Après l’immense et inattendu succès de La Passion du Christ, Mel Gibson revient sur le devant de la scène et lui offre une indépendance financière pour continuer. Le cinéaste peut alors se lancer dans un nouveau projet peut-être encore plus fou : un film d’action au cœur de la civilisation maya, alors que celle-ci connaît ses dernières heures. Tourné exclusivement en maya yucathèque, porté par un casting inconnu et n’hésitant pas à filmer frontalement la violence, Apocalypto est un long-métrage radical et ambitieux. Le résultat n’est pas totalement réussi malheureusement : certaines séquences sont excellentes, notamment les course-poursuites dans la forêt, mais le film verse trop souvent dans les clichés grossiers, tout en ayant bien du mal à masquer un message douteux derrière une couche de réalisme historique qui ne tient pas la route.
Apocalypto commence par une longue scène de chasse au cœur de la forêt tropicale, quelque part au Mexique. Le long-métrage ne donne aucune indication temporelle, mais on identifie sans peine une civilisation amérindienne préhispanique. Il n’y a aucune trace des colons occidentaux et le choix de Mel Gibson d’utiliser la langue yucathèque, même s’il n’est peut-être pas historiquement très fiable, est un bon moyen de plonger le spectateur dans cette époque. Dès les premiers plans donc, le long-métrage parvient très bien à créer une ambiance et le dépaysement voulu par le réalisateur. Cette séquence inaugurale est aussi une bonne entrée en matière pour l’action déployée dans le reste du projet. Le cinéaste a expliqué lors de la sortie d’Apocalypto qu’il souhaitait revenir à une action à l’ancienne, sans aucun effet numérique et il faut reconnaître que c’est une réussite. C’est visible dans cette première scène, mais encore davantage pour la longue chasse à l’homme qui termine le film. Dans ces séquences plus simples, où la caméra se concentre uniquement sur la sensation de vitesse et sur le chasseur et le chassé, Mel Gibson parvient à créer quelques moments de cinéma avec une teinte old-school qui n’est pas déplaisante. Le réalisateur prouve son talent et l’ensemble est parfaitement mené, avec du rythme et le sens du montage nécessaire pour donner le sentiment de vitesse sans perdre les spectateurs. La tension est bien dosée et la violence parfois extrême des images est un bon moyen de renforcer l’intensité de ces passages. En tant que film d’action donc, on peut dire que le contrat est réussi.
Le problème, c’est qu’Apocalypto n’est pas qu’un film d’action composé de quelques séquences de course-poursuite dans la forêt. Et tout le reste n’est pas du tout à la hauteur, pour ne pas dire que c’est souvent mauvais. Pour commencer, la majorité des séquences « intimes », dans le village surtout au début, sonnent fausses. C’est difficile d’expliquer pourquoi, peut-être le choix de la langue qui joue contre le film en donnant le sentiment que les acteurs ont été doublés. Peut-être aussi les interactions trop grossières, par exemple les rires qui suivent les mésaventures conjugales de l’un des indiens qui peinent à convaincre. Le pire toutefois, c’est le fil narratif principal, l’histoire d’amour entre le héros, Patte de Jaguar, et sa femme et son fils. Mel Gibson imagine son intrigue autour de la captivité de tous les hommes et toutes les femmes du village par des Mayas venus de la ville la plus proche. Ils cherchent des esclaves à vendre et surtout des hommes à sacrifier. On sait que le sacrifice humain était une composante importante de cette civilisation et l’idée est ainsi intéressante, même si Apocalypto est bourré d’erreurs historiques alors qu’il se veut réaliste. Il n’y a probablement jamais eu de sacrifice de masse comme celui qui est montré au cœur du film, pas plus qu’il n’y probablement jamais eu de fosses communes comme on en voit une. Mais passons sur ces erreurs historiques, après tout ce n’est pas un documentaire et il faut bien admettre que les scènes en question sont extrêmement impressionnantes. En revanche, on pardonne moins les clichés et facilités qui s’accumulent. Notre héros est touché par une flèche qui traverse son corps, mais cela ne l’empêche pas de courir pendant plusieurs jours sans jamais ralentir. Il tombe nez à nez avec un jaguar ? Qu’à cela ne tienne, il court devant et le distance. Il tombe dans une sorte de fosse qui agit comme des sables mouvants ? Il s’en sort sans aucun problème. Tout est sur le même registre et Mel Gibson ne fait rien pour surprendre, avec son personnage qui arrive pile exactement au bon moment pour sauver sa femme qui vient tout juste d’accoucher… bref, on enchaîne les clichés1 et on finit par se désintéresser totalement de ces personnages.
Mel Gibson tenait une bonne idée avec son film d’action situé à l’époque maya et Apocalypto prouve qu’il pouvait faire un excellent travail. Pour être honnête, il l’a fait en partie, mais le réalisateur en a fait bien plus et le reste est nettement moins bon. Outre l’enchaînement de facilités pénibles, on se demande pourquoi le film met en scène l’arrivée des Espagnols à la fin, en insistant au passage sur leur croix. Certes, le héros ne va pas à leur rencontre et sent un danger, mais quand même : Mel Gibson vient de mettre en scène une civilisation sur le déclin et qui ne répond à ses problèmes que par le sacrifice humain de masse et une cruauté extrême. Faut-il en déduire que la colonisation européenne a été bénéfique ? Ce n’est pas le sujet d’Apocalypto, mais pourquoi avoir placé cette scène à l’idéologie douteuse ?
Vous voulez m’aider ?
- On aurait pu évoquer à ce sujet le plus gros cliché de tous : le héros sauvé par une éclipse. Oui, comme Tintin. ↩