seul, marche dans une ville indéterminée jusqu’à l’entrepôt qui contient le bus qu’il conduit toute la journée, avant de rentrer retrouver sa femme le soir venu. Jim Jarmusch n’est pas un cinéaste de l’explicite et il commence son dernier film sans dire, en tout cas sans rien dire de superflu. On ne sait pas où on est, même si on comprend vite que l’histoire se déploie à Paterson, dans le New Jersey. On comprend aussi que le personnage principal se nomme lui aussi Paterson, ce qui lui vaut quelques remarques amusées de son entourage et une interrogation de la part du spectateur. Mais non, il n’y a rien d’extraordinaire à chercher. Pour bien profiter du long-métrage, il convient au contraire de se laisser porter par un quotidien qui sera répété sept fois, chaque jours de la semaine. Le lever entre 6 heures et 6h30 — le personnage regarde systématiquement sa montre pour le vérifier —, petit déjeuner, marche jusqu’au travail, le travail, la pause du déjeuner, le retour à la maison pour le diner et enfin, pour conclure la journée, la balade jusqu’au bar du coin pour sortir Marvin, le chien. Paterson suit aussi, mais moins fidèlement, Laura dans ses activités artistiques du quotidien, ou bien sa cuisine. Tout est là, il n’y a rien de plus extraordinaire à attendre, ou alors une panne de bus qui viendra perturber le quotidien, mais aucun drame, aucune action. De l’ennui, alors ?
Bien au contraire, Paterson n’est pas une œuvre vide. Elle est pleine de petits détails et de petites choses à découvrir, des conversations futiles, un joli paysage, un couple amoureux qui se dispute et même des choses encore plus futiles a priori, telle cette boîte d’allumettes qui inspire Paterson. Tout cela, à condition de savoir regarder, c’est de la poésie. Et c’est précisément ce qui intéresse Jim Jarmusch dans ce long-métrage : son personnage principal est un poète qui a des vers plein la tête et qui profite de la moindre pause pour noircir un carnet de notes de ses mots. Le choix de la ville qui donne son nom au film ne doit rien au hasard, c’est une localité associée à la poésie américaine1. La poésie est omniprésente dans le film, à la fois parce que le personnage principal en écrit et en lit, aussi parce que les vers apparaissent à l’écran alors qu’il les pense, encore parce que le long-métrage lui-même, par sa structure répétitive, est un poème. Au fond, Paterson raconte le quotidien d’un poète sous la forme d’un poème, où les mots ont été remplacés par des images ou une ambiance, des notes. Comme sur Only Lovers Left Alive, c’est SQÜRL qui signe la bande-originale, un groupe composé de Carter Logan et de Jim Jarmusch qui est décidément partout. Une musique aérienne qui vient enrichir l’ambiance, sans l’alourdir, tout en subtilité. Un résumé finalement du travail du cinéaste qui avance en douceur et impose un rythme lent et serein. On ne s’ennuie jamais, il y a trop à faire entre les conversations du bus et celles du bar. On prend néanmoins le temps de profiter du moment présent et à cet égard, Paterson n’est pas seulement très beau, c’est aussi un film reposant qui fait du bien dans le vacarme habituel.
Jim Jarmusch a fait appel à un poète pour composer les poèmes qui parcourent Paterson et les textes sont tous de qualité. La photographie est elle aussi excellente, surtout quand elle souligne la beauté inattendue de cette ancienne ville industrielle désormais recouverte de friches. Enfin, le projet bénéficie de ses acteurs, tous excellents et tout particulièrement Adam Driver, parfait dans son rôle de poète amoureux et observateur discret. Sur le papier, le dernier long-métrage du cinéaste n’est pas simple d’accès, mais essayez de vous laisser porter et vous ne le regretterez pas. Paterson mérite le détour.
- Constamment cité par Paterson, William Carlos Williams est un poète important dans la culture américaine et il était de la région. D’autres poètes et écrivains ont cité la ville dans leurs œuvres et on imagine que le touriste japonais à la fin du film n’est pas qu’un pur produit de l’imagination du réalisateur. ↩