Terence Winter s’est fait connaître pour son travail en tant que scénariste avec l’excellente série Les Soprano. Et après avoir imaginé une famille de mafieux du New Jersey, Boardwalk Empire suit à nouveau les pas d’un groupe de mafieux du New Jersey. Il y a une différence de taille toutefois : cette nouvelle série HBO se déroule cette fois au cœur de la Prohibition, dans les années 1920. C’est une vision traditionnelle de la mafia qui est proposée cette fois et la présence de Martin Scorsese qui a réalisé le pilote et produit le reste de la série n’est pas un hasard. Boardwalk Empire représente l’archétype du film de gangster, mais sur petit écran. Le résultat est une reconstitution historique du meilleur niveau, un casting superbe et des premières saisons qui valent absolument le détour. Terence Winter tourne un petit peu en rond sur la fin, mais ce n’est pas une raison pour bouder l’ensemble. Avis aux amateurs du genre, ne passez pas à côté !
Boardwalk Empire commence en 1920 et ce n’est nullement un hasard. C’est cette année-là que le Volstead Act entre en vigueur et interdit l’alcool sur tout le territoire des États-Unis. La prohibition est appliquée en théorie à partir du 16 janvier 1920, mais à Atlantic City, cette interdiction est avant tout une manière bien pratique de gagner encore davantage d’argent. Dans le pilote réalisé par Martin Scorsese et qui a des allures de long-métrage, on voit notamment les dirigeants de la ville célébrer la prohibition avec des litres d’alcool. Au milieu, Enoch Thompson, dit Nucky, n’est que trésorier du comté, mais derrière ce titre se cache l’homme le plus puissant de la ville puisque c’est lui qui est à la tête de l’organisation criminelle qui gère tous les aspects de la vie d’Atlantic City. C’est aussi le héros de la série et il s’inspire directement d’un personnage historique. L’intrigue se construit autour de lui et autour du trafic d’alcool qui se met rapidement en place. La ville est située sur le littoral atlantique, ce qui simplifie l’import de whisky depuis l’Europe et de rhum depuis les Caraïbes. Les bouteilles sont ensuite distribuées dans la ville et dans tout le pays, de New York à Chicago. Progressivement, l’effet pervers de la prohibition se dévoile, avec de l’alcool qui continue de couler à flot et qui enrichit la mafia. Les prix explosent, l’alcool frelaté de mauvaise qualité apparaît partout et la faiblesse des autorités est ridicule face à l’organisation et à l’argent des gangsters. Les premières saisons s’attachent tout particulièrement à décrire l’impuissance du gouvernement à appliquer sa propre loi et souvent la complaisance de ceux qui gouvernent. Nucky peut agir librement, c’est lui qui contrôle les élections locales et il paie aussi le sénateur, les juges, les procureurs… qui s’en prendrait à lui ? Pas les autorités bien sûr, mais les autres mafieux qui jalousent son empire. La violence est omniprésente dans Boardwalk Empire comme elle l’était à l’époque et les cadavres commencent à s’empiler dès le pilote. Les gangsters attaquent les autres gangsters, Nucky protège ses intérêts à n’importe quel prix et la police ne peut rien faire, ou bien souvent ne veut rien faire. Toute cette mécanique de la prohibition est déjà bien connue, mais Terence Winter fait un excellent travail pour la remettre en œuvre et la démonstration est assez brillante.
Le travail de reconstitution historique est excellent, notamment grâce au décor créé pour les besoins de la série, avec cette jetée d’Atlantic City qui a donné son titre à l’œuvre. Les costumes sont eux aussi soignés et l’ensemble est remarquable de crédibilité. C’est déjà une belle réussite, mais Boardwalk Empire ne serait rien sans de bons personnages et une intrigue personnelle intéressante. C’était d’ailleurs la plus grande réussite de David Chase avec Les Soprano : en creusant la psychologie de ses personnages, la série avait atteint des sommets de narration et elle reste toujours aussi forte des années après. C’est un petit peu moins le cas pour celle de Terence Winter, mais cela ne veut pas dire que ses personnages ne sont pas intéressants. Bien au contraire, Nucky est un homme complexe et les cinq saisons parviennent bien à la montrer. Il peut se révéler extrêmement dur et dangereux, tuant ses plus proches collaborateurs sans hésiter et sans regret s’il s’estime roulé. Et en même temps, il est capable d’amour et de générosité, il peut faire un bon père de substitution quand la situation se présente et derrière l’horreur du mafieux se cache un homme bon. Cette hésitation est constante et il fallait un bon acteur pour la transmettre : le choix de Steve Buscemi est évident et son jeu est parfait du début à la fin. Boardwalk Empire mérite d’être vu ne serait-ce que pour lui, ce serait néanmoins injuste de ne pas saluer le travail de ceux qui l’entourent. Il n’y a aucune fausse note et le seul regret à formuler est que certains personnages auraient mérité une plus grande présence. Pour ne citer qu’un exemple, l’agent Van Alden (incarné par un Michael Shannon vraiment, comme d’habitude) a un parcours extrêmement intéressant, mais il manque un petit peu d’épaisseur psychologique et on ne comprend pas toujours son évolution. Dans un autre domaine, un des personnages essentiels dans les débuts disparaît à un moment dans la série et c’est une perte sensible par la suite. Le scénario aurait peut-être mieux fait de le garder en suivant une autre direction.
De manière générale, Boardwalk Empire est vraiment excellente dans ses débuts avec au moins trois saisons d’un très grand niveau. Elle perd toutefois sur la fin, surtout parce que l’intrigue devient répétitive. Nucky connaît des déboires, revient sur le devant de la scène, il est attaqué à nouveau, parvient à s’en sortir, mais un nouvelle menace survient… on comprend l’idée. HBO aurait probablement gagné à ne garder que trois saisons et la condenser, ou bien alors d’oser davantage, comme la cinquième saison le fait. Terence Winter va alors chercher dans le passé de ses personnages et il parvient à relancer l’intérêt de la série… le temps de huit épisodes seulement. Boardwalk Empire se termine sur une note moins positive, c’est vrai, mais il ne faudrait pas oublier l’excellence des débuts. En moyenne, elle reste ainsi une série très convaincante qui mérite amplement d’être vue.