Film devenu immédiatement culte, Requiem for a Dream appartient à cette catégorie d’œuvres que l’on n’oublie vraiment pas après les avoir vues pour la première fois. Le deuxième long-métrage de Darren Aronofsky évoque l’addiction avec une force rare et il laisse les spectateurs avec un sentiment de mal-être très net, abasourdis par une œuvre assez brève et surtout très intense. Ce n’est pas un film agréable, c’est même tout le contraire, mais c’est surtout une réussite technique irréprochable. Du jeu des acteurs à la mise en scène virtuose, en passant par l’excellente musique originale, tout est réussi et tout contribue à faire de Requiem for a Dream un grand film. Un classique, à (re)voir.
Adapté d’un roman éponyme, le scénario suit un cheminement très simple, une plongée en enfer que rien ne peut arrêter pour quatre personnages. Au départ, Harry, son meilleur ami Tyron et sa petite amie Marion, sont trois jeunes new-yorkais normaux, qui prennent un peu de drogue de temps en temps, mais sans perdre totalement le contrôle. La mère de Harry, Sara Goldfarb, est une vieille femme seule qui passe son temps à regarder la télévision et qui mène une vie parfaitement banale. Certes, Harry gage régulièrement le téléviseur de sa mère pour acheter des doses, mais Darren Aronofsky commence avec une base simple et, disons-le, heureuse. En tout cas, le cinéaste introduit ses personnages sur une note positive, avant de lancer sa machine infernale qui va les détruire très méthodiquement. Le coup de force de Requiem for a Dream, c’est de suivre en parallèle le destin de tous ces personnages. Ils vont sombrer en même temps, mais pour des raisons différentes : Harry veut fonder une famille avec Marion, et lui et Tyron veulent revendre de la drogue le temps de s’enrichir et de sortir avec une meilleure situation sociale. Sara n’a aucun rêve, jusqu’au jour où un appel lui annonce qu’elle a été sélectionnée pour passer à la télévision et sa vie bascule alors. Elle s’imagine déjà dans la robe rouge qu’elle portait pour la remise de diplôme de son fils, mais elle a grossi en vieillissant et elle se lance dans un régime radical. Comme prévu, le trio de jeunes d’une part, la mère d’autre part, tombent dans la drogue sans vraiment le vouloir. Les uns se shootent de plus en plus et on toujours besoin de plus d’injections. L’autre avale tout au long de la journée les pilules d’un médecin un peu louche et elle ne peut bientôt plus s’en passer. À partir du moment où cette logique est lancée, Darren Aronofsky plonge ses personnages dans un véritable cauchemar et ils ne pourront jamais en sortir. C’est comme si la société les plongeait volontairement dans cette spirale infernale et les images horribles d’une émission de télévision plus vraie que nature, répétées pendant tout le long-métrage, en sont la manifestation.
L’histoire n’est pas forcément très originale, mais Requiem for a Dream se distingue tout d’abord par son traitement radical. Si l’on ressort du film un petit peu secoués, c’est d’abord que le cinéaste traite son sujet de manière frontale et il ne nous épargne rien. La plongée dans l’addiction est suivie au plus près, la caméra est parfois collée aux personnages, jusqu’à observer leurs pupilles au plus près, ou bien montrer le gros plan d’un bras en train de pourrir. Darren Aronofsky impose ici encore son style très fort, avec plusieurs techniques de mise en scène qui sont rassemblées pour créer des plans audacieux. La scène d’ouverture est filmée entièrement en split screen pour montrer à la fois le visage de la mère apeurée qui s’enferme dans la chambre et celui de son fils, en manque, alors qu’il embarque le téléviseur chez le prêteur sur gages. On pourrait lister tous ces cadrages virtuoses, notamment lorsque la caméra est placée juste au-dessus de son sujet, à 90° précisément. Mais le vrai coup de maître de Requiem for a Dream, ce sont les séquences en montage ultra-rapide et répétitif qui servent à montrer le quotidien et la répétition. Quand les personnages se droguent, le cinéaste ne se contente pas de les montrer en train de préparer les seringues avant injection, il construit une séquence composée de quelques plans d’une ou deux secondes qui s’enchaînent extrêmement rapidement. Ces montages forment des blocs dupliqués tout au long du film et c’est une idée de génie pour présenter l’addiction et son caractère nécessairement répétitif. Outre sa mise en scène, Darren Aronofsky peut aussi compter sur le talent de ses acteurs : Jared Leto, volontairement sevré avant le tournage1, est parfait dans le rôle de Harry. Jennifer Connelly est elle aussi très bien dans celui de Marion, mais celle que l’on retient avant tout, c’est bien Ellen Burstyn. L’actrice avait déjà une belle carrière quand elle accepte ce rôle difficile et probablement éprouvant. Elle donne de sa personne avec des coiffures et un visage complètement détruits, mais c’est surtout son interprétation qui a marquée, en particulier lors d’une scène déchirante avec son fils.
Pour compléter le tout, il fallait une bande-originale à la hauteur et Darren Aronofsky l’a bien trouvée grâce à Clint Mansell. Elle est restée, elle aussi, en mémoire, grâce à son thème très simple, mais entêtant. Et surtout, elle accompagne à merveille la chute en enfer des personnages, en participant à l’exercice de déstabilisation que mène le réalisateur. C’est particulièrement vrai à la fin, les dix dernières minutes de Requiem for a Dream étant les plus difficiles du film, et probablement parmi les plus éprouvantes que l’on puisse voir. On sort de là un petit peu ébranlés, et c’est un compliment. Le cinéaste new yorkais trouve la bonne formule pour montrer l’addiction et même mieux, pour la faire ressentir. Ce n’est pas une sensation agréable, pour sûr, mais le résultat est bluffant.
Vous voulez m’aider ?
- Le réalisateur a demandé à ses deux acteurs de ne pas manger de viande rouge, de ne pas prendre de sucre et de ne pas avoir de relations sexuelles pendant un mois avant le tournage. Cela se voit à l’écran… ↩