Que donne une musique fragile et minimaliste sur scène et dans l’immense Halle Tony Garnier lyonnaise ? La question se pose alors que l’on patiente devant le bâtiment historique reconverti à la va-vite en gigantesque salle de spectacle après avoir servi à l’origine de marché aux bestiaux. The XX a signé trois albums, dont un qui est devenu instantanément une œuvre culte et qui a été si largement utilisée que l’on oublierait presque qu’elle a été créée par une bande d’adolescents dans un garage. Depuis, le groupe n’a jamais retrouvé une formule aussi parfaite, même si I See You, leur dernier album, est excellent. Mais leur marque de fabrique, c’est un dispositif minimal avec quelques traits de guitare et de basse soutenus par de l’électronique. Comment retranscrire cet aspect frêle si beau et ne pas détruire l’émotion provoquée par la musique sur scène ? Ce n’est pas toujours totalement réussi, mais les trois membres de The XX parviennent bien à toucher et à faire danser une salle entière.
Passons sur la première partie purement électronique, sans un seul mot pour la salle et avec un set qui peine à réchauffer la salle1 et venons-en directement au cœur du sujet : The XX. Ce concert à la Halle Tony Garnier est l’une des nombreuses dates du I See You Tour, la tournée qui suit le sortie du dernier album. Les hostilités commencent d’ailleurs avec l’un des nouveaux morceaux du groupe, plus tard Romy Madley Croft, la chanteuse et guitariste, glissera qu’ils sont contents d’être à nouveau sur scène avec des nouveautés à faire entendre. C’est vrai qu’il s’était passé un moment sans nouvelles de leur part, Jamie XX, l’homme aux platines sur son estrade, avait fait un album de son côté et on se demandait si le groupe allait rester éphémère. Les dix morceaux d’I See You prouvent bien que non et ils ont eu droit à une grosse place dans la liste de titres joués. C’est logique, mais on sent aussi que ces morceaux sont moins maîtrisés et davantage récités. C’est un problème assez général d’ailleurs, The XX reste trop souvent collé à ses enregistrements studio et n’a pas l’audace de sortir du cadre. C’est le cas de la majorité des groupes, ceux qui sont transcendés par la scène sont au fond assez rares, mais c’était flagrant sur ces nouveautés. Les titres plus anciens étaient mieux connus du public à en juger à l’applaudimètre et ils offraient aussi plus de latitude aux trois musiciens. Mention spécial à l’enchaînement autour du premier rappel, avec une succession de morceaux reliés par des improvisations de Jamie XX. Le concert a alors pris une toute autre dimension, mais c’est l’exception plutôt que la règle, hélas. Il faut dire aussi que la musique originale est si simple qu’elle ne laisse pas beaucoup de latitude pour improviser, surtout quand il faut jouer un sample.
On pourrait croire que le résultat est décevant, mais ce n’est pas le cas et The XX justifie pleinement sa tournée internationale. Pour commencer, le jeu scénique est très travaillé et original, avec un dispositif que je n’avais jamais vu à base de LED et surtout de miroirs. Derrière la scène et sur les côtés, de gros blocs rotatifs ont été montés et ils servent, selon les besoins, à diffuser la lumière des projecteurs environnants ou bien à générer leur propre lumière grâce à une barre de LED sur une tranche. C’est astucieux, car cette installation toute simple offre mille options : statiques, ces miroirs agrandissent la scène. Mobiles, ils créent des effets de lumière différents de ceux que l’on voit via les projecteurs à point fixe. Le plafond lui-même est un miroir qui vient se baisser sur quelques morceaux pour montrer ce que font les musiciens depuis le dessus. Ou alors pour refléter des projecteurs verticaux qui agissent dans cette configuration comme stroboscope : il fallait y penser. C’est très simple au fond, mais très bien trouvé et cette mise en scène colle bien à la musique de The XX. Pour la découvrir en meilleure qualité que sur mes photos prises avec un smartphone, je vous recommande cet album Flickr d’un vrai photographe qui a pu s’approcher plus que moi. Un concert, c’est avant tout de la musique et au-delà du visuel, le groupe a réussi à toucher sur la scène, encore davantage peut-être que sur les albums. Le duo formé par Romy Madley Croft à la guitare et Oliver Sim à la basse fonctionne très bien, pas tant pour leur instrument respective que pour leur voix. Le duo improbable d’une voix très harmonique et qui monte assez haut avec cette voix grave et qui parle presque plus qu’elle ne chante fonctionne très bien et la fragilité que j’évoquais provient souvent de la juxtaposition de ces deux extrêmes. Cela fonctionne déjà en studio, c’est encore mieux en live où les deux artistes peuvent se répondre et donner le sentiment de former un vrai couple, fût-il uniquement de scène.
Dommage que la qualité sonore de cette halle2 nuise en partie à cette belle harmonie, mais rien ne viendra gâcher le plaisir éprouvé en écoutant et en regardant The XX. Le groupe n’est pas un monstre de scène, c’est même tout le contraire quand la chanteuse s’excuse timidement avant d’attaquer un morceau seule. Elle n’avait aucune raison de le faire, ce titre était l’un des meilleurs moments du concert, mais c’est bien leur état d’esprit, loin de l’assurance des plus grosses stars et sincèrement surpris d’être dans de si grandes salles. On leur pardonne bien volontiers de rester un petit peu trop près des albums studios, leur musique parvient à nous toucher dans les deux cas. Un très beau concert.
- On apprend plus tard qu’il s’agissait de Floating Points. Il aurait pu le mentionner à un moment ou à un autre… ↩
- Je me posais la question déjà la dernière fois, je crois que c’est clair maintenant : l’acoustique est vraiment mauvaise dans cette salle, surtout pour les basses fréquences, réduites en bouillie. Dommage, mais il n’y a sans doute pas grand-chose à faire à ce stade. ↩